>>Hanoi - Diên Biên Phu aérien : à l’épreuve de la reconstruction
Monument à la mémoire des victimes des bombardements américains de l’hôpital Bach Mai. |
Photo : Hà Minh/CVN |
Minuit, il fait très froid. L’hôpital est désert et silencieux. Un bon nombre de médecins et d’infirmiers ont déjà été évacués depuis le début du conflit. Les effectifs sont réduits au minimum, trois ou quatre personnes par service. Ce soir là, le chirurgien Nguyên Ba Kinh est de garde. Il habite à l’hôpital, loin de sa famille qui a été évacuée de Hanoï. La nuit est calme, comme il n’y a pas de patients. Le jeune homme de 30 ans pique du nez dans la petite salle de service, jusqu’à ce que l’alerte résonne. Il a à peine le temps de plonger dans l’abri que les B-52 de l’armée américaine déversent une centaine de bombes sur sa tête. L’hôpital est en grande partie détruit.
À quelques kilomètres de l’établissement, dans la rue Kim Liên, le directeur de Bach Mai, Dô Doan Dai, saute sur son vélo pour atteindre l’hôpital au plus vite. Cinq minutes plus tard, il arrive sur les lieux. L’hôpital n’est plus qu’un tas de ruines et de fumée. Les arbres, brisés en deux, ont été arrachés du sol. Des cris, des gémissements et des pleurs retentissent au loin. Il fait le tour de son établissement pour constater les dégâts. C’est difficile, les chemins sont pavés de briques et d’arbres. Alors qu’il essaye de calmer ses collègues, les services de construction de la ville débarquent pour déblayer les murs de béton qui se sont effondrés.
«Il faut maintenir le feu dans la cuisine et préparer de la soupe avec les ingrédients qui restent», lance le directeur aux cuisiniers, «pour nourrir les médecins et les victimes coincés dans l’abri». Aux techniciens, il demande de réparer au plus vite le réseau électrique et les canalisations d’eau. Le temps presse, des génératrices doivent être installées pour stériliser l’équipement médical et préparer les autres abris afin d’opérer les victimes.
Surmonter la douleur
«Ce soir-là, je ne suis pas de garde. Mais dès que j’ai connaissance du bombardement, je pars pour l’hôpital. J’y suis à 4h du matin», confie Dô Tho, chargé des réseaux électriques. «Nous installons trois génératrices, deux d’une puissance de 75kW et une de 40kW». Il se souvient aussi que tous les réseaux de fourniture d’eau ont été détruits. Il n’y a pas d’autre option que de pomper l’eau directement d’un puits à l’aide d’une très ancienne pompe. À peine de quoi avoir 2 à 3 m3 d’eau par heure. La ville décide alors d’envoyer des camions citernes.
L’aube se lève. Les bombardements sont finis et le sauvetage s’organise. Le bâtiment B est totalement détruit. Les médecins et infirmiers du service de dermatologie sont coincés dessous. Les murs se sont effondrés et barrent la porte de sortie de l’abri. L’accès est trop petit. «Nous devons ramper et parfois nous devons nous arrêter à 10 ou 15 cm de la porte à cause des obstacles. Alors, les victimes tendent leur bras pour que nous puissions prendre leur pouls», raconte M. Dai. Un autre souvenir le hante, celui de l’infirmière Hoang Kim Thoa, morte écrasée sous un mur en béton. Le corps de cette femme de 39 ans barrait la porte de l’abri.
Les personnes coincées à l’intérieur criaient : «Aidez-nous ! Au secours». Les médecins n’avaient pas d’autre choix que de découper son cadavre en trois parties pour libérer les personnes enfermées. Les deux chirurgiens Kinh et Luân s’en sont occupés. «Nous nous sommes agenouillés pour demander pardon à Mme Thoa avant de le faire», raconte M. Kinh, les larmes aux yeux. «Nous nous relayions pour ramper dans l’abri et nous travaillions dans la pénombre», ajoute-t-il.
Les autres médecins devaient calmer les victimes. M. Dai raconte : «Durant les secours, on retrouve des visages familiers, mais ils sont tellement défigurés que je reconnais seulement Mme Quat par sa dent en or et Mme Lan par sa bague en or».
«Les victimes étaient tous mes amis»
«Dès que l’alerte s’est arrêtée, nous sommes sortis de notre abri. Par chance, notre bâtiment n’a pas été détruit, contrairement aux autres. Nous sommes allés voir comment nos collègues allaient», confie l’infirmière Dô Thi Thanh Nhàn du service de pédiatrie. La situation était catastrophique. Il n’y avait que douleur et affolement !«Nous avions peur que l’armée américaine bombarde à nouveau». Et c’est avec autant d’émotion qu’elle se remémore la perte de sa collègue Lan, du service d’électricité retrouvée deux jours plus tard le visage bleu. Parmi les victimes il y a aussi Diên, enceinte de trois mois.
«C’étaient tous mes collègues et ils étaient morts, les corps déformés», se souvient Mme Nhàn, la voix émue. Les cadavres sont évacués sur des brancards en direction de la morgue, en attente d’une cérémonie funèbre. La cérémonie était courte et simple, car on craignait une nouvelle vague de B-52. Au total, le bombardement de l’hôpital a fait 28 morts. Quatre jours après, les sauvetages s’arrêtent pour se concentrer sur les victimes de la rue Khâm Thiên, à quelques minutes de l’hôpital. Malgré le manque d’équipements et la douleur qui les assaille, les médecins se démènent. «Chaque médecin est un combattant sur le champs de bataille. Ils font leur possible pour soigner les patients», conclut simplement le directeur.
Hà Minh/CVN