Plaidoyer pour un retour de la matière grise au Vietnam

Nguyên Van Thuân est professeur d’université en République de Corée. Il vient de publier une lettre ouverte adressée à ses compatriotes diplômés de l’enseignement supérieur, pour les inciter à réfléchir aux conséquences d’une expatriation sur le développement du pays.

«Il faut rentrer, rentrer car on ne peut pas aller construire une vie pleine de fastes ailleurs en laissant derrière soi les siens dans une certaine misère». Voici un extrait d’une réflexion parue dans le journal en ligne VnExpress du professeur Nguyên Van Thuân, de l’Université de Konkuk, en République de Corée du Sud, déclarant par ailleurs son intention de retourner au Vietnam. À ses yeux, la matière grise doit rester pour développer le pays.

Le professeur Nguyên Van Thuân (droite) aux côtés d’un de ses confrères.

Début novembre dernier, lors de sa visite de travail au ministère sud-coréen de l’Éducation et de la Science, le ministre vietnamien des Sciences et des Technologies, Nguyên Quân, s’est rendu à l’Université de Konkuk, située au centre de Séoul. Un établissement privé, classé dans les cinq meilleurs de ce pays de l’Asie orientale. Il a eu l’occasion d’échanger avec les étudiants vietnamiens, en présence de Nguyên Van Thuân. Une rencontre qui a profondément marqué le professeur, qui y travaille depuis 2007.

Lors de cette réunion, Vo Tân Viêt, ancien président de l’Association des étudiants vietnamiens à Konkuk, et actuellement en thèse, a demandé au ministre Nguyên Quân : «Nos résultats sont meilleurs que ceux des étudiants sud-coréens. Mais quand nous retournons dans notre pays à la fin de nos études, nous ne pouvons pas exploiter nos compétences dans notre branche. Ce n’est pas le cas à l’étranger. Alors je vous le demande: pourquoi ? Pourquoi ne peut-on pas développer notre spécialité au Vietnam alors que l’on a toutes les connaissances requises ?».

Une question qui a ému beaucoup de participants, interlocuteurs, conférenciers vietnamiens, et le professeur Nguyên Van Thuân, qui n’a pu contenir ses larmes, cachées derrière ses lunettes. «Merci, merci chers étudiants, je vois les choses différemment».

Retourner dans le pays, c’est d’après lui la responsabilité des générations précédentes. Les jeunes ont encore peu d’expérience et beaucoup à apprendre. Ils doivent encore se former. En revanche, «mes collègues et moi avons beaucoup acquis au fil des ans. On est arrivé à maturité professionnelle, on commence à être reconnu. On peut maintenant apporter véritablement quelque chose à notre pays, des bases fondamentales de recherche, afin que les jeunes rapatriés aient un contexte plus favorable».

Hésitation

Depuis, le professeur Nguyên Van Thuân pense souvent à un éventuel retour. Mais cette décision est difficile à prendre, pour lui comme pour beaucoup d’autres professeurs vietnamiens ayant une position stable dans de grandes universités des pays développés. «Nous ne sommes pas seuls, nous avons une famille à l’étranger, et elle passe avant tout. On doit donc bien réfléchir avant de prendre un telle décision».

En tant qu’ancien, le professeur Nguyên Van Thuân recommande aux jeunes titulaires d’un doctorat de faire leurs recherches postdoctorales dans des laboratoires d’envergure internationale (bien que cela soit difficile). «Vous pourrez ainsi enrichir votre expérience, prouver votre capacité de prise d’initiative, et confirmer votre niveau, pour intégrer une instance scientifique internationale. Après cela, ce sera le bon moment pour vous de retourner au Vietnam pour faire profiter de vos connaissances à votre pays».

Controverse

La lettre du professeur Thuân a suscité un vif débat, attirant l’attention de l’intelligentsia vietnamienne. Est-ce le moment pour les scientifiques vietnamiens qui ont réussi à l’étranger de rentrer ? Pourquoi 60% des lecteurs de la lettre ouverte ont recommandé au professeur Thuân de ne pas revenir pour l’instant ? Selon les commentaires, outre le fait que les conditions de recherche scientifique et les revenus soient beaucoup plus modestes au Vietnam, l’emploi des talents, leur recrutement et leur nomination sont pour le moins perfectibles...

«Je ne comprends pas cette controverse. Je suis déçu que de nombreuses personnes découragent ce chercheur», regrette le ministre des Sciences et des Technologies, Nguyên Quân. Comment peut-on prétexter que ce sont de mauvaises dispositions qui repoussent les matières grises, alors qu’on a convaincu de grands scientifiques de revenir pendant la guerre, comme le professeur académicien Trân Dai Nghia, l’agronome Luong Dinh Cua et bien d’autres ? Et pourquoi, tandis que les conditions actuelles sont bien meilleures qu’auparavant (bien que moins bonnes que dans les pays développés), la volonté d’un professeur de rentrer au Vietnam est-elle désapprouvée? «Ils ont peut-être moins d’opportunités au Vietnam qu’à l’étranger, mais le pays a besoin d’eux. Même les recherches qui n’ont pas une grande renommée à l’international ont besoin de ces cerveaux. Elles ont en même encore plus besoin», estime Nguyên Quân.

D’après le ministre, il faut les laisser revenir. Ils pourront ensuite repartir s’ils ne trouvent pas de travail. «Je pense que d’abord, il faut les encourager à regagner le Vietnam, plutôt que de les dissuader. De notre côté, nous devons élaborer ensemble un nouveau mécanisme leur créant les meilleures conditions possibles pour exercer leur métier», insiste-t-il.

Hông Nga/CVN

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