La culture, ça s’étale !

Un amusant proverbe dit que «La culture, c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale !» Aussi loin de moi l’idée de vous en faire avaler une tartine, je souhaite simplement vous faire partager mes aventures à la découverte de cultures traditionnelles...

Quand j’ai décidé de transporter mes pénates dans mon nouveau pays, j’ai emporté ma culture à la semelle de mes charentaises. Et de cultivé, je suis devenu béotien ! En effet, quoi de plus étrange pour un natif du bord de la Seine que les modes de penser et d’agir d’un natif des rives du fleuve Rouge... Pour quitter mon statut d’étranger inculte et acquérir celui d’immigré intégré, il m’a fallu décrypter, comprendre, apprendre et adopter une nouvelle façon de voir le monde et la vie. Et dans cette quête de l’identité de l’autre, j’ai dévoré des dizaines de livres, écouté des centaines de témoignages, observé des milliers de scènes de la vie quotidienne, et visité je ne sais combien de musées... Et croyez-moi, vouloir comprendre la culture de l’autre n’est pas sans périls, physiques ou moraux ! Comme vous le démontreront les lignes suivantes...

Perche tendue...

Sous les bambous, un jeu d’équilibre culturel !!!

Le Vietnam peut se targuer d’être non seulement un pays de grande richesse culturelle, mais aussi un pays de grande diversité culturelle, avec la présence de nombreuses ethnies qui se côtoient du Nord au Sud. Pour partir à la découverte de ces minorités et de leurs traditions, on peut aller à leur rencontre en prenant moto et courage à deux mains. On peut aussi s’économiser fatigue et carburant en allant visiter un musée à côté de chez soi…

En première intention, comme on dit dans le milieu médical, j’ai choisi la seconde solution. Raison pour laquelle, je me trouve un beau matin de septembre, accompagné de ma famille, dans le parc d’un musée qui me démontre que si la foi peut déplacer les montagnes, l’ingéniosité humaine peut déplacer les maisons. En effet, c’est un condensé de Vietnam qui se retrouve sur quelques ares, où des maisons traditionnelles s’exhibent fièrement, loin de leur village d’origine…

Avide d’endosser mon costume de voyeur pour pénétrer dans le quotidien de populations aux noms aussi exotiques que Jaraï, Cham, Ba Na et autres, je m’engouffre dans les allées bordées de bambous, vers une maison Cham tout droit venue du Centre. Ma fille brise brusquement mon élan d’explorateur néophyte par un retentissant «Bố ơi !» (Papa !) qui m’incite à me tourner dans sa direction et suivre du regard son doigt qui m’indique un curieux appareillage installé au milieu d’une pelouse. Une longue perche de bambou, suspendue à quelques centimètres du sol, se balance entre deux arbres. Si je n’en vois pas immédiatement, ni l’intérêt, ni l’utilité, un groupe de jeunes étudiants m’en donnent la clef très rapidement. Tandis que ses camarades forment une haie de chaque côté de la perche horizontale, une jeune fille monte dessus et commence à marcher avec la ferme intention d’arriver à l’autre extrémité, sauf que... Retenue par une simple liane à chaque bout, la perche est soudainement prise de la danse de Saint-Guy, qui contraint la funambule amatrice à chercher désespérément un équilibre qui se refuse à elle. Semblable à un grand échassier qui voudrait décoller, elle se met à courir, bras écarté, pour aller plus vite que les convulsions de la perche qui tente de se débarrasser de l’importune. Las, les règles de la physique ondulatoire ont vite raison de celles de l’équilibre fût-il dynamique ! Et, comme un taureau de rodéo, la perche met à bas l’impudente, sous les huées de ses camarades…

Je m’apprête alors à poursuivre mon chemin sans autre forme de procès, quand ma fille me tire par la manche et m’entraîne au milieu du groupe pour tenter elle aussi sa chance. Du moins le pensé-je, jusqu’au moment où, héraut moderne, elle se tourne vers l’assistance avec un merveilleux sourire, en proclamant : «Bố sẽ làm !» (Papa va le faire !).

Mains tendues !

La culture me tombe sur la tête ! J’étais venu pour découvrir le mode de vie de populations aux coutumes ancestrales, et me voilà contraint de découvrir le mode de vie des primates arboricoles ! D’un air effaré, je regarde tour à tour ma progéniture et sa mère - mon épouse, et je ne vois que confiance absolue... ou ignorance totale du concept de ridicule ! Je m’attends presque à ce que ma fille prenne des paris sur ma capacité à réaliser l’impossible : tenir debout pendant 10 minutes sur une perche de bambou qui se balance avec énergie entre deux arbres. Et pas question de reculer, car devant une vingtaine de paires d’yeux, c’est l’honneur de ma famille et le mien qui est en jeu !

Maudissant l’inventeur pervers de ce jeu qui, je l’apprendrais plus tard, fait partie de la culture de certaines minorités ethniques, je monte sur la perche, pied en canard, bien décidé à ne pas m’en laisser conter par un vulgaire bout de bois. Palmipède maladroit, tentant de rétablir mon équilibre par des mouvements du bassin qui laisseraient pantoises des danseuses du ventre orientales, je franchis les premiers centimètres sous les encouragements. Plus j’avance, plus la perche ondule, et plus mon centre de gravité cherche à m’échapper. Vite, me rappeler les enseignements de mes professeurs d’arts martiaux : plus le centre est bas, plus tu es stable. Fléchir les genoux, écarter les bras, fixer l’arrivée, respirer profondément, faire corps avec le mouvement. Un mètre de gagné plus que neuf à franchir. Trop tard, mon centre de gravité décide de se faire la malle et, en me laissant choir, il entraîne ma chute, tandis que la perche et l’assistance se gondolent ! Pour couronner ma défaite, en rejoignant le sol ferme, je glisse sur l’herbe humide et m’étale de tout mon long. Culturellement parlant, c’est la Bérézina ! Bons princes, les jeunes m’aident à me relever et me tapent sur l’épaule, en me disant que malgré mon âge j’ai été courageux, ce qui loin de me flatter me fait sourire jaune !

Ma fille, quant à elle, se désintéresse déjà de l’affaire, attirée qu’elle est par l’immense maison Ba Na à laquelle on accède par des marches taillées dans un tronc de plusieurs mètres de haut. On va bien voir si le papa alpiniste est meilleur que le papa équilibriste !

Finalement, pour moi, le proverbe serait plutôt : «La culture, c’est comme l’équilibre, moins on en a, plus on s’étale !»

Gérard BONNAFONT/CVN

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