Dans une ambiance de classe d'école, au Centre européen de recherche nucléaire (CERN) près de Genève, ces cinquantenaires aux allures de grands garçons à l'œil pétillant ont rappelé comment ils ont inventé la programmation informatique qui allait changer la face du monde.
Leur but, en 1989, était de permettre à des milliers de physiciens à travers le monde de communiquer et d'échanger à distance leurs données, et cela en toute simplicité.
À l'époque, l'ordinateur personnel (PC) en était encore à ses balbutiements. Chaque ordinateur était doté d'un système informatique complexe qui lui était propre et qui le rendait incompatible avec les autres. Quant au travail en réseau, il était d'une extrême lourdeur.
Un jour de mars 1989 dont il ne se souvent plus exactement, Tim Berners-Lee, un ingénieur informatique en contrat temporaire au CERN, remit à son supérieur un document intitulé "Gestion de l'information : une proposition".
Le document, que cet Anglais aujourd'hui âgé de 53 ans a conservé, porte encore la trace du commentaire laconique mais prémonitoire que son supérieur, Michael Sendall, avait griffonné en haut de la page : "vague mais passionnant".
"Mike était un chef qui ne disait pas non", se souvient l'ingénieur belge Robert Cailliau, qui a fait équipe avec Berners-Lee et surnommé à l'époque "le deuxième utilisateur du web". "Il a été crucial pour que le projet voit le jour", estime M. Cailliau.
Le document plaidant pour la mise en place d'un réseau universel basé sur l'hypertexte (le langage de programmation qui permet de générer des liens entre pages sur la Toile) contenait un diagramme compliqué avec un cercle estampillé "Mesh" au centre.
"J'ai réfléchi à ce mot +mesh+ et me suis dis que ça sonnait un peu trop comme +foutoir+ (mess en anglais, NDLR), raconte M. Berners-Lee, qui jeta finalement son dévolu sur l'expression World Wide Web en mai 1990.
Le directeur général du CERN de l'époque, Rolf-Dieter Heuer, un physicien allemand, se rappelle qu'il n'a "pas cherché à en savoir plus". "Nous n'avons pas prévu le formidable phénomène que ce nouveau système allait provoquer", note-t-il modestement.
Sur la base des premières expériences, le CERN fournit ensuite une sorte de matrice pour les premiers développements du web. Il accueillit plein d'informaticiens qui s'ingénièrent à résoudre les problèmes. De façon tout à fait inhabituelle pour l'époque, "il y avait un ordinateur sur chaque bureau", remarque M. Heuer.
Le maître mot du projet était : "Partageons ce que nous savons". Pour autant, les Berners-Lee, Cailliau, Segal et Jean-François Groff, un jeune informaticien français qui effectuait son service civil au CERN, eurent à vaincre certaines réticences.
"Se connecter depuis nos laboratoires sur un réseau externe au CERN était en fait interdit jusqu'à 1988-1989", rappelle M. Segal. "Le CERN est plein de types intelligents qui ont des bonnes idées. Celle-là n'en était qu'une de plus", poursuit-il.
Il fallut plus d'une année à Berners-Lee pour développer un navigateur internet. L'intéressé se souvient que quand ses acolytes et lui firent les premières démonstrations, et que d'un simple clic sur un lien, une nouvelle page apparaissait, les réactions se résumaient alors souvent à un "et alors?".
"Après, ça a vraiment démarré parce que les gens d'un bout à l'autre de la planète, de simple gens, se sont impliqués", raconte M. Berners-Lee. "L'universalité, telle était la règle. Et ça a marché", ajoute-t-il.
Le premier serveur hors d'Europe à être connecté à celui du CERN, en Californie, le fut fin 1991. Puis en 1993, le CERN mis le navigateur dans le domaine public.
Vingt-ans après ses débuts, le web n'a pas encore livré tout son potentiel, juge M. Berners-Lee. "C'est juste la pointe de l'iceberg."
AFP/VNA/CVN