Viens à la maison !

Vingt ans que je connais le Vietnam, et je suis toujours autant étonné par son hospitalité. J’entends souvent des visiteurs étrangers me dire que cet accueil n’est pas désintéressé, que derrière le sourire, il y a toujours une démarche commerciale… Je me demande toujours, alors, si nous sommes bien dans le même pays ?

Malgré le nombre exponentiel de visiteurs étrangers, il ne se passe pas un jour sans que ne se manifestent d’authentiques marques de sympathie vis-à-vis de l’Occidental que je suis. Je ne parle pas de celles que me vaut ma fille, lorsque je me promène avec elle. Véritable sésame, elle m’ouvre le sourire et l’attention de tous. Et, heureusement que je n’accepte pas toutes les sollicitations à boire un thé dans les arrière-boutiques, les avant-cours et autres salons, sinon nos promenades se transformeraient, pour moi, en incessants besoins impérieux de se délester du trop plein de liquide !

Non, je voudrais simplement évoquer ici ces moments extraordinaires où, venu en simple quémandeur, vous êtes reçu comme un prince.

Recevoir simplement

J’ai le souvenir d’une promenade dans la ville portuaire de Hai Phong (Nord), en attendant d’embarquer pour le bateau de Cát Bà. Avec un ami vietnamien, nous étions remontés jusqu’au théâtre et au marché aux fleurs. Contemplant l’animation des enfants qui jouaient sur la place, j’avais eu une pensée pour mon père qui, tout enfant, devais jouer au même endroit, lorsque ses parents venaient s’y détendre durant les soirées d’été. Et je me suis souvenu que sa maison natale ne devait pas être très loin de là. J’en connaissais l’adresse, mais je n’avais jamais eu la curiosité de m’y rendre. Ce matin-là, je propose à mon ami, haïphonnais d’origine, de m’y guider. Quelques centaines de mètres plus loin, nous arrivons devant une petite maison de type coloniale que je reconnais d’après les photos que mon père avait pu me montrer. Je reste là, sur le trottoir en face, à l’ombre d’un immense banian, observant discrètement cette maison où mon géniteur a poussé ces premiers cris…

Je n'avais nullement l’intention de déranger les gens qui y vivent aujourd’hui, mais mon ami, d’un pas décidé, traverse la rue, et se dirige vers une "bà" (dame), assise devant la maison, à côté d’une marmite de "pho" fumant et odorant. Rapide conciliabule, regards tournés vers moi, et un signe de la main pour que je traverse à mon tour. La "bà" m’accueille avec un grand sourire qui laisse voir ses dents teintées par le bétel, tout en hélant quelqu’un à l’intérieur de la maison. Une femme d’âge mûr apparaît. C’est la propriétaire de la maison. En quelques mots, mon ami lui explique la raison de ma présence ici. De nouveau un grand sourire, une invite à entrer, moi qui se confonds en excuse, qui ne veux pas déranger la femme qui insiste, et me voilà installé dans un fauteuil, au milieu de la salle à manger où mon père a dû faire ses premiers pas...

Venez à la maison !

Je n’arriverais jamais à boire le thé fumant que l’on a posé devant moi sur la table basse : le mari, le fils aîné, la fille, la tante, la grand-mère…, c’est presque toute la famille de la propriétaire qui maintenant est installée autour de moi. Les questions fusent, directes, simples, sans curiosité malsaine. Sur chaque visage, un intérêt constant lorsque je réponds. Et toujours ce sourire, sincère, rayonnant. Moment d’émotion intense, où des souvenirs qui, en d’autres temps, auraient pu nous éloigner les uns des autres. On m’invite à visiter le reste de la maison. Je décline. Nous devons prendre le bateau. Bonne excuse pour ne pas déranger plus cette famille qui me fait pénétrer dans son intimité pour me permettre de mieux connaître mon passé. Un au revoir, un échange de numéro de téléphone, une promesse de repasser la prochaine fois que…

En allant vers l'embarcadère, je repense à ce jour, où dans un petit bourg de campagne, là-bas, dans mon pays natal, j’ai voulu retrouver la maison d’où était parti celui qui allait me donner une arrière grand-mère vietnamienne.

