Mais, si en Occident on ne connaît que le salon de coiffure qui, comme son nom l’indique, est confortable, intimiste, offrant une bulle de tranquillité, au Vietnam il existe plusieurs types de lieux de coiffure : coiffeur sur le trottoir, mini-salons de coiffure que l’on trouve jusque dans le moindre petit village, salons chics pour coiffure de luxe… À chacun son ambiance !
Pas barbant
Inutile de couper les cheveux en quatre, le plus pittoresque, c’est le coiffeur sur le trottoir. Son salon se résume au strict minimum : un siège, un miroir suspendu au mur ou à un arbre, et une boîte avec son nécessaire à coiffure. C’est un lieu de rendez-vous viril, entre hommes, dont les femmes sont exclues.
Coiffure, un art de la rue ! |
En effet, la coiffure sur trottoir est exclusivement réservée à la chevelure masculine : on est là pour couper, égaliser, tondre, élaguer, raser, pas pour frictionner, masser, peigner, colorer… C’est du sérieux, de l’ouvrage efficace. Le coiffeur est un combattant qui, armé de son rasoir et de ses ciseaux, fait la guerre au poil égaré, au cheveu trop grand, à l’épi rebelle. Il discipline, remet dans les rangs, tout le monde au garde à vous ! Et si le tif proteste, le capilliculteur décapite, éradique, élimine de la surface du crâne. Ici, le beau, c’est le net, le sans bavure, la ligne droite ! Pour autant, dans cette ambiance quasi-militaire, si on se fait raser, on ne se rase pas…
En effet, comme tous ses condisciples, le coiffeur sur trottoir est un bavard ! Sans doute, pour faire oublier la crainte de ses lames aiguisées qui frôlent la carotide et caressent la nuque, il noie le client sous un flot de paroles à en donner le tournis. Et comme on est entre hommes, ce sont toujours les mêmes sujets qui reviennent : le travail, les femmes, le temps, les femmes, les mérites comparés de telle ou telle bière, les femmes… Les blagues fusent, les bons plans s’échangent, les idées reçues s’affichent. Il y a quelque chose de la cour d’école dans ces moments-là. Vous savez, quand les garçons se regroupent d’un côté de la cour, en jetant des regards en coin aux filles qu’ils n’osent pas aborder, mais en frimant entre eux pour montrer qu’ils savent… eux !
Car, ne croyez pas que dans ce salon de coiffure en plein air, le client est seul avec son coiffeur. Bien au contraire, les clients suivants s’agglutinent autour des deux protagonistes, commentent le travail de l’artiste et/où le résultat sur la tête du modèle, s’immiscent dans la conversation. Ajoutez à cela les klaxons des voitures et les vrombissements des motos, qui remplacent la musique de fond, et c’est finalement au milieu d’un joyeux brouhaha que les têtes font peau neuve !
Mais l’ambiance monte encore d’un cran quand c’est à mon tour. Pensez donc, un crâne de «Tây» (Occidental), ça vaut le déplacement ! Même les curieux qui sirotent leur thé froid au café d’à côté viennent grossir le rang des spectateurs. À tel point que je crains toujours d’être arrêté pour atteinte à la sécurité, en provoquant un rassemblement sauvage sur la voie publique ! Pour cacher ma calvitie pariéto-frontale, j’ai l’habitude de me faire raser le crâne. Mais, pour des raisons esthétiques, je conserve toujours un ornement capillaire sur le menton. Et c’est là le sujet de curiosité des autochtones. Car si sur le dessus, ma tête occidentale part avec un handicap certain, en dessous, mon système pileux tient la distance !
Dru et fourni, il me permet de jouer à volonté entre barbe et moustache, modifiant au gré de ma fantaisie les dessins, le style, la longueur… Je donne mes indications à l’artiste qui fidèlement sculpte dans la masse pileuse. Et là, c’est le délire dans le groupe de spectateurs : on s’esclaffe, on applaudit, on me tape sur l’épaule, au risque de perturber le travail du coiffeur et de l’amener au geste maladroit et définitif, qui lui ferait perdre un client à tout jamais ! Heureusement, l’artiste est suffisamment endroit pour que j’en réchappe à chaque fois… Ce genre de coiffeur-là, s’il n’existait pas, il faudrait vraiment l’inventer à tout crin !
