Quoi de plus normal !

L’automne du Nord offre aux bougainvilliers l’occasion de faire feu de toutes fleurs. Des cascades de mauve, parme, rose ou fushia, dégringolent le long des murs. Spectacle de sérénité, qui pourrait nous faire oublier que la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Tant s’en faut !

L’imprévu est souvent au rendez-vous pour nous rappeler qu’il ne faut pas plaisanter avec les aléas de l’existence, et que si on dispose d’une capacité d’adaptation ce n’est pas pour rien. Souvent plus facile à dire qu’à faire, car notre résistance nerveuse est souvent mise à rude épreuve, parfois pour des riens, parfois pour des drames. Dans ces cas là, c’est souvent chacun pour soi, stress compris ! C’est alors, que solidarité et impassibilité prennent toute leur valeur, surtout ici, au Vietnam ! En témoigne cette histoire que je me remémore aujourd’hui.

Solidarité amicale, solidarité familiale, quoi de plus normal au Vietnam !
Photo : Nhât Anh/VNA/CVN

Appel à l’aide...

Ce jour-là, la ville distille une moiteur étouffante, qui colle les vêtements à la peau. Notre fille est partie au quê avec ses grands-parents, vacances scolaires obligent. Son absence de nous pèse un peu. Sans sa pétulance et sa gaîté, notre maison est vide. Je sens qu’il faut faire quelque chose pour ne pas sombrer dans la morosité et je propose de partir passer deux ou trois jours, au Tam Dao. Cette charmante station de moyenne montagne possède un atout considérable : elle se trouve à peine à deux heures de moto de la capitale, mais bénéficie d’une température aussi douce que celle de Dà Lat. Et pouvoir se promener au milieu d’une forêt de pins sylvestres nous changera des eucalyptus et bananiers du delta. En outre, nos poumons vont pouvoir se décrasser des miasmes empoussiérés et polluants de la ville.

Accord conjugal acquis, et aucune affaire pressante ne nous retenant à Hanoi, nous envisageons le départ pour le lendemain. Le sac à dos est rempli selon la répartition conjugale habituelle : un quart pour le linge et les accessoires de toilette de monsieur, trois quarts pour le linge et les accessoires de beauté de madame. La moto est prête, réservoir plein et huile renouvelée. 10h00 du soir, le meilleur moment de la journée, celui de l’intimité sous la couette, ou tendresse et complicité s’unissent pour faire de la vie une poésie. Il est temps de fermer les yeux sur des images de voyage, de fraîcheur, de cascades…

Le téléphone sonne brusquement ! Lumière, regard sur la montre : minuit ! Le bruit de la sonnerie n’en devient que plus inquiétant. C’est Hiên, la femme de mon presque frère, Tuân. Celui-ci est parti au Laos depuis ce matin, elle est seule avec ses enfants. «Vite, viens à l’hôpital, ma fille s’est cassée le bras !». En un clin d’œil, adieu le Tam Dao et l’espérance d’une promenade en amoureux à la cascade d’argent. Mon épouse et moi sommes prêts en quelques minutes, la moto est sortie et nous filons à travers les rues semi-désertes de Hanoi, pour rejoindre le service des urgences de l’hôpital des enfants (Bênh viên nhi). Phuong Ly est là, dans les bras de sa mère, pleurant doucement sur sa souffrance en attendant de pouvoir passer une radio. Son bras s’est fracturé suite à une mauvaise chute. Mauvaise fracture, l’os est totalement rompu à quelques centimètres du coude.

Épaule contre épaule !

L’attente est longue : beaucoup d’enfants amenés en urgence par leurs parents pour des raisons diverses, dont certaines justifient une prise en charge plus rapide… 01h00 du matin : radiographie, attente à la salle de tri. Concertation avec le médecin de garde : opération ou non ? 01h30 : on décide de poser un dispositif de contention provisoire pour la nuit, et demain, un plâtre. 03h00 : un lit libre dans une chambre. La petite est installée, sa maman va passer la nuit avec elle. Dans la chambre, des regards las de mamans, allongées auprès de leurs enfants, accueillent fraternellement la nouvelle venue. Certaines se lèvent pour témoigner de leur compassion, alors même que leur propre enfant gémit doucement sur sa couche. La fatigue commence à se faire sentir. Ma femme reste encore un moment auprès de la maman : solidarité maternelle oblige. 04h00 du matin : les grands-parents de Phuong Ly, alertés par téléphone, ont fait, en pleine nuit plus de 100 km en moto, à travers le delta, pour rejoindre l’hôpital. Une poignée de mains, peu de mots : nous leur passons le relais. 05h00 : l’aube rosit le ciel. Il est temps de prendre congé, le Tam Dao ce sera pour une autre fois !

Tout au long de cette nuit, j’ai encore une fois admiré combien face aux imprévus, aussi douloureux soient-ils, les Vietnamiens peuvent faire preuve de calme et de force morale. Certes les larmes coulaient sur les joues de la maman, inquiète pour sa fille, mais jamais aucune récrimination contre le mauvais sort, contre l’attente qui se prolonge, la radio qui tarde à être développée, le médecin occupé ailleurs… Pas le moindre signe d’impatience ou de mauvaise humeur. Juste une attention constante à son enfant, soutenue, dans une tendre complicité de mères, par mon épouse. Pour celle-ci, aucun regret d’une escapade romantique disparue à peine ébauchée. Pas la moindre manifestation de lassitude pour avoir été dérangée en pleine nuit. Par la suite, je ne l’ai jamais entendu se lamenter sur le week-end gâché. Et, peu importe qu’un bras cassé, ne soit pas si dramatique que çà : une mère avait besoin d’aide, il fallait y aller. Quoi de plus normal ! Oui, vraiment, pour les parents de Hiên, quoi de plus normal pour des personnes déjà âgées que de prendre leur moto en pleine nuit et rouler pendant deux heures et demi, pour rejoindre une chambre d’hôpital. Leur fille et petite-fille avaient besoin d’eux, alors il était normal d’arriver avec le sourire, et cette sorte de force tranquille, que seuls des parents peuvent apporter à leurs enfants.

Bougainvilliers frémissant au vent d’automne, solidarité amicale, solidarité familiale, quoi de plus normal au Vietnam !

Gérard Bonnafont/CVN

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