Dang Bich Thuy garde un souvenir limpide du premier livre en français qu’elle a tenu entre ses mains. «Mon cœur palpitait. Les livres, même en vietnamien, étaient rares dans les années 1970». Cet ouvrage, c’était L’Avare, de Molière. «Je l’avais acheté dans une brocante pour 5.000 dôngs. Une petite fortune. Car à l’époque, je gagnais 20.000 dôngs par mois».
«Les expatriés privilégient les classiques aux auteurs contemporains», explique Dang Bich Thuy, directrice de la Librairie française de Hanoi. |
Aujourd’hui, la Vietnamienne de 58 ans côtoie tous les jours Flaubert, Hugo et Stendhal. Mais aussi Amélie Nothomb et Alexandre Jollien.
Il y a cinq ans, elle a ouvert la Librairie française de Hanoi, dont elle est la directrice. Un commerce unique dans la capitale vietnamienne, le seul où l’on vend des livres uniquement dans la langue de Molière. «Nous avons quelque 10.000 titres en stock. Mais uniquement un ou deux exemplaires par référence, afin qu’il ne nous reste pas trop d’invendus».
La Librairie française de Hanoi emploie dix collaborateurs et compte deux points de vente. L’un sis près du Lycée français Alexandre Yersin, dans la rue Nui Truc (arrondissement de Ba Dinh), et l’autre dans la rue Tô Ngoc Vân, (arrondissement de Tây Hô). «Les élèves du Lycée français représentent évidemment une clientèle fidèle», précise d’emblée Dang Bich Thuy. Si elle ne tient pas de statistiques, la Hanoïenne estime que sa clientèle se divise à part égale entre Vietnamiens et expatriés.
«Les livres pour enfants rencontrent un franc succès. À noter que les Vietnamiens préfèrent les bandes dessinées aux romans, tandis que les expatriés sont avides de littérature. Ils privilégient généralement les classiques aux auteurs contemporains». L’auteur Patrick Deville, avec son roman Peste et choléra (une biographie romancée d’Alexandre Yersin) publié en 2012, reste toutefois en tête des ventes de la librairie. «Le fait qu’il soit venu dédicacer son roman ici y est certainement pour quelque chose».
Un faible pour Yann Queffélec
Ce mélange des goûts, Dang Bich Thuy se doit de le satisfaire en renouvelant
La Librairie française de Hanoi compte deux points de vente, l’un près du Lycée français Alexandre Yersin et l’autre dans la rue Tô Ngoc Vân, à Tây Hô. |
sans cesse son offre. «Mon expérience dans le métier du livre m’aide à repérer ceux qui vont plaire aux lecteurs lorsque je reçois les catalogues de nouveautés. Mais je suis toujours au fait des meilleures ventes des pays francophones et je privilégie certaines collections, qui ont fait leurs preuves». Et qu’en est-il de ses auteurs préférés ? «J’ai tout juste le temps de parcourir les résumés pour décider quels ouvrages je vais commander… Je n’ai donc plus vraiment le temps de lire». Malgré tout, elle avoue un faible pour le Français Yann Queffélec et son livre Les noces barbares.
Avant qu’un volume n’arrive sur les présentoirs de la Librairie française de Hanoi, un résumé de son contenu doit être transmis aux autorités pour l’obtention de l’autorisation d’importation. «Lors de l’ouverture de la librairie, le travail de traduction a été gigantesque, se rappelle-t-elle. J’y ai passé beaucoup de nuits blanches».
À chaque rentrée littéraire, la directrice et ses collaborateurs consacrent encore une bonne partie de leurs journées à cette tâche. «Nous devons également le faire lorsqu’un client commande un livre qui n’est pas en stock. C’est pourquoi, il faut compter au minimum quatre semaines pour que l’ouvrage arrive au Vietnam».
Familière du Salon du livre de Paris
Depuis l’ouverture de sa librairie, Dang Bich Thuy manie le français quotidiennement. Une langue qu’elle a apprise un peu par hasard. «Je voulais devenir professeur de biologie. Mais mon résultat au concours d’entrée pour l’université en a décidé autrement». Elle a donc entamé des études à l’École normale supérieure de langues étrangères de Hanoi. «On y enseignait le russe, le chinois, l’anglais, le français, etc. Je pensais que le français était plus proche du vietnamien que les autres langues. Mais je me suis vite rendu compte que ce n’était pas si facile!»
Dès la fin de ses études, elle a travaillé pour la Compagnie générale du livre du Vietnam, pendant vingt-deux ans. «J’ai eu l’occasion de me rendre à Paris, au Salon du livre, à plusieurs reprises, précise-t-elle. Et de suivre des formations continues dans la capitale française».
À l’ère du numérique, Dang Bich Thuy ne cache pas que l’avenir de son commerce est parfois incertain. Philosophe, elle relève pourtant que «le livre a été une denrée rare pendant longtemps au Vietnam. Ici, les gens y sont donc attachés». Quant à la pratique de moins en moins courante du français au Vietnam, elle rétorque que «la communauté d’expatriés francophones reste bien présente. De plus, le nombre d’étudiants vietnamiens qui veulent poursuivre leur formation en France croît. Un bon point pour la librairie».
Texte et photos : Angélique Rime/CVN