Salars andins, mémoire de la Terre et du climat

Immenses miroirs où se reflètent les cônes volcaniques enneigés, paysages lunaires bordés de cactus géants, seuls témoins d'une vie végétale : les salars, déserts de sel perchés à près de 4.000 m sur les hauteurs andines en Bolivie, au Chili et en Argentine, fascinent par leur beauté et leur extrême hostilité. Mais ils captivent également les scientifiques par les informations qu'ils recèlent.

Un soleil intense irradie l'immensité blanche qui se perd à l'horizon parmi les sommets andins. D'épaisses croûtes de sel, accumulées au fil des millénaires du fait des faibles précipitations et de la très forte évaporation qui règnent à ces hautes altitudes tropicales, tapissent entièrement le paysage. Ces étendues désertiques, dénommées salars, se sont formées sous le climat très sec que connaissent les Andes centrales depuis plusieurs millions d'années. On en compte des centaines, de toutes tailles, en Bolivie, au Chili et en Argentine. Ces salars ont des compositions chimiques complexes et variées, qui leur confèrent par ailleurs un grand intérêt pour les industriels. En effet, ils renferment des éléments et des sels, tels que le bore, la potasse, le lithium, le carbonate de sodium...

D'où les salars tiennent-ils ces chimismes particuliers ? Pour le savoir, un géologue de l'IRD et ses partenaires ont retracé leur histoire et mis en évidence les phénomènes à l'origine de leurs compositions chimiques. Ils ont étudié et analysé 80 lacs salés, répartis sur 1.000 km de cordillère andine en Bolivie et au Nord du Chili. La plupart n'avaient pas fait jusqu'à aujourd'hui l'objet de travaux scientifiques.

Des salars de deuxième génération

Grâce aux centaines de prélèvements et analyses effectués, les chercheurs ont reconstitué les processus de formation des lacs actuels et mis en évidence 2 grandes catégories d'éléments et de sels, selon leur origine : ceux issus des roches volcaniques (lithium, bore) et ceux provenant de salars plus anciens (chlorures et sulfates). Pendant une période d'intense activité volcanique, d'anciens salars ont été recouverts par les produits émis par les volcans. Par la suite, en s'infiltrant, les eaux se sont enrichies en éléments chimiques découlant de l'altération de ces roches. Parallèlement, les salars anciens ont également été dissous, produisant des eaux souterraines saumâtres à très salées. Les eaux issues des roches volcaniques et des salars dissous se sont alors mélangées pour alimenter à leur tour de nouveaux bassins et former les lacs actuels. Aujourd'hui, les anciens salars ensevelis ont entièrement été dissous.

Deux origines, plusieurs possibilités

Les chercheurs ont également simulé l'évaporation et l'évolution des concentrations en sels des eaux interstitielles des salars et comparé ces résultats théoriques aux concentrations mesurées. Leur simulation n'a tenu compte d'aucune interaction géochimique avec les sédiments, se basant uniquement sur la composition chimique des flux entrant dans les salars. Des divergences notables sont alors apparues entre les résultats du modèle et les aleurs mesurées, notamment en Bolivie. Apport d'eau souterraine supplémentaire, interaction avec des sédiments, disso- lution de formations salifères anciennes... : les écarts observés révèlent des phénomènes que les chercheurs n'avaient jusque là pas identifiés. Par exemple, en Bolivie, l'analyse des résultats a dévoilé une anomalie majeure : plusieurs salars, qui auraient dû être riches en carbonate de sodium, et donc basiques, sont en réalité neutres ou légèrement acides, avec des teneurs importantes en sulfates. Cette composition inattendue est due à l'érosion éolienne des dépôts de soufre associés à l'activité des volcans alentours.

Les salars constituent par ailleurs de précieuses ressources en termes d'alimentation en eau pour les populations andines et pour les grandes mines de cuivre, notamment, de la région. Il était donc également important de les caractériser pour évaluer ces ressources en eau, établir des données de référence sur l'hydrochimie des lacs et jeter ainsi les bases pour le suivi de l'impact industriel sur ces écosystèmes singuliers et fragiles. En effet, outre les rejets d'eau contaminée qu'elle peut générer, l'industrie minière est particulièrement gourmande en eau douce et saumâtre pour l'extraction et la transformation des minerais. En pompant massivement dans les nappes d'eau souterraine qui alimentent les salars, ces exploitations modifient leur composition chimique. Par ailleurs, elles entrent en compétition avec les populations locales pour l'alimentation en eau potable, un problème crucial dans les Andes centrales et leur versant pacifique.

L'étude des lacs salés a permis à un chercheur de l'IRD (Institut de recherche pour le développement) et ses partenaires (Université de Strasbourg, Université catholique du Nord à Antofagasta, Direction générale des eaux à Santiago) de décrire les processus à l'origine de leur formation et de leurs compositions chimiques complexes. Pour cela, les scientifiques ont passé en revue 1.000 km de cordillère et analysé 80 salars en Bolivie et au Chili.
Outre les ressources en eau qu'ils représentent, ces lacs salés abritent de nombreuses richesses. Le Salar d'Uyuni, le plus grand des Andes, contient de grandes réserves de potasse et de lithium, métal très convoité notamment pour les batteries des véhicules électriques. Les salars étudiés renferment également d'importantes ressources pour les populations andines, telles que le carbonate de sodium ou le bore utilisés dans l'industrie du verre et la métallurgie.

IRD/CVN

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