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Une caissière portant un masque de protection dans un supermarché à Barcelone, le 29 mars. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Ester Piccinini, 27 ans, infirmière à l'hôpital Humanitas Gavazzeni de Bergame (Italie) : Ester vit dans un village proche de Bergame, Albino, qui compte de nombreuses victimes et est l'un des villages les plus touchés par le coronavirus. Depuis un mois, sa vie a été bouleversée : avant la pandémie, elle était coordinatrice de l'aile des "patients privés" où logeaient les malades en attente d'opération chirurgicale. Depuis le 1er mars, l'aile est dédiée au coronavirus. C'est là que sont installés les patients les plus graves, ayant besoin d'assistance respiratoire avant d'être transférés en soins intensifs.
"Nous avons actuellement 44 patients qui ont le COVID-19 (...) Mon travail a changé du tout au tout", témoigne-t-elle. Pour travailler, elle doit s'équiper de combinaisons spéciales et de masques. Mariée, sans enfants, elle gagne entre 1.400 et 1.500 euros par mois. "Je ne vois plus mes parents, parce que je ne veux pas prendre le risque de les infecter. Le matin, quand j'arrive dans le service, je fais le signe de croix en espérant que tout ira bien. Je ne le fais pas vraiment pour moi, je ne m'inquiète pas vraiment pour moi vu que je suis protégée. Mais j'espère que tout ira bien pour les patients". "Quand un patient est transféré en soins intensifs, cela signifie que sa situation est critique. Nous essayons de les rassurer. Une caresse a plus de valeur que les mots".
Ana Belen, 46 ans, caissière à Alcorcon, à 13 km de Madrid :
En Espagne, le deuxième pays plus endeuillé par la pandémie derrière l'Italie, "les caissières ont bien pris conscience du risque de contagion, les clients, ça dépend...", confie Ana Belen, caissière depuis 26 ans. "On ne peut pas comparer les caissières et les personnels de santé, mais disons que la conscience réelle qu'il faut les protéger les unes comme les autres, nous ne l'avons pas tout à fait. Il y a des clients qui viennent encore en excursion au supermarché, tous les jours... (...)", constate cette déléguée à la prévention du syndicat Commissions ouvrières, dans la région de Madrid, la plus touchée d'Espagne.
"La recommandation, maintenant, c'est de parler le moins possible. Il y a des clients qui sont conscients de la situation, d'autres aussi qui nous adressent des mots d'encouragement". Ana fait appliquer les nouvelles mesures anti-contagion dans ce supermarché d'Alcorcon : "Actuellement, 90% des caissières portent les gants, les masques. Il y a des lignes de signalisation sur le sol, des cloisons, du gel hydroalcoolique... On recommande de payer en carte bancaire".
Elle constate qu'il "n'y a plus les queues qu'il y avait au début de l'état d'alerte (décrété le 14 mars), tout est plus calme", dit-elle, mais les caissières accumulent la tension. "Elles ont tout le temps peur que la distance de sécurité soit plus ou moins respectée". "Nous savons que nous devons venir au supermarché, nous savons que nous devons rendre ce service", souligne Ana. "Mais aux caisses, 95% des employés sont des femmes, avec le plus souvent des enfants, des personnes âgées ou dépendantes dont elles s'occupent... Alors tu viens à la caisse, mais tu penses en même temps à ta mère, considérée +à risque+, tu te demandes si juste en lui apportant ses provisions, en touchant les sacs, tu ne vas pas lui transmettre le virus...".
Mohammed, 40 ans, éboueur à Paris :
"On se sent seul au monde, il n'y a personne à qui on peut parler", confie Mohammed, qui prend les transports en commun chaque jour pour rejoindre son poste de travail dans un arrondissement du nord-est parisien. "On part avec la boule au ventre, mais on n'a pas le choix. J'aimerais bien être testé ; si on me fait le test et qu'il est négatif, j'irai au travail plus sereinement". Il ramasse les encombrants de midi à 20h00, pour un salaire de base de 1.550 euros mensuels.
