Je l’ai pris si souvent ce train qui prend son temps ! Que ce soit à l’aube naissante pour rejoindre Hai Phong, la porte de la baie de Ha Long, ou à la nuit tombante pour aller à l’assaut des cimes de Sa Pa, ou à la rencontre de la Cité impériale. Je me souviens particulièrement d’un long voyage entre Hanoi et Huê (Centre), en compagnie de mon épouse et d’un ami venu de France.
Être plein d’entrain !
En l’occurrence, notre vie ferroviaire commence à la gare de Hanoi une demi-heure avant le départ du train. Après avoir fait provision d’eau minérale, gâteaux et autres sucreries, alibi sordide pour compenser l’absence de vrai dîner, nous nous joignons au flot de touristes, familles, étudiants et autres passagers qui s’engouffrent dans l’étroit passage formé par les contrôleurs de gare. Difficile de frauder ! Pour pouvoir pénétrer sur le quai, il faut montrer billets valides et passagers correspondants. Et il en sera de même à la sortie à Huê. Procédure administrative qui m’a valu une mésaventure un soir où des amis prenaient le train de nuit pour Sa Pa…
En voiture ! |
Nous venions de faire une promenade dans la journée, et je n’avais pas eu le temps de passer chez moi pour me délester du sac à dos qui m’avait servi à transporter les pique-niques. La personne en uniforme à l’entrée des quais m’avait aimablement laissé accompagner mes amis jusqu’au train pour les aider à s’installer dans le bon compartiment. Lorsque j’ai voulu ressortir de la gare, il y avait toujours le même uniforme, mais pas la même personne à l’intérieur ! Me demandant mon billet, elle s’entend répondre que je n’en ai pas puisque j’ai simplement accompagné des amis qui partaient. Explication qui pouvait passer pour raisonnable, sauf qu’un train était arrivé juste avant le départ de celui de mes amis et que mon sac à dos, fièrement exhibé, pouvait laisser croire que je descendais dudit train ! Donc, sac à dos et pas de billet, égal fraude ! C’est du moins ce que le regard soupçonneux et l’insistance de la préposée au billet me faisaient bien comprendre. Pour éviter le scandale, il m’a fallu user de toute ma diplomatie : ne pas s’énerver, parler en vietnamien, sourire et assurer que je n’avais aucun intérêt à frauder puisque je pouvais me payer cent fois le billet exigé ! Je ne sais pas ce qui a le plus convaincu mon interlocutrice, mais après une minute de pourparlers, nous sommes tombés d’accord sur un statu quo : je sortais libre de la gare, mais il ne fallait plus recommencer !
Fort de cette expérience, je laisse mon épouse prendre la responsabilité des billets !
Franchissant rails et quais, nous atteignons notre train que nous remontons à la recherche de notre voiture. En langage ferroviaire, on dit «wagon» pour le transport de marchandises et «voiture» pour le transport de voyageurs. Donc, en voiture !
Plus facile à dire qu’à faire, car un train vietnamien, c’est haut sur roues, et pour monter dedans, il faut être un pro de l’escalade! Quatre marches pour franchir un dénivelé de 1m40 environ ! Minijupes moulantes et pantalons trop étroits s’abstenir !
Bon, on y est, maintenant il suffit de s’insinuer entre les passagers qui occupent déjà le couloir pour accéder à notre compartiment couchettes.
Filer bon train !
«Voilà, compartiment 5 !». Tiens, comme c’est curieux : il y a quatre couchettes, nous sommes trois, et il y a déjà deux occupants ?! Sauf à imaginer des couchettes doubles, il y a au moins un intrus. Regards scrutateurs sur les billets de nos deux prédécesseurs, et constat imparable : ils se sont trompés de voiture. Ici c’est la 9, eux sont dans la 10. Excuses formulées, espace libéré, nous prenons possession de ce qui va être notre univers 13 heures durant : quatre couchettes dites molles, en opposition aux couchettes dures qui ne comportent pas de matelas.
Repas servi dans le train. |
Contrairement aux trains français, où les couchettes se transforment en sièges avec dossiers dans la journée, les couchettes au Vietnam sont destinées à être toujours couchettes, c’est-à-dire qu’elles sont inamovibles. On peut donc voyager soit allongé, soit assis sur les couchettes du bas…, en gardant la tête baissée, si on mesure plus de 1m70 !
La répartition dans notre appartement roulant est vite faite : les poids lourds au rez-de-chaussée, le poids plume au-dessus. Ma femme hérite donc d’une couchette en hauteur, l’autre nous sert de porte-bagages, puisque nous ne serons que trois pendant tout le voyage.
Le train s’ébranle. Sur la petite tablette qui sépare les deux couchettes du bas, un petit fascicule qui présente les étapes de notre voyage : 22h00 à Nam Dinh, puis 01h00 du matin à Vinh, 05h00 à Dông Hoi, 08h00 à Huê ! Notre train prend le temps de vivre !
Des voix dans le couloir annoncent le passage d’un chariot pour le petit déjeuner : thé, café, soupe… Ma femme se réveille. Je suis toujours surpris à la vitesse à laquelle elle devient opérationnelle ! À peine le temps de se dire «Bonjour, as-tu bien dormi ?», elle a déjà bondit dans le couloir et revient avec trois bols de soupe fumante ! J’éprouve toujours un réel plaisir à lui préparer le petit déjeuner matinal, mais là, elle a été plus rapide que moi, ankylosé intellectuellement et physiquement par ma nuit brinquebalée !
Un sifflement strident : notre train entre en gare de Huê ! Ces entrailles, calmes jusque là, s’agitent brusquement. Les gens surgissent des compartiments, bagages et sacs investissent le couloir. Les freins crissent, le train s’arrête. Descente attentive pour ne pas se tordre la cheville, présentation des billets pour avoir l’autorisation de sortir de la gare, et agression d’une nuée de chauffeurs de taxi qui se cramponnent à nos valises en nous attirant vers leurs véhicules.
Quelques mots bien sentis mettent de l’ordre dans tout ça. Je laisse mon épouse négocier le prix avec un chauffeur, et direction l’hôtel pour… se reposer !
Tant il est vrai que la nuit de train nuit un peu à l’entrain !!!
Gérard BONNAFONT/CVN