"Allez, encore trois tours, faut pas lâcher" : sous les cris d'encouragement des personnels de l'administration pénitentiaire et de ses co-détenus, l'un d'eux courant à son côté, Robert franchit pour la 63e fois la grille séparant le terrain de football de la cour de promenade, malgré un début de crampes et la pluie qui s'invite.
Un détenu de la prison de Nantes participe au marathon dans l'enceinte de la prison, le 7 novembre 2014 |
Trois tours de 638 mètres plus tard, tracés au sol à la peinture rouge le long des murs et des miradors, Robert, le visage creusé par l'effort, peut tomber dans les bras de ses compagnons de course, "fatigué, mais très content d'avoir fini".
Pour bien gérer ses 42,195 km, une première pour lui, ce détenu de 48 ans depuis "longtemps au placard" est "parti dans (son) petit monde". "En prison, on a besoin de quelque chose pour avancer. Ce marathon, c'est une source de motivation depuis dix semaines. On nous a sorti un planning d'entraînement disponible sur Internet, qu'on a respecté à la lettre (...) même si, ici il n'y a pas de côte", poursuit-il.
Un marathon en prison? L'idée est venue "de deux détenus, qui couraient déjà d'eux-mêmes dans la cour de promenade mais qui voulaient plus de temps (...). Il y a eu une espèce d'euphorie contagieuse autour de l'événement", retrace Arnaud, l'un des quatre moniteurs de sport encadrant le circuit, tableau de course et chronomètres à la main. "On a des grands sportifs ici et d'autres qui ne s'étaient jamais préparés. (...) L'objectif de quatre heures apparaissait presque irréalisable pour certains et finalement tous l'ont fait", dit-il, satisfait.
"L'esprit ailleurs"
Des détenus prennent part à un marathon dans l'enceinte de la prison de Nantes, le 7 novembre 2014 |
Premier détenu à avoir franchi la ligne d'arrivée, Stéphane, habitué des courses "à l'extérieur", avait revêtu sa tenue d'athlète et suivi le même entraînement, mêlant "vitesse et endurance". "Le seul problème qui se pose, c'est le fait de tourner en rond. On ne peut pas avoir le même niveau de performance, sinon on se blesse", explique-t-il. Pour rendre d'ailleurs la course "plus supportable pour les articulations", le personnel pénitentiaire avait décidé de tracer un parcours en forme de huit, avec plusieurs points de ravitaillement, et fermé la cour de promenade aux quelque 400 autres condamnés à des moyennes et longues peines du centre de détention.
"En prison, courir c'est très important. Cela permet d'avoir des moments qui vous appartiennent vraiment, des moments qui nous donnent une certaine liberté entre les murs. L'esprit est ailleurs pendant quelques instants", déclare Stéphane, pour qui "le sport est générateur de valeurs et d'une certaine discipline".
Un moyen de lutte contre la récidive
"Ça permet de sortir dans de bonnes conditions et c'est un moyen de lutte contre la récidive. Plus la personne va sortir avec une discipline, plus elle va pouvoir l'appliquer dans sa vie de tous les jours", assure-t-il.
"C'est une façon de mettre en jambes les personnes détenues et de donner un sens à la réinsertion", abonde la directrice du centre de détention, Véronique Sousset, ravie de "la belle solidarité" des coureurs, jamais "dans la compétition".
"Lorsqu'ils évoquent cette performance, on retrouve les mêmes termes que pour l'exécution d'une peine : ils parlent de long cours, d'endurance, de gestion du temps, d'avoir un objectif", souligne Mme Sousset.
"On peut arriver à faire de belles choses, même dans l'enfermement (...). C'est une réussite, il n'y a pas eu un abandon. Tout le monde a fini, c'était l'objectif, c'est merveilleux", se réjouit Robert, avant de regagner sa cellule.
AFP/VNA/CVN