À la mode, à la mode

Les Vietnamiennes sont très élégantes. La vision de ces belles si délicatement vêtues et les couleurs chatoyantes des tissus captaient mon regard et m’incitaient à la dépense.

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Des Vietnamiennes en "áo dài".
Photo : VNA/CVN

Le ventre de ma garde-robe s’enflait de vêtements plus que je pouvais en porter et pour me le faire savoir, les avait recrachés à plusieurs reprises. Le dos rompu, l’armoire n’arrivait plus à supporter leur poids.

La plupart de ces tenues vestimentaires qui, de retour au Québec (Canada), faisaient l’envie de mon entourage, mon ego les a chèrement payées. Quand mon moral traînait la patte et que l’ennui me chagrinait le cœur, je m’empressais d’aller fouiner du côté des boutiques de mode féminine. Mes yeux, mon cœur et ma féminité frémissaient devant ces montagnes de soie douce, colorée et miroitante. On y ajoutait broderies et paillettes pour les modèles les plus extravagants ; il ne me restait plus qu’à faire mon choix... si je savais encore où donner de la tête. J’étais tombée au pays de l’élégance et j’allais me satisfaire.

Femmes aux doigts de fée

Mais le sort se montrait difficile pour moi. À peine les vendeuses m’avaient-elles aperçue, qu’elles s’élançaient sur les lignes XXXL ! Ces extras larges à la vietnamienne répondaient rarement à ma taille (pourtant je n’ai que quelques petits kilos en trop, pas plus) et en grand format, les belles toilettes perdaient leur allure royale. D’autres vendeuses, par gentillesse et sans doute pour m’éviter une recherche inutile, avant même que je sois entrée, agitaient vigoureusement les mains pour me signifier que ce prêt-à-porter ne m’était pas destiné. Si je persistais et que je m’entêtais à examiner de plus près les chemisiers, les tuniques vietnamiennes ou autres, avec le sourire et en paroles cette fois, on réitérait ce que je n’avais pas semblé comprendre. Le couperet de ce “Madame is too big” m’entaillait le moral et me hachait l’orgueil. Je ressortais de ces magasins pour “anorexiques”, la tête haute avant de perdre la face.

Pour consoler ma fierté piquée au vif, je me répétais “Madame n’est pas too big, ce sont les vêtements qui sont too small” !

Puisque le prêt-à-porter ne se trouvait pas à ma mesure, je m’offrais des vêtements cousus à ma taille. Je me mis à fréquenter régulièrement les tailleurs et les couturières. Je détournais le regard (je n’y arrivais malheureusement pas avec les oreilles) quand les couturières prenaient mes mesures et les dictaient en riant à leurs assistantes. J’avais quand même un peu d’amour-propre. Je faisais semblant de ne pas saisir le manège. Je tenais à ma face autant qu’à ces habits. Dans le domaine de la couture, j’ai apprécié leurs capacités à copier dans les moindres détails : ces femmes ont des doigts de fée. Je composais mon modèle et qu’il ait été folichon ou de toute simplicité, on me les confectionnait en un tour de main et à peu de frais. Tout de même un léger ajout pour la “big madame” puisqu’on utilisait une quantité de tissu proportionnelle à ses mensurations, mais le vêtement demeurait, et de loin, à portée de mes revenus.

Relations amicales tissées de fils de soie

Les seuls problèmes que nous leur causions, nous les occidentales, à ces reines de la couture, étaient lies à nos grosses fesses et poitrines. Les femmes vietnamiennes n’ont pas hérité de courbes aussi généreuses que nous sur ces terrains alors, il leur fallait user de stratégies jusque-là inconnues d’elles pour ajuster sans faux plis le contenant au contenu.

Boutiques dans la rue Dông Khoi, 1er arrondissement de Hô Chi Minh-Ville.
Photo : CTV/CVN

J’ai si souvent succombé devant cette mode affriolante, que de retour au Québec, j’ai donné des dizaines de ces vêtements que bien souvent je n’avais pas encore eu le temps ou l’occasion de porter. Je donnais ma chemise à toute volée. Quelle belle générosité !

Après cinq ans, dans toutes les boutiques de la rue Dông Khoi (ou presque) du 1er arrondissement de Hô Chi Minh-Ville, on me connaissait. Je me suis gavée de soie sous toutes ses formes, de bijoux de pacotille, de souliers à la douzaine, de vernis à ongles, de tous les atours qui me faisaient “belle”. Je devenais une dame très coquette et en ajoutant le fait que je ne faisais ni lavage, ni ménage, ni cuisine, j’avais l’impression de vivre comme une riche dame de la classe supérieure. Cela devait constituer ma face cachée puisque je n’avais plus l’allure de celle qui avait quitté le Québec quelques mois auparavant. J’en étais ravie. Ma coquetterie faisait rire les enseignantes (parfois même des élèves ou des parents d’élèves) qui, sous différents prétextes, se mirent à m’offrir des coupons de tissus tout en me conseillant sur la coupe à choisir. Je leur offrais par la suite, le plaisir d’admirer le résultat. Ils levaient le flambeau de leur fierté à hauteur de la mienne : ils avaient participé au chef-d’œuvre ! Quels beaux moments de tendresse j’ai partagé à discuter chiffons, mode et tenues vestimentaires ! C’était banal, pouvait-on croire. Toutefois, ces amitiés, tissées de fils de soie faisaient oublier le grand trou creusé par l’absence des miens et la distance que même les pensées heureuses mettaient trop de temps à franchir pour les atteindre.

Affection pour les gens

Comment pouvais-je m’empêcher de me prendre d’affection pour ces gens du pays qui savaient arrêter le temps pour réchauffer les relations humaines ? Quelquefois, pour chasser mes nostalgies, je fréquentais un de mes lieux privilégiés pour me retrouver dans un tourbillon foisonnant de mouvement : j’allais faire un tour au marché. J’appréciais cet endroit où je m’amusais sans malice. La frénésie m’y capturait et je finissais par acheter des babioles dont bien souvent je ne savais que faire une fois à la maison. Même si j’en ressortais épuisée par le haut voltage d’activité, j’avais fait le vide de mes malaises et le plein d’énergies nouvelles. C’était éblouissant, je pétais le feu !

J’avais déjà vu des marchés similaires mais dans ceux du Vietnam, la quantité de marchandises exposées m’impressionnait. Un régal de couleurs ! Je demeurais éblouie par les montagnes de tissus, de vaisselle, de nappes, de souliers, de... de... enfin, tout s’étalait en monticules du plancher au plafond et encore, s’il manquait du modèle, de la couleur ou du format désirés, on courait ailleurs vous le chercher.

Une règle immuable : ne jamais regarder les vendeuses dans les yeux, sinon j’étais faite ! Infailliblement, elles y lisaient mes intentions d’acheter même sans réduction. Elles connaissaient l’art du camouflage mieux que le client. Mais là j’avais au moins l’avantage de pouvoir les désarçonner en mentionnant que je connaissais les prix puisque je vivais parmi eux depuis plusieurs années. Le rire déferlait immanquablement. Ces moments figurant encore en bonne place au carnet de mes souvenirs de voyage.

Je disais souvent que pour bien connaître un peuple, il importe de visiter ses marchés. Cette règle s’appliquait pour moi de la même manière. II suffisait sans doute de me voir déambuler à travers les allées pour apprendre à me connaître un peu plus. Je faisais sans doute office de miroir de ma pensée.

Dorothée Roy/CVN

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