>>Plus de huit Français sur dix ne souhaitent pas que Hollande se représente
Même vivement récusée par l'intéressé qui y voit la négation de "l'engagement de toute une vie", l'anecdote rapportée par Valérie Trierweiler dans son livre-témoignage d'un François Hollande raillant les pauvres, surnommés les "sans-dents", a fait mouche.
L'émotion suscitée par ce supposé trait d'humour témoigne, selon les analystes, d'un divorce désormais consommé entre le pouvoir socialiste et les milieux populaires, plus profond encore que du temps de Tony Blair ou de Gerhard Schröder en Grande-Bretagne et en Allemagne, au tournant des années 2000.
François Hollande le 1er septembre 2014 sur le perron de l'Elysée à Paris. |
Pour preuve, selon un sondage Ifop pour Le Figaro publié le 5 septembre, la présidente du Front national, Marine Le Pen, l'aurait emporté avec 54% des suffrages face à François Hollande au second tour d'une élection présidentielle qui se serait tenue dimanche. Dans un autre sondage, M. Hollande a touché le fond, avec 13% de bonnes opinions, et selon une enquête IFOP, publiée par le Journal du Dimanche, 85% des Français ne souhaitent pas qu'il soit candidat à sa réélection en 2017.
Selon Jérôme Fourquet, responsable du Département opinion de l'Ifop, les "sans-dents" constituent un nouvel élément à charge pour ceux qui instruisent "le procès des rapports de la sociale-démocratie aux pauvres, après DSK et la domestique du Sofitel de New York, Jérôme Cahuzac et ses comptes à l'étranger et Aquilino Morelle et son cireur de chaussures de l'Elysée".
L'expression, remarque le politologue, est "aux antipodes du discours du Bourget" quand le candidat socialiste, inspiré par le même Aquilino Morelle, faisait du "monde de la finance" son "adversaire" et proclamait, "j'aime les gens, quand d'autres sont fascinés par l'argent".
"Si le procès en embourgeoisement est vieux comme le socialisme", analyse encore Jérôme Fourquet, "il a acquis une résonance particulière avec la multiplication d'affaires aux effets symboliquement dévastateurs".
Elles surviennent, souligne-t-il, "au moment même où le gouvernement et une partie du PS font le choix du social-libéralisme" avec le "J'aime l'entreprise!" de Manuel Valls, l'arrivée d'un banquier d'affaires, Emmanuel Macron, à Bercy et celle de Laurence Boone, venue de Bank of America, auprès du chef de l'État.
Des sacrifices sans contreparties
Pour le directeur de l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg, Frank Baasner, les racines du mal sont profondes. "Le PS français est probablement le dernier parti socialiste d'Europe à ne pas avoir tranché entre l'économie de marché et le rêve d'une alternative socialiste, teintée de marxisme", souligne-t-il.
La sociale-démocratie allemande, rappelle Frank Baasner, a abandonné dès 1959 toute référence à la lutte des classes. Puis une deuxième rupture est intervenue au début des années 2000, celle de la flexibilité du marché du travail introduite par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder tandis que le "blairisme" triomphait en Grande-Bretagne.
Il y a une semaine encore, interrogé à l'issue d'un sommet européen sur le tournant social-libéral incarné par le gouvernement Valls II, François Hollande prenait la tangente, refusant de trancher. "Être social-démocrate, c'est être socialiste, et être socialiste, c'est être social-démocrate", assurait-il.
Une "confusion" qui n'a plus cours depuis belle lurette en Allemagne, souligne encore le directeur de l'institut de Ludwigsburg.
"Si on lit dans un journal que le nouveau gouvernement français est social-libéral, tout le monde applaudit en Allemagne où l'on se souvient de la coalition très positive entre le social-démocrate Helmut Schmidt et le libéral Hans-Dietrich Genscher, tandis qu'en France, on pensera à une trahison de la gauche", relève-t-il.
Le "blairisme", relève pour sa part l'essayiste Eric Dupin, "demandait des sacrifices aux classes populaires, tout comme Gerhard Schröder en Allemagne, mais il leur offrait en échange une perspective de croissance".
Ainsi, "le drame du vallsisme"", selon l'auteur de La Victoire empoisonnée (Seuil, 2012), serait précisément "de demander des sacrifices aux classes populaires sans leur offrir de contreparties".
AFP/VNA/CVN