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Un musée chargé d’histoires ! |
Si on se faisait un musée ? J’adore cette phrase hautement conventionnelle qui traduit soit une intense curiosité pour l’histoire et les mœurs du pays visité, soit l’annonce d’un temps pluvieux qui pousse le promeneur à se mettre à l’abri ! Se faire un musée, ça vous donne un air conquérant comme lorsque l’on se fait une fille ou un mec, ou bien quand on se fait une toile, ou encore quand on se fait un pays. On ajoute une étiquette en plus à son palmarès que l’on peut mettre en avant avec fierté lors des bavardages entre copains ou dans les repas en ville. Alors, pensez donc, quand on est en vacances ou quand on vit dans un pays comme le Vietnam, il y a de quoi faire, ou plutôt de quoi en faire ! Suivez le guide...
Il y a quelqu’un ?
Justement c’est ce qui m’a le plus étonné depuis que j’ai découvert le Vietnam : je n’ai jamais eu de guide à suivre ! Je ne parle pas du mien, celui que j’ai parfois volontairement attaché à mes basques pour qu’il soit mon amphitryon dans un pays que je découvrais, je parle de celui qui vous demande de ne pas l’oublier à la fin de la visite, en vous tendant une main à remplir plutôt qu’à serrer.
Je l’aime bien, moi, ce guide. Depuis mon plus jeune âge, il est affublé d’une casquette ou d’un badge et par magie il transforme le musée au fil de la promenade. Il en fait un sanctuaire quand il s’exprime à mi-voix, colorant les lieux d’une solennité qui élève l’âme et exerce l’oreille ! Il en fait un endroit inquiétant quand il révèle de sombres mystères qui donnent la chair de poule. Il en fait un monde où s’animent les statues et prennent vie les tableaux quand il les évoque avec familiarité. Cicérone intransigeant, il foudroie d’un regard impitoyable celui qui s’écarte du chemin qu’il a tracé : le musée, c’est chez lui et nous y sommes invités. Autant dire que pour moi, guide et musée étaient aussi indissociables que Castor et Pollux ou Roméo et Juliette. Et pourtant, en venant au Vietnam, toute cette belle construction s’est écroulée…
Ici, point de guide, mais des textes, des légendes explicatives, des cartouches pédagogiques, des inscriptions illustratives. Le visiteur de musée au Vietnam doit avoir de bons yeux plutôt que de bonnes oreilles ! Mais, attention, absence de guide ne signifie pas absence de présence humaine. Au contraire ! Le premier contact passe par le vendeur de tickets d’entrée qui, avec le sourire et contre billets, vous remet de magnifiques images polychromiques qui présument déjà de ce que vous allez découvrir dans le musée. Je trouve tellement beaux ces tickets de musée au Vietnam que j’en fais collection, sauf qu’aucun de ceux que j’ai conservés n’est intact…
En effet, inutile d’enfouir les tickets dans la poche, car une dizaine de mètres plus loin, posté à la porte du musée, le déchireur (ou coupeur selon) de tickets entre en action ! Sourire toujours présent, il se saisit de ce que vous avez payé à la sueur de votre front et, d’un coup de main ou de ciseau, il exerce son office : détruire un bout du ticket pour faire la preuve que vous êtes bien entré dans le musée par la bonne porte. J’ai eu beau implorer, protester, dire que ce n’est pas la peine de faire d’aussi beau ticket pour les outrager ainsi : rien n’y fait. Comme pour le timbre-poste collé sur une lettre, mon ticket doit être estampillé, quitte à en détruire son harmonie et mon sens de l’esthétique !
Passé cette dure épreuve, on peut se croire libéré. Que nenni ! Un musée a un sens de visite, et il serait impossible de l’oublier, quand disposées de façon judicieuse tout au long du parcours d’aimables personnes au sourire imperturbable, vous orientent dans la bonne direction d’un geste auguste du bras. La découverte muséologique ne s’improvise pas !
Suivez le guide !
Fort de tout cela, et puisque l’on n’est jamais si bien servi que par soit même, j’aime me transformer en mentor et accompagner mes amis dans ces salles chargées d’Histoire et d’histoires. Bien sûr, pour justifier de ce rôle, il m’a été nécessaire de me documenter pour en apprendre plus que ce qu’indiquent les explications affichées. Pour éclairer mes visiteurs, j’ai dû devenir rat de bibliothèque à en perdre mon bronzage. Et il m’arrive encore d’avoir les poches gonflées de pense-bêtes pour ne pas avoir l’air idiot devant des questions insidieuses, de celles qu’on aimerait faire ravaler à celui qui les pose en le maudissant intérieurement de nous mettre ainsi sur la sellette, tout en lui répondant avec une belle assurance que l’on ait loin de ressentir ! Comme, contrairement aux guides professionnels qui ne parlent que pour leurs clients, j’ai tendance à m’exprimer d’une voix forte, il arrive souvent que je commence la visite avec deux amis et que je la termine avec une cohorte de visiteurs francophones trop heureux de l’aubaine, d’autant plus qu’à la sortie je ne leur demande pas de ne pas m’oublier !
Mais il est des musées qui ont ma préférence, et si je devais en retenir deux, ce serait un grand musée à Hanoi et un petit musée oublié entre Hôi An et My Son (province de Quang Nam, Centre).
Le musée à Hanoi, c’est le Musée d’ethnographie (Bao tàng dân tôc hoc). Passer d’une maison ethnique à l’autre dans le parc qui l’entoure donne l’impression d’être invité dans des familles qui mettraient leurs domiciles à disposition du visiteur en leur absence. Rien d’austère, mais au contraire, un côté ludique qui enchante l’imagination. J’aime à y flâner des heures en terminant ma visite par un agréable repas dans ce petite restaurant situé à l’ombre d’un énorme banian, où officient en salle comme en cuisine des jeunes issus de familles défavorisées à qui une association offre une seconde chance dans la vie. Je vous le conseille, l’accueil y est sympathique et l’assiette y est simple mais bonne !
Le musée de province, je l’ai découvert il y a peu de temps, en me promenant en moto entre Hôi An et les ruines Cham de My Son. Le ciel, incertain depuis le matin, avait décidé de nous offrir une douche d’automne. Nous nous étions arrêtés sous un kapokier géant pour revêtir nos ponchos de route, quand mon œil a été attiré par une bâtisse moderne en forme de mausolée champa, sur laquelle une pancarte indiquait «Bao tàng Champa». Intrigué, je suis entré... dans le palais de la Belle au bois dormant ! Pas de ticket à l’entrée, personne à la porte, quelques degrés à gravir et une immense salle déserte qui expose des statues, des fragments architecturaux, des gravures, des objets... Quelques explications sommaires disséminées de-ci de-là... Même une salle vide avec des tables, où des reliefs de repas laissent à penser que l’on peut apporter son pique-nique... J’en étais arrivé à me demander si je n’étais pas entré par mégarde dans un entrepôt d’antiquités destinées à rejoindre quelques musées ; mais en m’enquérant auprès de voisins, j’ai bien eu confirmation qu’il s’agissait d’un vrai musée. Pourquoi ici, dans ce petit village perdu, ignoré de tous les guides touristiques ? Je n’ai pas eu d’explication, mais ce que je sais, c’est que le Vietnam a inventé le musée libre-service !
Comme quoi le Vietnam n’a pas fini de m’étonner !
Gérard BONNAFONT/CVN