Hôi An est le meilleur endroit au Vietnam pour se faire faire des vêtements sur mesure à bas prix. |
J’ai fait connaissance du tailleur vietnamien lors de mon installation au Vietnam. Ce jour-là, à défaut d’avoir emporté ma patrie à la semelle de mes souliers, j’avais apporté, dans deux énormes valises, toute ma garde-robe. Énorme aussi était l’excédent de poids que j’avais dû payer à l’enregistrement ! Mes bagages et moi-même avions fait un long voyage qui, après une longue escale en un autre pays du continent asiatique, s’était achevé à Nôi Bài, l’aéroport de Hanoi. Du moins, en ce qui me concerne, car mes malles étaient restées en carafe quelque part entre la France et le Vietnam. Si le premier jour, j’espérais encore qu’elles ne tarderaient pas à me rejoindre ; le second jour, j’ai dû me rendre à l’évidence : on ne savait pas où ces infidèles m’avaient abandonnées, et on ne pouvait pas me dire dans combien de temps je retrouverais mon attirail vestimentaire…
Des mesures démesurées !
Quand on a pour tout vêtement qu’un pantalon fripé et un tee-shirt fatigué, avec pour perspective de devoir mariner dans son jus pendant plusieurs jours, le choix est vite fait : il faut investir dans des tenues. L’idée me paraissait séduisante, et frétillant comme une midinette qui va à son premier bal, je commençais une longue journée de lèche-vitrine, qui devait aboutir à me constituer un trousseau digne de ce nom. Du moins le pensé-je !
Mais dès mon premier magasin, j’ai senti le vent de la défaite. J’ai vite découvert ma démesure pour les vêtements sur-mesure locaux ! Même le XL ici ne pouvait contenir toute… ma plénitude d’Occidental bien en chair (C’était avant que mon épouse ne s’occupe de ma sculpture physique, à coup de rameur et de marche forcée quotidienne !). Je me voyais déjà obligé de conserver sur moi ces vêtements portés depuis trois jours, qui d’infects deviendraient infâmes, puis haillons, me transformant en un va-nu-pieds totalement infréquentable !
C’est en voyant ma mine défaite que mon déjà ami vietnamien Tuân m’a conseillé d’aller chez un tailleur. Sur le coup, je l’ai regardé en pensant que si l’idée n’était pas mauvaise pour mon image, elle l’était beaucoup moins pour mon porte-monnaie ! Pour moi, le tailleur c’était réservé aux très grandes occasions ou aux très grandes fortunes ! Mais quand il m’a annoncé les prix pratiqués, j’ai dû lui faire répéter deux ou trois fois. Je pouvais me faire équiper de pied en cape pour le prix de la cape en France! Pourquoi s’en priver ? Et c’est d’un pas à nouveau alerte que je me suis rendu chez le tailleur qu’il m’avait indiqué. En l’espace de quelques minutes, je me suis retrouvé avec une multitude de tissus à tâter, de couleurs à assortir, de modèles à choisir : chemises, pantalons, veste… Un vrai paradis de la confection !
À peine ai-je fixé mon choix que le tailleur me proposa de passer derrière un rideau pour me dévêtir. Adieu oripeaux honnis, me voici en toute petite tenue attendant le maître du mètre qui doit mesurer mes abattis. Et s’il est des moments de grande solitude, celui-ci en fut un. En effet, alors que je m’attendais à un tête-à-tête viril, quelle ne fut pas ma surprise de voir le rideau laisser passer une jeune femme ! Il faut dire qu’en Europe, en règle générale le tailleur pour homme est un homme et qu’il n’est pas coutume de confier ses mesures à une dame ! Surtout quand, comme moi, elles sont généreuses (les mesures, pas les dames !). Mais la crainte du ridicule fut vaine car ma sympathique couturière me donna l’exemple parfait de la politesse vietnamienne : ne jamais perturber l’équilibre intérieur de son interlocuteur en ménageant sa susceptibilité. En l’occurrence, ne pas pouffer de rire devant mes improbables mensurations !
Coupe de couleurs...
Improbables mensurations que le tailleur sût traiter avec égard et avec art, car au premier essayage mes nouveaux vêtements avaient parfaitement adopté mes courbes naturelles. Ce fut aussi, pour moi, l’occasion d’admirer la célérité et l’adresse des Vietnamiens. À midi j’étais mesuré, en soirée j’étais essayé, le lendemain matin j’étais livré. En une journée, j’avais récupéré ma dignité et un habillement digne de ce nom.
Prise des mensurations dans une boutiquede confection sur mesure à Huê (Centre |
Depuis cette aventure, et même après avoir retrouvé mes valises, je continue à me vêtir sur-mesure. Surtout depuis que j’ai découvert le paradis des tailleurs : Hôi An. C’est au cours de mes nombreux séjours dans cette ville du Centre que j’ai déniché un as du mètre ruban et du ciseau qui arrive à me couper un costume en quelques heures. Avec lui, je me transforme en grand couturier. Je m’amuse à picorer une forme de col sur une veste, un type de poche sur une autre, un style de boutonnage sur une troisième… Je choisis avec délectation les tissus : cachemire, coton, coton-soie, laine, velours, toutes les textures me passent entre les mains pour finir sur mon dos !
Mais ce que je préfère, c’est quand la mère de mon enfant éprouve l’envie de se commander un «áo dài». Célèbre robe traditionnelle vietnamienne (Prononcez «ao yai» au Sud et «ao zai» au Nord !), ce vêtement est porté quotidiennement ou lors de cérémonies. Il signifie littéralement en vietnamien «longue robe». Quand ma femme déroule les longs rouleaux de soie ou de satin velouté pour assortir les couleurs, le magasin se transforme en une serre tropicale où d’immenses papillons déploieraient des ailes d’or, de pourpre, d’azur ou d’autres nuances impossibles à décrire. Terriblement sexy, il se compose de deux parures : la robe plutôt moulante sur la partie supérieure avec une fente de part et d’autre des jambes à partir du bassin, et un long pantalon en soie, ample, le plus souvent blanc. Et, pour le connaisseur, sachez qu’il doit laisser apparaître un petit triangle de peau juste au-dessus des hanches ! La parfaite égalité de ses trois côtés signe un port parfait sur un corps parfait. Embonpoint : il s’écrase, absence de hanches : il s’étire !
Avec ses tailleurs, le Vietnam a trouvé la bonne mesure !
Gérard BONNAFONT/CVN