Luong Viêt Loi montre des photos de son aventure. |
Dans la région côtière de Sâm Son, province de Thanh Hoa (nord du Centre), le radeau de bambou constitue depuis des siècles l’outil de travail pour la pêche côtière de ceux qui n’ont pas les moyens de se payer un «vrai bateau». Il y a 21 ans, un pêcheur local, 34 ans à l’époque, a accepté de suivre une équipe anglo-irlandaise pour une traversée du Pacifique à bord de cette embarcation de fortune. Cet homme s’appelle Luong Viêt Loi.
Un projet fou
Les radeaux de bambou utilisés par les pêcheurs de Thanh Hoa sont de petites embarcations rudimentaires, confectionnées à partir d’un bambou géant du genre Dendrocalamus (plus précisément D. membranaceus, cây luông en vietnamien). Les pêcheurs les assemblent avec des lianes de rotang, très résistantes à l’eau.
Luong Viêt Loi, 55 ans, se rappelle : «En 1993, Tim Severin, un navigateur britannique, aussi écrivain, est venu me voir pour me demander de construire un radeau de bambou traditionnel».
Tim Severin lui a dit que lui et son équipe avaient passé plusieurs mois en Chine et en Thaïlande pour étudier les radeaux de bambou en vue d’un périple trans-Pacifique.
Au Vietnam, ils se rendent directement dans la province de Thanh Hoa. Après la visite du musée provincial et l’examen d’un radeau de bambou à Sâm Son, ils jettent leur dévolu sur le modèle local. «J’ai trouvé ce projet fou, se souvient Luong Viêt Loi. Mais j’ai décidé d’y participer».
Loi mobilise une centaine de menuisiers locaux. Environ 550 luông et des centaines de mètres de rotang sont utilisés. Les travaux durent six mois. Dimension du bateau au final : 20 mètres de long et 6 mètres de large. Nom de l’embarcation : Hsu Fu, du nom d’un navigateur et explorateur envoyé en mission dans le Pacifique par le premier empereur de Chine, Qin Shi Huang (voir encadré).
Le 16 mars 1993, l’engin, doté de trois voiles de 75 m² chacune, est mis à flot avant d’être transporté un mois plus tard à Hongkong (Chine). Loi, expérimenté dans la menuiserie et la pêche au large, est l’unique Vietnamien sélectionné pour accompagner l’équipe, composée de Tim Severin - le leader -, d’un docteur et de deux spécialistes de la navigation à voile. «C’est ainsi qu’à l’âge de 34 ans, j’ai quitté ma famille, ma femme et deux enfants, sans trop savoir dans quoi je m’embarquais», raconte-t-il.
La galère commence
«Le 17 mai, l’aventure commence à Hongkong. Lorsque les drapeaux du Vietnam et de l’Irlande ont été hissés, je me suis senti très fier et en même temps ému. J’ai oublié tous les dangers qui m’attendaient».
Le Hsu Fu avec à son bord les cinq membres d’équipage, dont Loi est l’unique Vietnamien. |
Au début, entre Hongkong et Taïwan (Chine), le Hsu Fu affronte quatre tempêtes, dont l’une qui brise un mât. Après une réparation de fortune, le Hsu Fu se dirige vers le Japon. De là, il met le cap plein Est, vers San Francisco. «Durant toute la traversée, l’équipage respecte un train-train bien précis : deux heures de sommeil, puis quatre heures de quart», explique Loi.
Les difficultés sont nombreuses, notamment les ruptures de rotang qui obligent à des «bains» prolongés dans une eau guère tropicale. Mais surtout, Loi et Tim rencontrent des problèmes de santé. «J’ai eu mal à la poitrine pendant des semaines alors que Tim a eu deux côtes brisées après avoir été frappé par une voile. Il a dû rester immobile une semaine».
Deux fois frôlés par la mort
Loi se rappelle de deux événements majeurs où «nos vies n’ont tenu qu’à un fil». La première, une nuit, en raison de l’absence de signalisations, le Hsu Fu manque de se heurter un grand navire. Heureusement, Loi réussit à changer la direction du radeau in extremis. La deuxième, ils tombent sur des pirates. «Ils sont montés sur le radeau et l’ont fouillé. Ne trouvant rien de valeur, ils sont repartis sans faire de mal à quiconque».
Le 29 septembre, l’équipage est à 1.000 miles (1.600 km) des côtes californiennes. Mais des vents contraires l’empêchent d’avancer. «Durant dix jours, nous n’avons pu progresser d’un mètre. En plus les tiges de rotang étaient pourries et le radeau menaçait de se disloquer à la moindre tempête. Le 16 novembre 1993 à la nouvelle d’un typhon qui s’approchait, nous avons été contraints d’abandonner le +Hsu Fu+. Un navire battant pavillon japonais nous a ramené à Tokyo».
Après 110 jours et nuits en mer, 5.500 miles (8.850 km) parcourus, Loi revient chez lui sain et sauf avec des tonnes de souvenirs en tête. Avant le départ, il ne connaissait que quelques petits mots anglais, mais à son retour, Loi a un vocabulaire assez riche avec notamment beaucoup de termes de marine. «Durant ces nombreux mois en mer, j’ai appris le vietnamien à mes compagnons et eux m’ont appris l’anglais», se souvient-il.
Selon Dàm Thi Thai, chef adjointe du Département de la culture et de l’information du Comité populaire du chef-lieu de Sâm Son, l’aventure de M. Loi sur un bateau de bambou fabriqué selon les méthodes traditionnelles de la province de Thanh Hoa, a démontré la qualité de ce type d’embarcation. «La province de Thanh Hoa a donné le feu vert au chef-lieu de Sâm Son pour restaurer ou fabriquer des radeaux de ce type au service du tourisme», informe-t-elle.
Tim Severin, un écrivain voyageur
Tim Severin est né en 1940 en Inde. Explorateur, historien et écrivain britannique, il est célèbre pour avoir tenté à plusieurs reprises de transposer dans la réalité des voyages légendaires, entre autres, ceux de Sinbad le marin et de saint Brendan. Il a écrit de nombreuses œuvres, dont le récit de voyage The China voyage, (voyage dans l’océan Pacifique à bord d’un radeau en bambou, le Hsu Fu).
D’anciens textes chinois racontent l’histoire de Hsu Fu, un navigateur et explorateur envoyé par le premier empereur de Chine, Qin Shi Huang, en 218 avant J.-C., dans l’«océan de l’Est» (c’est-à-dire le Pacifique) à la recherche de médicaments qui prolongent la vie. Hsu Fu a fait le voyage sur un radeau de bambou, et certains pensent qu’il été jusqu’en Amérique.
Tim Severin a cherché à prouver qu’un tel voyage était possible. Après avoir parcouru 5.500 miles (8.850 km) en 110 jours, Severin et son équipage ont été contraints d’abandonner le radeau à environ 1.000 miles (1.600 km) des côtes américaines. Bien que le Hsu Fu n’ait pas terminé son périple, Severin a estimé que le voyage avait atteint son but, à savoir montrer qu’un radeau de bambou du IIe siècle avant J.-C. aurait pu traverser le Pacifique, et donc atteindre le continent américain bien avant un certain Christophe Colomb.
Linh Thao - Phong Delon/CVN