En tout cas, pour moi, étranger, élevé dans des codes de politesse où ne pas s’occuper des affaires du voisin est le summum du savoir-vivre social, la rencontre avec les marques d’attention à la vietnamienne a été un choc ! Jugez-en plutôt !
Un «retour aux sources» de jeunes Viêt kiêu. |
Lors de mon installation au Vietnam, j’avais décidé, pour m’immerger dans la langue et la culture, de vivre pendant plusieurs mois dans un petit village, à une vingtaine de kilomètres de Hanoi, au bord du fleuve Rouge. Jamais un étranger n’avait mis les pieds dans ce village, et à plus forte raison n’y avait séjourné. En outre, je louais la maison qu’un enfant du pays, ayant fait fortune à Hanoi, avait fait construire selon les plans d’un architecte français. Un petit palais dans un écrin de verdure ! Entourée de hauts murs, cette maison n’était presque jamais habitée, ce qui contribuait à lui donner une aura de mystère. Alors, pensez donc, comme un étranger, au long nez, logé dans une demeure de Belle au bois dormant, pouvait éveiller l’intérêt du voisinage !
Comme c’est curieux !
Tout le monde voulait savoir : savoir comment ça vit un étranger, comment ça mange, comment ça dort, comment ça fait ceci et cela ; savoir comment c’était cette maison avec une piscine dans la salle à manger, un grand bassin plein de grosses carpes dans le salon, et une baignoire à remous dans la salle de bain… Et pour savoir, le meilleur moyen c’est de venir voir !
Voilà pourquoi, alors que naïvement je croyais qu’une porte suffisait à protéger mon intimité sans être obligé de fermer l’huis à double tour, il m’est arrivé dans les 15 premiers jours de mon séjour de vivre quelques scènes pour le moins cocasses telles que : être en train de dîner et voir rentrer une dizaine de personnes qui venaient voir comment c’était ici, ou bien sortir en tenue d’Adam de ma salle de bain et trouver deux honorables «bà» (dames) installées dans mon salon pour tester le moelleux du sofa, ou encore entendre du bruit au rez-de-chaussée et descendre en catastrophe pour découvrir trois aimables jeunes femmes commentant l’installation de ma cuisine !
Et ne croyez pas qu’un seul de ces intrus ait été quelque peu gêné. Au contraire, ma présence semblait leur donner prétexte à pousser plus avant la visite de lieux, avec forces sourires au demeurant ! Heureusement, j’ai pris l’habitude de fermer à clé la porte du jardin, ce qui m’a probablement évité de devenir un lieu de visite plus fréquenté que le Musée ethnographique à Hanoi !
En moi-même, je me disais que mon arrivée avait été l’occasion de rompre la monotonie de la vie de ce petit village, donnant ainsi l’occasion de pimenter son existence, et que cela pouvait rendre compréhensible cet appétit de savoir ! Si seulement !
Alors, c’est comment ?
Après la campagne, j’ai choisi la ville pour m’y installer en famille. Quartier calme, au fond d’une petite ruelle, isolée du tumulte de la vie trépidante des grands axes. Inutile de vous dire que si j’avais voulu m’installer incognito, c’était loupé…
En l’espace d’une semaine, ma femme, alors jeune mariée, a eu droit, de la part de tous les voisins du quartier, à toutes les questions possibles sur notre vie privée. Y compris les plus indiscrètes qu’elle me rapportait fidèlement en rosissant légèrement ! Je lui ai toujours laissé le soin des réponses, sans chercher à savoir lesquelles elle donnait. Tout ce que je sais, c’est qu’elle nous a fait réussir notre examen d’admission dans la petite communauté de notre quartier, du moins si j’en juge les mines réjouies et les félicitations que j’ai reçu lors de sa grossesse et de la naissance de notre fille ! Mais la curiosité bon enfant du Vietnamien ne s’arrête pas là…
En effet, je me souviens un soir d’été où j’avais invité mon complice de toujours, Tuân, et deux ou trois autres amis. Nous étions en train de deviser gaiement dans le salon du premier étage, quand brusquement deux adultes et un enfant apparaissent dans l’escalier qui monte du rez-de-chaussée. Avec un grand sourire, ils nous saluent, en se présentant comme amis de la propriétaire et s’apprêtent à continuer leur ascension jusque dans nos chambres, sans que cela ne paraisse déranger outre mesure les autres personnes qui étaient là. Le seul à manifester surprise et réprobation de cette violation de domicile, c’est l’étranger que je suis ! Je me tourne vers Tuân, qui me fait une simple remarque : «Tu as laissé la porte de la cour et de la maison grande ouverte…». Que voulez-vous répondre à cela !
Aujourd’hui, pour la quatrième fois, je viens de déménager... Exercice fréquent, consécutif à la labilité des baux de location dont la durée et le renouvellement varient selon l’humeur et l’importance de la famille du propriétaire. En l’occurrence, ici, un neveu du nôtre trouvait notre nid tant à son goût que son tonton n’a pu résister à l’installer sans nous ménager ! Grâce à la capacité d’adaptation à la vietnamienne, huit jours plus tard, nous avons emménagé dans une maison neuve à 100 m de là. Mais, cette fois-ci, pas de cour, ma maison donne directement dans la rue. Je devrais plutôt dire que la rue donne directement dans ma maison ! En effet, le jour de mon emménagement j’avais à peine fait livrer les premiers meubles que mes voisins de devant, de derrière, de droite, de gauche, étaient déjà chez moi pour m’aider à installer ceci, pousser cela, décoincer cette porte, resserrer cette vanne. Tout juste si ma femme a pu vider seule les valises sous les commentaires des uns et des autres à propos de la qualité de mes pantalons et du tissu de mes chemises !!!
Entre une sollicitude, parfois trop encombrante, et une indifférence parfois proche de la lâcheté, j’avoue préférer la première !
Gérard BONNAFONT/CVN