Environnement : le Nordeste du Brésil soumis aux caprices des océans

Afin d'évaluer l'impact de ces dernières sur la production de maïs et de haricots dans le Nordeste, un chercheur de l'IRD et ses partenaires brésiliens de la Fundação Cearense de Meteorologia e Recursos Hídricos (FUNCEME) ont comparé l'évolution de ces 2 variables entre 1952 et 2000. Leurs travaux permettent d'élaborer des scénarios sur le rendement annuel à chaque début de saison des pluies.

Avec plus de 50 millions d'habitants, soit 28% de la population pour 12% du territoire national, le Nordeste brésilien, vaste steppe appelée le "Sertão", est une des zones semi-arides les plus peuplées au monde. Très démunie, la population rurale vit d'une culture pluviale de subsidence surtout le haricot et le maïs. La sécurité alimentaire dépend donc étroitement de la saison des pluies, très capricieuse dans la région. D'une année sur l'autre, la quantité et la fréquence des précipitations peuvent énormément fluctuer. Cette variabilité interannuelle des pluies est principalement contrôlée par les températures de surface du Pacifique et de l'Atlantique tropicaux.

Hormis le long de sa côte, réputée pour ses plages parmi les plus belles du monde, le Nordeste brésilien est une région semi-aride clairsemée de cactus et d'arbustes chétifs, le "Sertão". La population rurale vit d'une agriculture de subsistance traditionnelle pluviale, consacrée principalement au haricot et au maïs. Mais ces 2 cultures majeures ont vu leur production dramatiquement chuter dans les années 1980 et 1990, entraînant famines chroniques et exode rural vers les grandes cités du bord de mer et le Sud du pays.

Un chercheur de l'IRD et ses partenaires de la Fundação Cearense de Meteorologia e Recursos Hídricos du Ceará à Fortaleza ont étudié l'impact du climat sur la production de maïs et de haricots dans cet État du Brésil. Le constat est frustrant pour les agriculteurs nordestins : si des conditions défavorables conduisent à de très mauvaises récoltes, des conditions a priori "idéales", en revanche, n'engendrent pas nécessairement de bonnes moissons.

Quand les océans s'en mêlent

La saison des pluies dans le Nordeste de résume à 4 mois, de février à mai, durant lesquels se concentrent plus de 60% du total des précipitations annuelles. Elle est liée à la migration vers le Sud de la zone de convergence intertropicale, dont la position dépend en grande partie de la variabilité des températures de surface du Pacifique et de l'Atlantique tropicaux. En effet, toute situation climatique "anormale" au niveau de ces 2 océans vers les mois de décembre ou janvier conduit à un déplacement et latitude de la zone et à une perturbation des pluies saisonnières sur le Sertão quelques semaines plus tard. A El Nino, par exemple, sont souvent associés des épisodes de sécheresse dans la Nordeste. À l'inverse, La Nina peut conduire à des inondations dans cette région sèche.

Un secteur agricole vulnérable

Outre la forte contrainte saisonnière, il existe donc une grande variabilité interannuelle avec des années très humides, comme 2009, ou très sèches. Face à cet aléa climatique, le secteur agricole de la région est particulièrement vulnérable. Afin d'analyser l'impact de la variabilité du climat sur la quantité et la quantité des récoltes au Nordeste, les chercheurs ont tout d'abord retracé l'historique de plusieurs variables agricoles dans le Nordeste pour la deuxième moitié du siècle dernier. Pour cela, ils ont utilisé les données agronomiques sur les 2 cultures collectées par l'Instituto Brasileiro de geografia e Estatistica entre 1952 et 2000 et compilées par l'aire cultivée, le volume de la production annuelle, le rendement, le prix et la valeur totale des récoltes.

En 50 ans, la surface cultivée a quadruplé, suivant de près la croissance de la population rurale, passant de 150.000 hectares au début des années 1950 à 600.000 hectares à la fin du 20e siècle. Les chercheurs ont mis en évidence 2 périodes distinctes. L'aire cultivée a d'abord augmenté de manière continue jusqu'à la fin des années 1970. Puis, au début des années 1980, la région a subi plusieurs années de sécheresse consécutives. Les rendements et la production de maïs et de haricots ont dramatiquement chuté et n'ont jamais retrouvé les niveaux précédents malgré une nouvelle augmentation dans les années 1990.

Les chercheurs ont ensuite comparé les variations des récoltes à la variabilité des températures de surface du Pacifique et de l'Atlantique tropicaux. Les séries d'événement océaniques induisant des sécheresses sévères dans le Nordeste, c'est-à-dire un épisode El Nino sur le Pacifique additionné à des températures de surface anormalement élevées au nord de l'Atlantique tropical et anormalement basses au sud, sont généralement associées à de très mauvaises récoltes. L'inverse ne correspond pas forcément aux conditions optimales pour l'agriculture. Paradoxalement en effet, de "bonnes" conditions avec des précipitations très importantes dans le Nordeste, c'est-à-dire un épisode La Nina sur le Pacifique conjugué à une anomalie de température de surface négative en Atlantique tropical Nord et positive au Sud, ne produisent nécessairement de bonnes récoltes. En effet, selon la distribution des précipitations au cours de la saison des pluies, des quantités totales équivalentes d'eau peuvent avoir des conséquences très variables sur les récoltes. Ainsi par exemple, des épidémies bactériologiques ou la prolifération d'insectes sont souvent associées aux précipitations très abondantes. La production est alors à peine supérieure à la normale.

Une conclusion qui met en exergue la fragilité du secteur agricole du Nordeste brésilien. La forte variabilité intra saisonnière et inter-anuelle des précipitations n'est que l'un des facteurs qui pèsent sur l'agriculture nordestine. La pauvreté souvent extrême de la population rurale, la faible mécanisation, une irrigation rare et souvent inadaptée, l'utilisation sporadique d'intrants... sont autant de facteurs qui limitent les rendements agricoles.

S'ils ne résoudront évidement pas ces problèmes structurels, les travaux sur les relations climat-agriculture permettront au moins aux cultivateurs nordestins de mieux apprécier le moment opportun pour les semences, d'estimer les rendements à venir et de prévenir autant que faire se peut les mauvaises récoltes.

IRD/CVN

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