Percussions de choc

Au Vietnam, la baguette, comme chacun sait, on en connaît un rayon, et je ne parle pas seulement des instruments utilisés pour se nourrir et qui terrifient tellement l’Occidental affamé devant son bol de riz…

Je n’évoque pas non plus, au sens figuré, la façon dont la femme vietnamienne, si douce et si retenue en public, gouverne sa maison (mari et enfant compris). Je ne désigne pas la baguette de pain occidentale qui commence à détrôner le petit «bánh mì» si croquignolet dans ses paniers en osier. Non, je fais référence à l’un des deux partenaires d’un couple infernal qui joue avec mes nerfs : la baguette de tambour ! Et dans la période de fêtes qui s’annonce, elle va mener son monde à la baguette…

 

Tambour taille XXL !

Instrument destiné à perturber mes siestes et mes nuits, le tambour vietnamien a une origine qui se perd dans la nuit des temps. En bronze recouvert de décorations gravées dans le métal, il a fait partie du quotidien des Vietnamiens il y a plus de deux millénaires.

Départ en fanfare

À cette époque-là, il faisait office de haut-parleur avec les dieux et les génies. Déjà, longtemps avant l’invention du morse, les hommes envoyaient des messages aux divinités à grands coups rythmés sur ces immenses jarres renversées à fond plat qui résonnaient dans les vallées profondes ou sur les plateaux fouettés par les vents. Véritables bandes dessinées représentant des hommes en barque, des amoureux se tenant par la main, des oiseaux, crocodiles, poissons et autres animaux, ils servent aussi de témoignage sur la vie de nos lointains prédécesseurs. Ce tambour-là, non seulement il ne me dérange pas, mais je ne peux m’empêcher d’en admirer de magnifiques spécimens dans des collections publiques ou privées lors de mes promenades culturelles. Mais sans doute, les dieux aiment-ils qu’on leur parle en cadence, car le tambour cultuel a traversé les millénaires et continue de faire entendre sa voix lors des cérémonies et fêtes traditionnelles, notamment à l’occasion des enterrements.

C’est un tambour de forme oblongue, laqué de rouge, qui accompagne le défunt dans sa route vers «Ông Troi» (Ciel). Quand on l’entend dans le quartier, on a une pensée pour la personne qui va retrouver ses ancêtres. C’est toujours émouvant de s’imaginer que l’on ne croisera plus dans la rue un visage connu, que l’on n’échangera plus le rituel «Bà (ou Ông) đi đâu đây ?».

Puis, d’émouvant le sentiment devient agacement, quand le tambour continue à battre des heures durant, instillant à notre insu un rythme hypnotique qui nous assomme au fil du temps. Inutile de mettre des bouchons d’oreille, le bruit s’insinue dans nos entrailles, fait vibrer notre paroi abdominale et résonne dans notre cavité thoracique transformée en enceinte acoustique.

L’agacement devient fureur, quand baguettes et tambours continuent avec vigueur leur inépuisable conversation à l’heure où mon corps et mon cerveau n’aspirent qu’à une seule chose : dormir ! Inutile de mettre sa tête sous l’oreiller, surtout l’été : le risque d’étouffement est supérieur à l’avantage d’une insonorisation duveteuse. Impossible de lutter contre la tendance d’un système acoustique à se mettre à absorber plus d’énergie quand la fréquence de ses oscillations arrive à sa fréquence naturelle de vibration… Dans ces moments-là, sans aller jusqu’à maudire le mort (on a du respect malgré tout), on se prend à souhaiter que ce soit le dernier dans le quartier, avant longtemps et on se sent brusquement plein d’attentions pour les personnes fragiles et malades que l’on a justement eût tendance à ignorer ces derniers temps. Ou alors, on imagine déjà, avec un sadique plaisir, l’énorme tambour que l’on exigera lors de son décès…

Réveil en grosse caisse

Car, énorme, le tambour vietnamien peut l’être ! Il n’est que d’aller rendre visite à quelques palais, pagodes ou monastères pour tomber nez à caisse, avec de monstrueux tambours suspendus à des portiques. Souvent associés à de non moins imposantes cloches de bronze, ces tambours servaient à annoncer les bonnes ou les mauvaises nouvelles, avant l’invention du téléphone ou de la radio.

 

Sacré tambour !

L’Empereur se déplaçait-il ? Boong ! Quelques coups d’une titanesque «baguette», et le petit peuple, courbé dans les rizières, était au courant. Un ennemi apparaissait-il au sommet d’une colline ? Bing ! Autres coups, autres informations. Pratique et écologique comme système de communication.

Seul inconvénient majeur : il ne fallait surtout pas que les chaînes qui retenaient ces ventrus moyens de transmission se détachent. Ou peut-être le hurlement strident de l’opérateur au doigt de pieds écrasés représentait-il un autre message, du type «Interruption momentanée de nos programmes !». Et justement, en parlant de programmes, même les programmes scolaires sont menés tambour battant…

J’ai découvert cela lors d’une de mes quotidiennes siestes au bureau. Étendu sur la natte collective, partagée avec mon ami et associé Tuân (c’est bien la seule personne à côté de laquelle mon épouse me permet de m’allonger), je me laissais aller à cette curieuse béatitude entre veille et sommeil, quand brusquement le roulement de mille tambours a retenti dans la pièce ! Que se passe-t-il ? Des concurrents sont venus en force pour s’emparer de nos ordinateurs ? La fin du monde, c’est pour tout de suite ? Le fleuve Rouge est au-dessus du sommet du Fansipan (le point culminant de l’Indochine, situé au Nord-Ouest du Vietnam, dans la province de Lào Cai) ?

Je me dresse sur mon séant, hurle «Aux armes !», secoue violemment Tuân (je ne vais pas défendre les lieux tout seul)… Ce dernier ouvre un œil nonchalant et, d’une voix apaisante, me dit : «C’est rien, c’est l’école d’à côté !». L’école ? Je croyais que c’était une école primaire, tout ce qu’il y a de plus normal, où les seuls bruits autorisés étaient ceux de la cour de récréation quand les enfants s’en donnent à cœur joie, ou bien les ânonnements collectifs des cours de récitations, où les enfants tentent de garder le rythme. Mais j’ignorais qu’il s’agissait (imparfait du subjonctif avec l’accent) d’une école de percussions ! Réveillé pour réveiller, Tuân m’explique que le tambour est utilisé à l’école pour les cours de sports, les répétitions de fête, et même certains cours de chants.

Je percute enfin le sens de ces roulements, mais cette fois encore, de la membrane de mon tympan et de la membrane du tambour, c’est cette dernière qui remporte la victoire.

De quoi, parfois, avoir envie de partir sans tambour, ni trompette !

 

Texte et photos : Gérard BONNAFONT/CVN

 

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