Le Vietnam inquiet de sa consommation d’alcool

Boire plus que de raison est devenu aujourd’hui monnaie courante au Vietnam, en ville surtout. Un phénomène néfaste qui inquiète l’ensemble des pouvoirs publics, depuis le secteur de la santé jusqu’à la culture.

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Une campagne pour sensibiliser les conducteurs de camion aux dangers de l’alcool, organisée à Hanoi il y a quelques années déjà.
Photo : Thê Duyêt/VNA/CVN

Zô ! Zô… ! Des acclamations tonitruantes s’échappent d’un estaminet, après les heures de travail. Tous les gens lèvent leur verre et lampent jusqu’à la dernière goutte le précieux breuvage. Une dizaine de minutes après, la scène se répète.

Une scène habituelle, partout dans le pays. Toutes les occasions sont bonnes : match de foot, fête entre amis, anniversaire... Un déplorable phénomène de société soupirent certains, qui pointent du doigt ses graves conséquences sanitaires et sociales.

«Une boisson fortifiante et bon marché»

«Je viens ici régulièrement avec mes amis, après le travail, histoire de décompresser. On prend chacun trois, quatre ou cinq chopes. La bière à la pression est une boisson à la fois rafraîchissante, fortifiante et bon marché», confie Hung, employé de magasin. Selon lui, avec un prix avoisinant 6.000 dôngs par verre, cette boisson est «accessible à toutes les bourses».

Selon un rapport de l’OMS, le Vietnam est le 3e consommateur de bière en Asie, après le Japon et la Chine. En termes d’alcools forts, il se place au premier rang parmi les pays d’Asie du Sud-Est, avec quelque 3 milliards de litres écoulés chaque année.

Au Vietnam, les buveurs sont pour l’essentiel des hommes. Peu d’entre eux connaissent ce chiffre alarmant : un homme vietnamien sur quatre entre dans la catégorie des buveurs «au-delà du raisonnable» (plus de 6 verres à chaque fois). Pire encore, l’usage abusif d’alcool touche un nombre croissant de jeunes. Une récente enquête du Département de psychologie de l’École normale supérieure de Hô Chi Minh montre que 40% des jeunes consomment régulièrement de l’alcool, et que 5% d’entre eux ont un «usage nocif» (consommation répétée d’alcool au-delà de la modération), voire une addiction. Chez les étudiants, 21% présentent des signes d’abus d’alcool chroniques.

«C’est un grave problème de santé public. Car l’abus d’alcool a des répercussions directes sur différentes fonctions et organes du corps, notamment sur les systèmes nerveux et cardiovasculaire, ou encore le foie. Il augmente aussi le risque de contracter plusieurs types de cancers des voies aérodigestives supérieures. D’un point de vue social, il est la cause de nombreux accidents de la route et de violences», avertit un expert.

La culture du «bien boire» est bien morte

Pour lutter contre les nombreux accidents de la route, la police effectue des contrôles d’alcoolémie.

Qu’à cela ne tienne ! Nombreux sont les buveurs qui profitent de toutes les occasions pour «rivaliser de talent». Pour d’autres, la case «bistrot» est incontournable quand on fait des affaires. Cela permet de conclure un contrat. «C’est pour moi inévitable. Mais, j’ai quelques trucs : +bétonner l’estomac+ avec du pain ou un peu d’huile de table avant d’aller à un rendez-vous !», révèle avec un sourire Duc Anh, responsable d’une entreprise de matériel scolaire.

Parlant du phénomène de boire «au-delà du raisonnable», le docteur Trân Huu Son, vice-président de l’Association des arts folkloriques du Vietnam, ne cache pas son inquiétude : «Nombreux sont ceux qui consomment de l’alcool à des fins récréatives. Le problème, ce n’est pas de boire, mais de boire de façon immodérée. Plus reprochable encore est la volonté de soûler les autres. Celui qui ne veut pas suivre est mal perçu». Et d’expliquer : «À table, c’est un peu le concours de celui qui boira le plus. Celui qui souhaitera s’arrêter à deux ou trois verres passera pour un sous-homme, pour quelqu’un de pas trop fréquentable».

L’alcool délie les langues, dit un proverbe vietnamien. Et dénoue aussi les passions. Les querelles de bistrot, les bagarres, les violences familiales ont souvent comme origine quelques verres en trop. Sans parler des accidents de la route meurtriers.

Pour le professeur Hoang Chuong, directeur général du Centre d’études pour la conservation et la valorisation de la culture traditionnelle, chaque pays a sa culture culinaire, et la boisson en fait partie. «Au Vietnam, il est de tradition de boire quelques petits gobelets d’alcool de riz lors des rencontres entre amis ou en famille, pour réchauffer un peu l’atmosphère. Un adage vietnamien dit d’ailleurs :+L’homme sans alcool est comme un drapeau sans vent+. De nos jours, ce bel adage est devenu une citation qu’aiment reprendre les buveurs, comme une sorte de justification à leurs abus», se plaint-il. Et d’ajouter : «On a dépassé les limites permises. Ce n’est pas le fait de boire de l’alcool qui est en cause, mais le fait de boire jusqu’à l’enivrement. Où est cette culture du +bien boire+ en conversant paisiblement, avec esprit, en restant maître de soi-même ? Aux antipodes de ce que l’on peut voir quotidiennement dans nos trop nombreux bistrots, malheureusement».


Nghia Dàn/CVN

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