L’histoire à la lumière de la médicine

Le Docteur Bùi Minh Duc est l’auteur de l’ouvrage Lịch sử nhìn lại dưới góc độ y khoa (L’histoire revue à travers le prisme de la médecine). Avis de Huu Ngoc sur ce livre et son auteur.

Il y a quatre ou cinq ans, le Docteur Arnaud Cénac, spécialiste de la médecine tropicale, a eu la gentillesse de m’envoyer de Brest l’ouvrage qu’il avait écrit avec son collègue Claude Chastel : Histoire de la médecine-Introduction à l’épistémologie.

Ce livre d’une écriture simple et claire m’a beaucoup impressionné: il permet à des profanes comme moi de découvrir l’influence profonde des grands fléaux infectieux sur les civilisations, l’art, les religions, les activités économiques et la démographie.

Le livre Lịch sử nhìn lại dưới góc độ y khoa (L’histoire revue à travers le prisme de la médecine).

Lịch sử nhìn lại dưới góc độ y khoa (L’histoire revue à travers le prisme de la médecine) que vient de m’envoyer Bùi Minh Duc de la Californie m’apporte le même plaisir. Celui de la découverte. Disons tout de suite que mon ami n’est pas professionnellement homme de lettres. Fameux oto-rhino, il a conquis ses lauriers à Hué, Saigon, en Allemagne et aux États-Unis.

Originaire de Huê, il s’est établi depuis plusieurs décennies aux États-Unis. Mais il nourrit pour son patelin huéen et pour sa mère hueénne un tel amour qu’il s’est lancé corps et âme dans la recherche sur la culture de Huê. Son monumental Dictionnaire du dialecte huéen paru en 2001 (3e édition en 2009, 2.000 pages) est une œuvre de science et d’amour. Suivent d’autres publications de la même veine : Empreintes de la culture de Huê, Sémantique huéeme, Vestiges de la culture de Huê, Culture gastronomique de Huê. Son dernier ouvrage, Lịch sử nhìn lại dưới góc độ y khoa est le fruit de la passion de Duc pour l’histoire qui remonte à ses années d’enfance et de jeunesse.

Élucider certaines énigmes

Le Docteur Bùi Minh Duc.

L’auteur se propose d’élucider certaines énigmes de l’histoire, et de trouver la cause de la mort d’un certain nombre de personnages de notre histoire. Œuvre passionnante et ardue. Œuvre de pionnier, parce qu’au Vietnam, jusqu’à ce jour, l’application de la science à l’histoire, aux problèmes de psychologie, de l’art se limite à quelques études freudiennes sur la poétesse Hô Xuân Huong (XVIIIe siècle) et Kiêu, héroïne du chef d’œuvre poétique national de Nguyên Du (XVIIIe siècle).

Le Dr Bùi Minh Duc réunit les conditions pour réaliser son œuvre histoire-médecine : il a de solides connaissance en histoire et autres disciplines voisines (archéologie, linguistique…) une formation interdisciplinaire en médecine. L’état avancé des sciences à l’heure actuelle favorise ses recherches. Bùi Minh Duc établit pour chaque cas étudié une fiche médicale située dans un environnement historique, social et psychologique déterminé. Après l’induction, il procède à une déduction rigoureuse, comme un Sherlock Holmes culturel.

Citons comme exemples quelques-unes de ses études.

Le cas de la reine Duong Vân Nga

 

Veuve du roi Dinh Tiên Hoàng (924-979), Duong Vân Nga a épousé le régent et général Lê Hoàn porté sur le trône (sous le nom de Lê Dai Hành), avec son consentement, par l’année, face à l’imminence de l’invasion chinoise des Song. L’histoire officielle condamnait ce mariage. Le Docteur Duc juge que la reine était victime d’une morale confucéenne trop sévère. Son analyse médicale trouve que le roi Lê Dai Hành, était affecté par le tyrannisme-sadisme et que son fils le roi Lê Long Dinh, célèbre pour ses cruautés, était la proie du sado-masochisme.

Le roi Quang Trung (XVIIIe siècle), héros national qui a repoussé une puissante armée d’invasion mandchoue est mort d’hémorragie subarachnoïde et de pneumonie.

Le roi Minh Mang (1820-1840) avait des enfants avec 43 femmes de son harem. Sexuellement puissant, il a réalisé un équilibre psycho-physiologique lui permettant de se consacrer avec efficacité aux affaires d’État.

Le roi Tu Duc (1848-1883), physiologiquement et psychologiquement, lui était diamétralement opposé. Son règne est marqué par la conquête française du Vietnam. Affaibli par une révolte au Nord, il cède à la France la Cochinchine Orientale (1862), tente en vain de négocier sa restitution, puis perd la Cochinchine Occidentale en 1867. Après la mort de Françis Garnier conquérant Hanoi (1873), il obtient l’évacuation du Nord Vietnam (Tonkin) par les Français, mais il se rapproche de la Chine dans l’espoir de contrer les Français.

Finalement, les Français occupent le reste de son pays. Consciencieux et très pieux à l’égard de sa mère, confucéen orthodoxe, Tu Duc est de caractère faible, efféminé, irrésolu en proie au complexe d’infériorité. Conservateur, il s’oppose à toute réforme. Sa mentalité s’explique en partie par sa faiblesse physique. Il est malade dès son enfance, il est infecté par la variole et 13 autres maladies en particulier l’infertilité par suite d’azoospermie qui est la principale cause de la faiblesse de son caractère.

Le Dr Duc émet une hypothèse : si à cette époque (de la Patrie en danger), il y avait eu un Tu Duc physiquement fort, énergique, la situation du pays aurait été meilleure ? La Cour aurait échappé à une impasse… et ne se serait pas résignée à accepter la perte de l’indépendance nationale.

Je pense plutôt que la ligne politique de Tu Duc subissait l’influence déterminante non de sa santé mais plutôt de sa conviction idéologique confucéenne. Un Tu Duc fort et résolu n’aurait pas pu sauver son pays, s’il n’avait pas pratiqué une politique de modernisation et d’ouverture à l’Occident comme l’empereur du Japon en 1867.

Le médecin royal Trâu Canh (XIIIe siècle) mérite d’être le premier sexologue vietnamien.

La mort du poète national Nguyên Du (1820), est un cas intéressant :

Gravement malade, il refusait tout médicament. À la dernière minute, il a demandé : «Touchez mes pieds, sont-ils déjà glacés ?»  On a touché ses pieds et lui a répondu : «C’est glacé !». Il a dit dans un soupir : «Bien !» et s’est éteint. Après une laborieuse recherche historique et médicale, le Dr Duc a conclu que Nguyên Du était mort de choléra en 1820. Ce que confirme L’histoire de la médecine des docteurs Chastel et Cénac : la première pandémie de choléra (1817-1823) apparaît en Birmanie, au Siam, en Chine avant d’atteindre l’Afrique, la Perse… Le Vietnam ne peut échapper à la contamination.

Huu Ngoc/CVN

 

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