>>Cannabis : pas de preuve d'efficacité contre les troubles mentaux selon une étude
Un soldat ukrainien revenu du front joue avec un chien à Kiev le 13 février dans l'enceinte de l'hôpital pour traiter son stress post-traumatique. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
D'abord tendu et replié sur lui-même, Vassyl, sergent blessé sur le front et hospitalisé depuis plus d'un mois, finit par succomber au charme de l'animal, Ricky, et joue avec lui dans un couloir du principal hôpital militaire du pays, un vaste complexe du centre de Kiev.
"C'est peut-être le meilleur calmant", confie, tout sourire, cet homme maigre de 47 ans dont c'est le premier rendez-vous avec son "thérapeute" poilu, qui porte un harnais orange avec l'inscription "Chien de service" et "Ami d'un héros". Comme d'autres personnes interrogées pour cet article, il a refusé de donner son nom de famille.
L'Est de l'Ukraine est depuis six ans en proie à une guerre qui a fait plus de 13.000 morts avec les séparatistes. Plus de 4.000 soldats de Kiev ont péri sur le front et quelque 10.000 ont été blessés sur plus d'un demi-million de personnes qui ont servi dans les rangs de l'armée ukrainienne ou continuent de le faire.
Victimes de discriminations
Face au manque de moyens dans ce pays, un des plus pauvres en Europe, la santé mentale, taboue, passe au second plan. "L'État fait quelque choses positives" mais "des efforts systémiques manquent", estime Rodion Grigorian, un psychologue faisant du bénévolat avec les militaires.
Les autorités n'ont même pas "d'informations précises" sur le nombre de soldats touchés par le syndrome de stress post-traumatique (SSPT), a reconnu auprès de l'AFP la ministre des Affaires des vétérans Oksana Koliada peu après être remplacée lors d'un remaniement gouvernemental. En général, dans le monde, ce problème concerne "plus de 10%" des militaires, se borne-t-elle à dire.
Les risques pourtant ne sont pas négligeables : le trouble peut provoquer insomnies, conduites addictives, dépressions et idées suicidaires, ainsi que conduire à des agressions à l'égard des autres, surtout des membres de familles.
Le chef de la commission parlementaire pour les affaires des vétérans a estimé en 2018 à plus d'un millier le nombre de suicides parmi les ex-combattants depuis le début du conflit, mais les statistiques officielles n'existent pas et le gouvernement n'a lancé que l'an dernier un numéro vert pour lutter contre le phénomène.
Un golden retriever qui permet de traiter des anciens soldats souffrant de stress post-traumatique, à Kiev le 13 février. Photo : AFP/VNA/CVN |
La situation est d'autant plus sensible que la société ukrainienne est divisée vis-à-vis des combattants : pour les uns, ce sont des "héros" mais d'autres leur reprochent une vie aisée aux dépens des civils à cause de la hausse importante de leurs salaires depuis le début du conflit.
Près de la moitié des militaires ukrainiens se disent ainsi victimes de discriminations dans la vie civile et plus d'un tiers se sentent "isolés", selon une étude publiée récemment.
Baptisé "Ami d'un héros", le programme caritatif dont Vassyl a pu bénéficier a été lancé en 2015 grâce à des éducateurs canins canadiens qui ont aidé à former les chiens.
"Pont" entre patient et psychologue
Depuis, plus d'un millier de soldats ont bénéficié de la thérapie canine, a indiqué la coordinatrice, Olga Smirnova. Selon elle, une vingtaine de chiens participent au programme.
"Ce sont des chiens qui ne réagissent pas avec agressivité aux agressions des autres" et "absolument obéissants", explique Natalia Tchouproun, propriétaire de Ricky, qui participe au projet depuis quatre ans.
Les animaux jouent avec leurs patients, devenant "un pont entre les humains et les spécialistes qui s'occupent d'eux : psychologues, rééducateurs", ajoute cette jeune femme blonde.
Ils interviennent aussi en cas de crise. "Un vétéran a eu une crise de panique. Riki s'est allongé près de lui et l'homme a pu se calmer", raconte-elle.
Certains animaux déménagent même chez leurs clients. Oleksandre, un ex-combattant de 38 ans dont un dans les tranchées, dit que sa "vie a changé" lorsque le labrador Deep Purple s'est installé dans son appartement en périphérie de Kiev.
Souffrant jadis d'insomnie, le jeune homme dort mieux et se sent plus apaisé. Un jour, il s'est retrouvé envahi par des souvenirs douloureux en pleine rue, mais la truffe humide du chien touchant sa main l'a aidé à se ressaisir. "Il commence à agir avant même que je me rend compte moi-même du problème", dit Oleksandre avec affection.
AFP/VNA/CVN