Hochements de tête polis, regards indifférents, sentiment de venir comme un cheveu sur la soupe, aboiements du chien, regrets pour n’avoir pas le temps de me faire rentrer, prise de congé rapide… Je connais maintenant la différence entre hospitalité et amabilité !

Partager sans chichis

J’ai également en mémoire ce village, au bord du fleuve Rouge, spécialisé dans la fabrication d’estampes imprimées à la main.

Nous étions cinq à flâner dans les ruelles tortueuses bordées de hauts murs de briques rouges. Au détour de l’une d’elle, une cour, un manguier gigantesque, un dais, des tables, personne… Nous nous arrêtons. Une fête qui attend ces invités, où le lendemain d’un banquet ? Un jeune homme sort de la maison : «C’est mon mariage qui a lieu ce soir. Venez !». Nous sommes restés une heure dans cette maison, papotant avec toute une famille fière de célébrer les noces du fils aîné. Parfaits inconnus en arrivant, nous étions des invités en repartant. Bien sûr, nous avons refusé l’invitation à venir au mariage, mais l’eussions-nous acceptée, je suis certain que nous aurions eu des places de choix… que nous ne méritions pas. Places qui nous auraient valu une autre marque de reconnaissance, dont je me passe bien volontiers : mâcher le bétel. Je n'ai jamais pu me faire à cette façon d'honorer l'invité, même si je souscris totalement à la légende qui en fait la célébration de la marque d'amour fraternel et conjugal. Le goût sucré, piquant, amer et chaud des quatre composants - bétel, arec, artocapus et chaux - me coupe la chique. (Oui, je sais, le jeu de mot est facile, mais il était trop tentant !).

Et, il y a encore cette fois, où le pêcheur, qui nous ramenait à Cát Bà, nous avait invité, nous quatre étrangers, à venir manger chez lui le soir. Jamais un chauffeur de bus ne m’avait fait pareille invitation ! Soucieux de ne pas contraindre notre hôte à engager des dépenses excessives, nous avions apporté quelques nourritures. Mais quand nous sommes arrivés dans sa modeste maison, en plein milieu du quartier populaire de Cát Bà, les femmes étaient déjà en train de préparer ce qui allait être un somptueux festin de fruits de mer. En quelques minutes, la famille proche, les voisins avaient envahi la maison. Une soirée comme les autres devenait une fête d’amitié. Tard dans la nuit, notre ami a sorti sa guitare, et les notes des chansons montaient jusqu’à un Ông Troi (Ciel), souriant et fier de l’hospitalité des Vietnamiens…

Ou encore, le semaine dernière, cette femme près de Nghia Lô. Nous avions pris un petit chemin de terre qui venait mourir sur une diguette en lisière de champs de maïs. Là, une misérable chaumière, aux murs à claire-voie, exposée à tous les vents. Dans la courette, une femme nous fait signe avec un chaleureux sourire, et nous invite à entrer. À l'intérieur, une couche de planches mal jointes, un foyer de braise à même le sol terreux, quelques ustensiles suspendus à des perches de bambous, de rares vêtements à des crochets. Nous nous sentions mal à l'aise devant cette indigence, mais notre hôtesse, après avoir échangé quelques mots, nous invite à partager son repas : un gruau de maïs qui mijotait sur le feu. Nous aurions pu accepter ce qui pour elle représentait un véritable honneur, mais quand elle nous annonça qu'elle allait tuer un des maigres poulets qui picoraient dans la cour, nous avons refusé : elle nous offrait son repas de plusieurs jours. Au diable, l'authenticité de la rencontre, nous ne méritions pas un tel sacrifice… Nous avons pris congé en prétextant un bus à prendre, mais sans pouvoir refuser les quelques oranges qu'elle nous a offerts. Rencontre émouvante, dont mes amis me parlent encore.

Ces hommes, ces femmes, qui nous ont accueilli pour quelques minutes ou quelques heures, n’avaient rien à vendre ou à acheter. Pauvres ou riches, simplement ils ont offert à partager la chaleur d’une rencontre.

Qu'on le veuille ou non, c'est cela aussi le Vietnam !

Gérard BONNAFONT/CVN

 

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