Ça, c’est envoyé !

Un pli urgent ? Un mandat à envoyer ? Un colis pour un anniversaire ? Des timbres pour l’autre bout de la terre ? Pas de problèmes, la poste est là pour ça. Mais c’est parfois digne d’un parcours d’obstacles !

S’il y a bien une institution internationale qui traverse les siècles, c’est la poste. Qu’on l’écrive avec un P majuscule du côté de Brest, ou qu’on la nomme «buu điên» à Hanoi, cette vénérable institution accueille à bureaux ouverts tous ceux qui ont quelque chose à s’envoyer. Même si chats, réseaux sociaux et autres SMS ont remplacé la classique missive, il reste encore quelques opérations de communication sociale qui rendent incontournables les services d’un bureau de poste. Il était donc inévitable qu’entre la poste et moi une rencontre ait lieu un jour.

Poste halle

Je me souviens de la première poste que j’avais visitée au Vietnam. C’était il y a plus de vingt ans. Simple touriste alors, j’avais suivi les recom-mandations d’un guide qui m’avait entraîné dans une sorte de cathédrale mi-rococo, mi-art déco : la poste de Hô Chi Minh-Ville. Devant ses cabines téléphoniques de bois ciré qui donnaient envie de demander le 22 à Asnières et son armature de halle au grain, j’avais l’impression d’être transporté au temps des messageries maritimes, quand une lettre d’amour envoyée pour la Saint Valentin arrivait à sa destinatrice au moment des vendanges. Comme quoi, il n’y a pas de saison pour cueillir les fruits de la passion ! Depuis, j’ai croisé bien d’autres bureaux de poste, qu’ils soient de ville ou de village ! Mais celui où je me rends le plus souvent, c’est la poste centrale de Hanoi, au bord du lac Hoàn Kiêm…

La poste centrale de Hô Chi Minh-Ville.

De l’extérieur, le bâtiment est moins séduisant que celui de la métropole du Sud. Pas de niches et d’encorbellements, mais une façade cubique et lisse qui semble dire que ici c’est du sérieux ! Après avoir gravi les quelques marches pour pénétrer dans la salle principale, pas de galeries commerçantes grouillantes de visiteurs curieux, mais un immense hall carrelé, quasi désert, doté d’une splendide fresque murale. Ici, on ne vient pas pour baguenauder, on vient pour envoyer ! C’est aux guichets que l’on se presse, pas dans la salle des pas perdus. Mais la faible démographie au mètre carré permet de vivre une expérience acoustique surprenante…

En effet, la moindre parole émise depuis le centre de cette imposante salle rebondit sur les murs de béton, saute sur le sol carrelé, percute le haut plafond de stuc et nous revient aux oreilles en un vaste écho qui donne à tout murmure la résonnance d’une note d’opéra. Avis aux ténors ou cantatrices amateurs qui ne peuvent s’offrir la Scala ! Mais, que ça me chante ou pas, si de temps en temps je vais dans cette poste, c’est bien pour envoyer des colis à ma belle-famille, qui les attend impatiemment à quelques centaines de kilomètres de Hanoi. Cependant, leur impatience à recevoir n’est rien en regard de ma patience pour envoyer…

En effet, avant de venir au Vietnam, j’avais une certaine image de la poste : une file d’attente devant les guichets, une ligne de discrétion qu’il ne faut pas franchir sans y être invité par le préposé, parfois un ticket d’ordre de passage. Ici, la règle est différente, et ne pas la connaître vous fait courir le risque d’envoyer la boîte de biscuits achetée le matin même après sa date de péremption !

Parce que vous êtes de fidèles lecteurs, voici la stratégie à mettre en œuvre pour poster efficacement ! En premier lieu, s’armer de patience et de détermination, qualités éminemment vietnamiennes qui manquent à nombre d’Occidentaux. La patience vous servira dans vos rapports avec la préposée. Je dis bien LA préposée, car hormis une seule fois, je n’ai jamais eu d’autres interlocuteurs que des interlocutrices ! La détermination vous servira dans vos rapports avec les autres usagers. Maintenant que vous connaissez les compétences à mettre en œuvre, le compte à rebours commence.

Service postal

- Dirigez-vous, d’un pas assuré, bras chargé de votre colis, vers le guichet d’expédition ! Attention à ne pas vous tromper de guichet, car entre celui qui vend des timbres, celui qui prend en charge les mandats, celui qui est réservé aux démarches administratives et celui dont je n’ai pas encore déterminé l’usage, vous pourriez être redirigé aimablement mais fermement, et ainsi perdre un temps précieux.