À un cheveu près
En hiver, j’évite de me promener crâne nu. La couverture naturelle me semble préférable pour me protéger des frimas, même si elle est bien dégarnie sur le dessus ! Au moins, les côtés et la nuque sont-ils protégés… Dans ces moments-là, je délaisse un peu mon coiffeur de rue pour rendre visite au petit salon de coiffure à quelques mètres de chez moi…
En fait, de salon, je devrais plutôt parler d’échoppe ouverte au public. La première fois, j’ai hésité à y pénétrer, car j’avais l’impression d’arriver comme un cheveu sur la soupe, et de déranger les jeunes filles qui se faisaient mutuellement les ongles des pieds et des mains ! En outre, le lit de lavage que j’entrevoyais derrière un rideau me laissait présager des prolongements douteux. D’autant plus que lors de mes séances de coiffure virile dans la rue, j’en avais entendu des vertes et des pas mûres à propos de ce qui pouvait se passer en de tels endroits. Je profite de cette tranche de vie pour apporter la preuve irréfutable que les nombreux petits salons de coiffure qui parsèment nos rues, animées par de charmantes demoiselles, sans doute habillées de façon parfois trop sexy, ne sont pas les lieux de turpitudes que l’on voudrait nous faire croire. Au contraire !
À peine suis-je entré que les visages, penchés sur les ongles de pieds, se relèvent, les regards étonnés me contemplent. Je sens autant de gêne que d’intérêt. Qui va se charger de la tête de ce «Tây», où il n’y a pas grand-chose à coiffer ? Finalement, une jeune fille s’approche de moi en souriant, et me désigne le lit de lavage du fond. Je m’y installe, tête reposant sur un lavabo. Le rite peut commencer. Car c’est bien d’un rite dont il s’agit. Le but est autant de laver la chevelure que de mettre le client en situation de dépendance totale vis-à-vis de la coiffeuse…
En effet, très vite, ma tête ne m’appartient plus. Des mains s’en saisissent, la frictionnent, la massent, la manipulent comme un potier le fait avec sa terre glaise. J’ai l’impression que les os de mon crâne vont éclater, que mes cervicales vont céder, que mes oreilles vont m’échapper. Les doigts se font durs, agrippent, tirent, poussent… Je me demande comment une si frêle personne peut avoir autant de force dans les mains. L’eau est tantôt froide, tantôt brûlante… Si j’avais quelques fantasmes en entrant, en quelques minutes la règle est fixée : on n’est pas là pour rigoler. Ici, le client c’est le cheveu, pas celui qui le porte. C’est le cheveu que l’on triture, que l’on lisse, que l’on soigne, que l’on mèche. Et peu importe si le client en a peu… Tant pis pour lui, il ne fallait pas entrer !
Le pire arrive quand je commence à parler vietnamien. À ce moment, c’est l’ensemble des personnes présentes dans le salon qui s’intéressent à mon cas. Et comme nous sommes dans un milieu plutôt féminin, ce sont toujours les mêmes sujets de conversation qui reviennent : la famille, mon âge, les enfants, mon âge, la vie en France, mon âge…
La torture du lavage terminée, je suis traîné jusqu’à un fauteuil recouvert d’un drap trop étroit pour mon embonpoint, et soumis au bon vouloir de la coiffeuse. Je plains d’ailleurs celles des fauteuils adjacents, qui ont du mal à maintenir les têtes de leurs clientes que celles-ci s’efforcent de tourner vers moi, en faisant des commentaires sur mon nez, mes yeux, ma barbe, ma moustache, ma calvitie… J’en ai même qui, proches de moi, ont été jusqu’à me tirer les poils du bras ! J’ai l’impression d’être entouré de mantes religieuses, et je me demande si je ne suis pas tout simplement préparé pour être dévoré sur l’autel de la capilliculture…
Je commence d’ailleurs à me faire des cheveux blancs, quand, brusquement, les babillages et les gloussements cessent. Il y a dans l’air comme une inquiétude nouvelle. Un petit coup d’œil dans le miroir… Ma femme, impatiente de me voir rentrer, est là, derrière moi, pour juger du résultat. Ma fille est déjà sur mes genoux, fière de son papa qui a des cheveux tous neufs (sic !). Sauvé à un cheveu près.
Il y a une chose de certaine : au Vietnam, chez le coiffeur, on ne se rase pas !
Gérard BONNAFONT/CVN