Les Vietnamiens sont attachants et chaleureux. |
Photo : CTV/CVN |
La première question que les élèves nous posaient était invariablement : “Quel âge avez-vous ?”. Pour les Québécois et Québécoises retraités, la réponse devenait embarrassante. J’appris toutefois assez rapidement la raison de cette indiscrétion. Dans le langage vietnamien, les formules de salutation varient selon votre âge, votre occupation et même selon les liens que vous avez avec les membres de la famille. Cela va sans dire que nos cheveux blancs, même quand ils étaient camouflés, et les fonctions que nous occupions dans la société vietnamienne appelaient immédiatement au respect. Si en plus, on apprenait à vous connaître et qu’on vous découvrait francs et sincères dans l’amitié que vous leur portiez, alors là, vous deveniez un invité de marque. On ouvrait son cœur à la générosité et parfois son âme à la confidence.
Les plus grands plaisirs
Parmi les plus grands plaisirs que nous pouvions leur faire, figuraient aux premiers rangs l’appréciation de leur cuisine (ce que j’ai fait en abondance), le port de l’áo dài ou tunique traditionnelle vietnamienne (on me disait très élégante dans ce costume mais ma taille en largeur étant presque le double de celle de la plupart des femmes vietnamiennes, j’avais plutôt l’air d’un hippopotame dans une peau de gazelle. Et l’apprentissage de leur langage, ça, je n’y suis pas arrivée. J’avais l’impression de leur manquer de respect à chaque tentative).
Des Vietnamiennes en "áo dài". |
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Lors des grands banquets, les marques de respect se manifestaient dans mon bol. On y mettait les morceaux de choix : fœtus de porc, de l’estomac, du rat des champs, du crocodile, du serpent, des petits oiseaux frits bien complets, de la pâte de crevettes macérées (Ouf ! Quelle odeur pour mes narines puritaines), des pattes de poules, de la peau de porc soufflée et bien d’autres plats de la même gamme. II ne manquait pas non plus de mets moins singuliers qui faisaient le délice de mon palais occidental. Toutefois, je ne me décidai jamais à manger du chien ni les œufs de cane couvés ou ceux vieillis à point qu’un ami les appelait “les œufs pourris”. Même si ces plats étaient très appréciés des Vietnamiens, la bravoure de mon estomac n’allait pas jusque-là.
Les Vietnamiens marquent souvent leur reconnaissance par des petits cadeaux de toutes sortes. II n’était pas rare de recevoir chez moi en soirée ou le dimanche, des enseignants les bras chargés de fruits ou de gâteries. S’ils revenaient d’Europe ou d’Amérique, ayant participé à une formation ou un échange culturel, il y avait toujours, au retour, un petit quelque chose pour madame l’assistante pédagogique.
Chaque fête devenait un prétexte à de petites surprises bien typiques : les gâteaux de la Fête de la mi-automne, des tissus ou des fleurs à la Journée des enseignants (20 novembre), à la fin d’un semestre ou de l’année scolaire, des fruits à Noël et au Têt traditionnel (Nouvel An lunaire), et toutes sortes de surprises qui me donnaient parfois du mal à fermer ma valise chaque fois que je revenais au Québec (ayant même des cadeaux pour ma maman). Je répondais de la même manière quand j’allais en voyage. Je cherchais des petits (parce que j’en avais plusieurs à rapporter) souvenirs qui ne se trouvaient pas au Vietnam. C’était un tour de force chaque fois mais j’en étais bien récompensée. Les Vietnamiens ont gardé ce “côté enfant” que trop souvent nous avons égaré comme adulte. Je vivais toujours de belles émotions à lire la joie et l’émerveillement sur leur visage quand ils déballaient ces petits riens. Cela valait amplement le prix que j’avais investi.
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Nos petites fêtes se terminaient plus souvent qu’autrement, au karaoké où j’arrivais à les faire rire en chantant en vietnamien. Le volume de la musique atteignait une fréquence si élevée que je reconnaissais leur grande politesse lorsqu’ils me félicitaient sur “ma prononciation”. J’en étais persuadée, pas plus que moi, ils n’avaient distingué un seul son. Mais la chaleur de l’amitié ne se souciait guère de ce détail. Nous ne gardions en souvenir que la douceur de ces moments privilégiés. Accepter de les accompagner dans ces cavernes à chansons, c’était se rapprocher de leur amitié. Chez eux, le karaoké s’apprécie tout autant qu’une bonne bouffe et y participer me permettait de me nourrir à leur culture encore un peu plus.
Des hommes de cœur
Les Vietnamiens ont le cœur sur la main et ne comptent pas leur temps quand il s’agit de rendre un service. Malgré les heures de travail qui les occupaient de très tôt le matin jusqu’à tard le soir, les enseignants qui travaillaient avec moi arrivaient à dérober quelques minutes à leur horaire bien chargé, pour prendre soin de moi. Je toussais un peu... le soir on m’apportait à souper et j’avais le lendemain des fruits ou du sirop de fruits alcoolisés pour vivement recouvrer la santé. J’admirais des tissus... on offrait vite de m’accompagner pour faciliter mon achat et si je n’avais pas le temps de chercher où faire coudre mon vêtement, on m’emmenait chez un couturier. Mes désirs se comblaient presque avant que je les exprime.
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Cette serviabilité me gênait parfois mais un refus risquait d’offusquer. Un jour, une enseignante avait assisté à une de mes séances de consultation d’un “tireur de cartes”. Celui-ci avait mentionné que je devais surveiller ma santé plus précisément au niveau du foie. Le soir même, elle m’obligeait à faire une cure de nettoyage. Pendant dix jours, elle faisait bouillir de l’écorce de pamplemousse avec un légume spécial et j’ignorais quoi encore, pour me l’apporter afin que je le prenne le matin du lendemain. Je savais la surcharge de travail qu’elle s’obligeait pour mon “remède“ mais comme elle n’acceptait aucune marque de refus, je suivis consciencieusement Ia cure. Si le goût de la potion ne plaisait pas à mes papilles gustatives, mon foie, lui, s’en réjouissait et s’en portait à merveille.
Ma conductrice, celle qui était presque mon double vietnamien, comptait aussi au nombre de mes anges gardiens. Elle se montrait d’une patience exceptionnelle envers moi. Elle me transportait partout où je devais me rendre parfois même le samedi. Elle refusait que je prenne un taxi quand je ne savais trop à quelle heure finirait mes rencontres. Elle préférait m’attendre des heures pour m’éviter cette dépense. Elle m’indiquait les lieux à fréquenter, où acheter mes fruits, les prix raisonnables pour un étranger, elle postait mon courrier, faisait réparer mes chaussures...et tout un tas de petits services qu’elle refusait que je fasse moi-même sous prétexte que “madame travaille beaucoup”.
J’ai aussi découvert chez ce peuple, des gens différents et fiers de leur différence. Ils savent en rire surtout quand les gens d’ailleurs s’étonnent de ce qu’ils voient. Quand résonne la formule : “Nous les Vietnamiens...”, on voit s’ouvrir un peu le monde de leur identité et nous voilà prêts à les accepter même dans ce qui nous semble inacceptable. D’ailleurs, ils sont tels qu’ils sont, c’est à prendre ou à laisser. J’ai pris le risque de m’en approcher et j’ai découvert des gens travailleurs, attachants et rieurs.
Dorothée Roy/CVN