Si au Nord, le cinéma dut, pendant les premiers temps, céder la place à la photographie moins encombrante, il a connu un grand essor sur le théâtre d'opération du Sud, dans les 7e, 8e et 9e zones de guerre. Dans la 8e zone de guerre, centre culturel du Nam Bô (ex-Cochinchine), on pouvait se procurer du matériel cinématographique par le commerce clandestin avec Saigon et d'autres villes occupées par les Français. Les cinéastes improvisés montèrent un atelier rudimentaire avec une caméra Kodak et quelques centaines de mètres de films. L'un d'eux dut tâtonner pour trouver le moyen de développer les pellicules dans une cuve en bois. Pour assurer le développement des films dans un climat trop chaud, on devait faire venir clandestinement la glace de Saigon vers la jungle. La route était parfois si longue que la glace fondait en grande partie en cours de route. Pour remédier à cet inconvénient, les cinéastes s'approchaient de Saigon en barque, la nuit, pour recevoir plus rapidement la glace et développer les films sous le rouf. Surpris parfois par un commando, ils risquaient leur vie et tout leur précieux matériel.
En 1948, la 7e zone n'avait encore ni caméra ni appareil de projection. Un cinéaste imagina une lanterne magique dont l'objectif était constitué par une vieille ampoule électrique remplie d'eau. Avec cet appareil, il présentait des diapositives en faisant des commentaires oraux. L'acquisition d'une caméra permit en 1949-1950 de tourner l'opération de Bên Cat.
Dans la forêt d'U Minh, le premier groupe cinématographique de la 9e zone de guerre constitué en 1949 affronta des difficultés autrement plus ardues à cause des ratissages ininterrompus de l'ennemi. Faute d'acétone, il fallait employer l'aiguille et le fil pour coller les films. Pour développer les pellicules, on s'enfermait dans une jarre de terre cuite fermée placée dans un sampan.
En 1950, grâce à la libération des trois provinces frontalières Cao Bang, Lang Son, Lao Cai, le blocus de l'ennemi fut brisé. La base nationale du Viêt Bac s'élargit jusqu'à la Chine et la résistance vietnamienne rejoignit le camp socialiste et le monde. Les premiers contacts internationaux furent établis dans le cinéma.
L'Union soviétique fit une première livraison de deux appareils de projection, le Président de la Tchécoslovaquie, Klernent Gothvald, envoya au Président Hô Chi Minh un film de 16 mm sur le Festival de Prague de 1947. Le champ d'action des équipes de projection s'étendit grâce aux appareils, aux films et aux moteurs diesel donnés par les pays socialistes.
Le 15 mars 1953, par décret du Président Hô Chi Minh fut créée l'Entreprise d'État de la cinématographie et de la photographie au sein du ministère de la Propagande. À côté des buts politiques, elle devait accumuler aussi des capitaux pour l'État. De modestes ateliers voient le jour. Une première fournée de cinq étudiant fut envoyée à l'étranger.
La guerre étant entrée dans sa phase décisive, la production de films (documentaires et actualités) prit un rythme croissant. Les cinéastes, dont beaucoup venus du Sud après une marche de 2.000 km sur les pistes de la Longue Cordillère, travaillèrent dans une atmosphère d'enthousiasme. Pour la première fois, les films étaient développés et tirés en série dans le pays. Les caméras et les appareils de projection de 16 mm étaient transformés en appareil pour développer les pellicules. L'enregistrement du son était expérimenté avec succès de même que la production des films de 35 mm.
Le documentaire Diên Biên Phu (1954) fut une épopée en images à la gloire de la bataille qui clôtura la première résistance (1946-1954).
La paix revenue, la première tâche qui s'imposait était de panser les blessures de guerre. Après les efforts de restauration économique (1955-1957), la transformation socialiste des structures économiques effectuée dans le cadre du plan triennal 1958-1960 fut marquée par la coopération agricole, la transformation socialiste de l'artisanat et du secteur capitaliste-privé. Les campagnes et les cités au Nord du 17e parallèle, territoire officiel de la République démocratique du Vietnam (RDVN) (1), prirent un nouveau visage. De nouveaux rapports de production se formèrent. La vie des travailleurs connut une amélioration sensible.
Ces conditions favorisèrent le développement culturel et artistique, surtout depuis le retour du pouvoir populaire dans les zones urbaines. Le cinéma reçut une impulsion décisive avec la création du Département du cinéma au sein du ministère de la Culture en 1956. La formation de techniciens et de cinéastes s'accéléra avec l'ouverture des cours de courte durée et l'envoi de nombreux étudiants à l'étranger. Par le canal des accords culturels bilatéraux, les films de pays socialistes affluèrent en RDVN.
Le public constitué en majorité de paysans (2) qui émergeaient à peine de l'analphabétisme ne goûtait pas les films doublés en vietnamien ; le travail de postsynchronisation posait en outre des problèmes techniques coûteux. Aussi les distributeurs imaginèrent-ils un procédé pratique encore employé à l'heure actuelle même en ville : pendant la projection d'un film étranger, un commentateur rend le dialogue en vietnamien d'une manière expressive et donne parfois des explications complémentaires pour éclairer le contexte.
La production cinématographique connut un véritable tournant dans les années 1955-1960, 22 films en 1955, 79 en 1959. Elle doubla entre 1957 et 1960, totalisant 1.890.000 m de films, tous des actualités et des documentaires (243 films tirés à 4.348 exemplaires). Le premier studio est né en 1956. Il aborda le long métrage et même la couleur, sa gamme s'élargissant sans cesse : reportage, histoire, biographie, science, théâtre…Grâce à l'aide technique des pays socialistes, en particulier de la République démocratique d'Allemagne (1957-1959), il compléta et modernisa son équipement. Le 1er mai 1959, les techniciens vietnamiens mirent au point une machine de projection qui ne tarda pas à être produite en série.
Le cinéma vietnamien n'a cessé de le développer à travers les étapes de l'histoire contemporaine. Nous en parlerons dans un autre article.
(1) Après 1954, le Sud devait être dominé par les Américain jusqu'à 1975.
(2) D'après les statistiques de 1964, 94,4% de la population habitaient la campagne, 5,6% les centres urbains.
Huu Ngoc/CVN