Khâm Thiên, dévastée par un tapis de bombes en décembre 1972. |
Voilà huit ans que le Nord Vietnam et sa capitale sont bombardés par l’armée des États-Unis. Mais les douze jours du Diên Biên Phu dit aérien seront particulièrement meurtriers pour les habitants de Hanoi. «Le B-52 était l’arme la plus efficace que possédaient les Américains, et ils visaient le centre historique. C’était symbolique pour eux. Le président Richard Nixon nouvellement élu voulait arrêter cette guerre mais il ne fallait pas que ce soit considéré comme un échec. Le but était donc de pousser les Vietnamiens qui ne pliaient pas à une négociation à l’américaine, avec leurs conditions», explique Huyên Mermet, journaliste indépendante, co-auteur du livre Diên Biên Phu vue d’en face (voir encadré). Entre le 18 et le 29 décembre 1972, plus de 20.000 tonnes de munitions sont larguées sur Hanoi. On compte plus de 2.300 morts et presque 1.400 blessés. Pas moins de 100 usines, gares, écoles, ponts, hôpital et routes ont été détruits. L’objectif étant, d’intimider et de faire pression, en touchant prioritairement les civils.
Mais passé le choc pour la capitale, il faut la reconstruire. Difficile au début car le pays est toujours en guerre et les moyens manquent cruellement. Selon le Pr Nguyên Manh Hà, directeur de l’Institut d’histoire du Parti du Vietnam, «les habitants étaient pauvres. Tous les matériaux, argent et main-d’œuvre étaient mobilisés à la guerre. Et la ville n’avait pas d’usines de fabrication d’acier, de ciment ou de briques pour construire des infrastructures».
En 1972, Nguyên Văn Câu s’occupe de la logistique au journal quotidien Hà Nôi Moi. Il habite au 57, rue Khâm Thiên depuis presque 20 ans, l’une des artères les plus touchées de la ville, le 26 décembre. «Notre rue était très animée avant cet évènement. Il y avait beaucoup de marchands et notamment des confections. Lors des bombardements, elle a été gravement ravagée. J’ai perdu ma femme, mon second fils et mon frère. Et ma maison a été détruite». Ceux qui n’ont plus de domicile peuvent alors être relogés dans le quartier de Dông Da, de manière provisoire. Le vieil homme, lui, décide de rester et de reconstruire son toit. C’est là que nous l’avons rencontré. «Je ne pouvais pas quitter ma maison, j’y étais très attaché. Comme beaucoup de gens d’ailleurs. Et puis mes enfants étaient très petits. Mon travail se trouvait près du lac Hoàn Kiêm et je m’y rendais à pied. On n’avait pas de vélo à l’époque. Ça aurait été trop loin», commente-t-il. «Ceux qui sont restés ont eu un peu d’aides de l’État pour reconstruire leur maison mais c’était précaire. Nous avons surtout compté sur la solidarité. Ma famille restée au village natal m’a donné des bambous, du bois, de la nourriture et une bâche en guise de toit. Mon journal m’a aussi aidé. Ils m’ont fourni des matériaux, ils m’ont conseillé. Et on s’entraidait entre voisins. C’était très important et c’est ce qui nous a fait tenir».
Un sentiment que partage Dô Doan Đại, ancien directeur de l’hôpital Bach Mai, au Sud de la ville, détruit lui aussi. Jusqu’ici, il accueillait 400 malades. Désormais, les malades viennent toujours, mais dans des conditions déplorables. «La reconstruction a démarré dès 1973. On a utilisé l’argent de l’État vietnamien, mais pas seulement. Le chef du gouvernement suédois, Olof Palme, très engagé contre la guerre du Vietnam, nous a donné 25 millions de couronnes, soit environ 6 millions de dollars. Il nous a aussi fourni du matériel, des lits inoxydables et des appareils de dialyse. Cet appui a été très important psychologiquement. Des ONG américaines nous ont aidé également», explique-t-il. Ces soutiens ont permis de rebâtir un hôpital plus grand, avec plus de capacités techniques. D’un étage, il s’est élevé sur six niveaux, avec de nombreux équipements. Les travaux ont duré 12 ans.
La rue Khâm Thiên, dans le quartier Dông Da, est devenue une rue commerçante presque comme les autres. |
Toutes les infrastructures détruites ont été finalement reconstruites en une dizaine d’années, comme les gares Yên Viên, Dông Anh, Gia Lâm et Hàng Co, l’ambassade de France, la rue Cua Bac et la rue Khâm Thiên. Cette dernière est devenue une artère comme les autres, avec ses commerces de couturiers, de produits cosmétiques, de design d’intérieur et ses écoles. À une exception près. À quelques mètres de la maison de Nguyên Văn Câu, maintenant chef de son quartier, on trouve un monument dédié aux morts du 26 décembre 1972. Il y vient chaque année pour se recueillir et se souvenir de moments désormais derrière lui. «J’ai aujourd’hui une jolie maison de 100 m² que j’ai rebâtie au fur et à mesure des années avec des matériaux toujours plus modernes. Les derniers travaux datent de 1995. Nous vivons beaucoup mieux et j’ai même plusieurs motos dont deux qui m’ont été offertes par mes enfants», raconte-t-il.
Dans une capitale aujourd’hui moderne, les traces de cette page de l’Histoire disparaissent chaque année davantage. Il subsiste le musée de la victoire contre les B-52, dans le quartier Ba Dinh, le reste d’un B-52 dans le lac Huu Tiêp, et la mémoire qui file. «Seuls les témoignages de cet événement, de ceux qui ont vécu à cette époque ou qui ont perdu leurs proches, peuvent se souvenir et s’intéresser à cet événement. Aujourd’hui, comme il reste peu de vestiges, les jeunes ne comprennent pas grand chose au Hanoi-Diên Biên Phu aérien et ne s’y intéressent pas», commente le professeur Nguyên Manh Hà. Toutefois, à en croire Nguyên Văn Câu, la rue Khâm Thiên n’est pas tout à fait redevenue comme les autres. «Les souvenirs communs rapprochent. Dans ce quartier, les gens s’intéressent aux autres et sont proches».
Le livre Diên Biên Phu vue d’en face, sorti le 4 décembre au Vietnam, rassemble 116 témoignages de civils et militaires qui ont vécu l’évènement. Un travail qui a duré deux ans. Il a notamment été écrit par deux journalistes indépendants, Huyên Mermet, trois ans au moment de drame, et Dang Duc Tuê qui n’était pas né. Trouver des militaires a été plus facile que de trouver des civils, qui ne représentent qu’un quart des témoignages, mais qui forment le pilier de l’ouvrage. Il contient également de nombreuses photos et rappels historiques.
Éloïse Levesque/CVN