- Ne soyez pas impressionné par la foule qui s’agglutine devant le guichet ! Avec résolution, forcez le passage, glissez-vous entre deux dos, passez votre tête par-dessus une épaule d’usager et votre bras sous celui d’un autre, donnez un léger coup de coude à votre voisin de droite et un doux coup de genou à celui de gauche, puis demandez un papier à remplir pour envoyer votre colis ! Même si la préposée, occupée à tamponner un formulaire, ne vous regarde pas, elle vous entend et vous remet le précieux document.

- Reculez-vous, sans lâcher votre colis, ni le papier ! Pour cela, un bref stage au poste de talonneur dans l’équipe de rugby du lycée ou de l’université peut être un plus. En effet, n’oubliez pas que vous n’êtes pas seul, et que ceux qui arrivent derrière vous pratiquent de la même façon que vous le fîtes à l’étape précédente !

- Sorti de la mêlée, si vous n’avez pas eu la présence d’esprit d’emporter un stylo avec vous, il va falloir partir à la chasse au stylo. Bien sûr, il y a les portes-stylos qui laissent pendouiller, au bout de fils plastifiés, les précieux instruments. Sauf que tout ce qui pendouille n’est pas toujours en état de marche ! En outre, ils sont aussi rares que neige dans le désert… En ce qui me concerne, sauf à frapper sauvagement la jeune fille qui remplit son formulaire pour lui voler son stylobille, je vais tout au bout de la rangée des guichets, justement celui dont je ne sais à quoi il sert, mais qui a l’intérêt de présenter un porte-stylo dont l’office me satisfait. Il est vrai que la première fois, lorsque l’employée des postes, ici postée, m’a vu déposer mon colis sur sa banque, elle m’a clairement signifié que ce n’était pas ici un lieu de dépôt. Mais sourire et pratique du vietnamien courant ont eu raison de sa défense territoriale, et depuis je trouve toujours stylo ouvert à cette place. En vous dévoilant ceci, j’ai bien conscience que la prochaine fois que j’irai poster un colis, je risque de vous découvrir occupant cette place. Mais au moins, je saurais que vous avez lu cette tranche de vie !

- Formulaire rempli, sans vous tromper, et en mettant les accents au bon endroit et les signatures dans la bonne case, il faut retourner dans la fournaise. Même opération que précédemment, mais, cette fois, en tenant à bout de bras colis et formulaire. L’objectif est d’occuper le premier rang, contre le comptoir, en déposant le colis qu’il ne faut surtout pas lâcher. Mais attention, être au comptoir face à la préposée ne suffit pas. Il faut y rester, et surtout bien suivre les opérations. En effet, ceux qui arrivent derrière n’ont qu’une envie : vous passer devant. Surtout pas d’énervement. Restez calme, ignorez la pression des corps contre le vôtre, campez-vous fermement sur vos deux jambes, regard fixé sur la responsable du lieu !

- Le moment crucial arrive. Dès que l’argent de celui qui vient d’avoir la chance de réaliser son opération est passé dans le tiroir caisse et que sa monnaie lui est rendue, agissez ! Tendez votre formulaire d’une main et poussez votre colis devant vous ! Dextérité et rapidité sont les maîtres-mots. Car vous n’êtes pas le seul à guetter ce moment, et c’est une foule de mains qui se précipitent sur la fonctionnaire, heureusement séparée des naufragés de l’envoi postal par un providentiel comptoir.

- Votre formulaire et votre colis sont remis à la personne compétente. Il vous suffit de patienter : emballage de kraft avec renforts de papier adhésif si votre colis est mal ficelé, tampons rouges frappés sur les documents, annonce du coût d’envoi et remise des fonds qui donnent le coup d’envoi de votre colis.

- C’est fini ! Maintenant, ça ne vous concerne plus… Il ne reste plus qu’à s’extirper de la presse envoyeuse qui vous entoure comme un cocon vivant. C’est l’affaire de quelques poussées fermes mais amicales, et vous voilà à l’air libre.

On peut aussi envoyer son colis dans d’autres bureaux de postes, moins fréquentées et aux heures creuses, mais c’est tellement moins amusant.

Je ne vous l’envoie pas dire !

Gérard BONNAFONT/CVN

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