Quand "c'est" arrivé, raconte-t-il en se souvenant des premières semaines de mars, "nous n'avions rien, pas d'équipement". Mais un de ses collègues d'atelier a été dépisté positif au coronavirus et les gants, les masques, le gel hydroalcoolique sont arrivés. Il confie son "angoisse" de mettre ses parents de 70 et 80 ans, avec qui il vit, en danger.
Mohammed constate un changement dans le regard des gens. "Il y en a qui nous saluent, qui nous souhaitent bon courage, on se sent valorisé et ça nous fait un peu plaisir quand même". Parfois, dans certaines rues de Paris, lorsque les éboueurs passent, des gens les applaudissent au balcon. "Il y a aussi les gens qui se déportent de 4 mètres quand ils nous voient. Ils ont peur. Je les comprends", dit Mohammed.
Ousman, 22 ans, livreur de repas à vélo à Bruxelles :
Ousman travaille "un petit peu" dans la peur car il ne sait pas si ses clients sont affectés par le virus. "Quand j'arrive chez le client, je pose le paquet sur le coffre avant de mon vélo, je dis bonjour et je me recule pour qu'il prenne sa commande", raconte Ousman, mimant la scène, devant le comptoir de Konbini Kitchen (spécialisé dans la nourriture asiatique) où les cuisiniers préparent les plats à emporter.
Un livreur de repas, portant un masque protecteur, à Bruxelles le 25 mars. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Depuis l'épidémie de COVID-19, "une barricade de sécurité", constituée de caissons, a été érigée sur le trottoir pour respecter les distances de sécurité entre la cuisine et les livreurs qui attendent d'être contactés. Bonnet de laine enfoncé sur la tête, gros portable scratché sur la manche de sa doudoune, Ousman ne porte pas de masque. "J'en avais acheté un petit carton au début mais je n'en ai plus et je n'en ai pas retrouvé...".
Parmi ceux qui attendent avec lui, certains portent des gants bleus de protection, payés, comme les masques lorsqu'ils en ont, avec leurs deniers. Ousman, dont la famille est originaire de Guinée Conakry, a noté des pourboires "un peu plus importants, deux euros" depuis la crise sanitaire, mais pas à chaque livraison. Il dit faire une "dizaine de courses par jour", pour environ 400 euros par semaine sur son vélo électrique sponsorisé, qu'il loue 170 euros par mois. Malgré les difficultés criantes de travailler dans ce contexte, il y a aussi des satisfactions. Des clients nous disent "+Merci pour votre courage+. Ça nous fait plaisir de continuer à travailler", confie Salaheddin, l'un des cuisiniers.
Dirk Foermer, 50 ans, aide-soignant dans une maison de retraite à Berlin :
Cet aide-soignant travaille dans des établissements accueillant des personnes âgées depuis 1996. Celui où il est actuellement employé accueille 37 résidents, dont beaucoup souffrent de démence. "En ce moment, le statut des personnes employées dans les maisons de retraite, les magasins, etc. est plus reconnu, ce qui est agréable à constater bien sûr. La population se rend compte combien elle dépend en réalité de ces employés. Et c'est valorisant".
Beaucoup des nouvelles règles sanitaires sont difficiles à faire accepter aux personnes atteintes de démence. "On peut juste leur dire que c'est dangereux et qu'il ne faut plus sortir (...) D'autres ne comprennent pas pourquoi leurs familles ne leur rendent plus visite... On utilise Skype ou FaceTime notamment" pour maintenir un contact avec les proches.
L'une des principales craintes de Dirk serait l'apparition de cas de COVID-19 dans son établissement. "Auparavant, les résidents souhaitaient parfois nous prendre dans leurs bras, ce geste est difficile en ce moment, il faut que l'on garde nos distances", témoigne-t-il. "Nous avons des personnes avec qui nous avons tissé des liens très forts et si nous les perdions à cause du virus, ce serait très dur. Nous portons des masques et des blouses (...) tout est désinfecté (...) mais bien sûr, nous ne sommes pas un service de soins intensifs", relève-t-il.
AFP/VNA/CVN