Enfin dans ses murs

Posséder sa maison. Le rêve de tout Vietnamien. Mais attention, une maison, ce n’est pas seulement un bâtiment, ça a aussi une âme. Et ça ne s’achète pas n’importe comment !

Quelle orientation pour la porte d’entrée ?

«Tu verras, c’est à côté d’une école, au bord d’une petite rivière. Une petite maison de plein pied, au fond d’une courette ! Il y a des briques empilées dans la rue». Je vérifie encore une fois l’adresse, la topographie des lieux. Les briques sont bien là, érigées en muraille provisoire, qui signe la maison en construction ou en restauration. Je suis dans les faubourgs de Hanoi, là où la ville se dilue dans la campagne. Un ami y a acheté une maison ancienne qu’il va restaurer pour abriter son couple tout neuf.

Prévoir l’avenir

Il respecte en ce sens la logique de la coutume vietnamienne : une femme (ou un mari), des enfants, une maison ! La femme ou le mari, ça peut être intéressant pour des raisons sentimentales, mais c’est surtout indispensable pour accéder au deuxième niveau : avoir des enfants. Et si possible, avoir un garçon ! Car, outre la sacro-sainte patrilinéarité (continuité de la lignée par le père…), le garçon est une garantie «retraite». En effet, dans un pays où le concept de retraite en est à ses balbutiements, c’est lui, ou plutôt sa femme, qui prendra en charge ses parents lorsqu’ils seront trop âgés et épuisés pour continuer à travailler.

Mais, revenons-en à la troisième chose d’importance pour un Vietnamien : la maison ! C’est la source de la famille, elle se transmet de génération en génération. Mais surtout, c’est là où nous serons honorés par nos descendants. Une fois quitté notre enveloppe terrestre, nous n’apprécions pas d’être de passage dans des maisons en location.

Nous sommes attachés à l’endroit qui nous a vus naître, où nous avons vécu. En outre, en cette période de spéculation immobilière, la maison représente une assurance sur l’avenir, non négligeable ! C’est donc pour toutes ces raisons qu’acquérir une maison revêt une importance capitale aux yeux du Vietnamien. Et cette importance est telle que l’acte d’achat est une cérémonie à lui seul. Et c’est à cette cérémonie que je suis invité aujourd’hui.

Cérémonie pleine de surprises pour le néophyte. Jugez-en plutôt !

Compter au présent

En France, l’achat d’une maison se passe à peu près selon la procédure suivante : promesse de vente, mobilisation des fonds disponibles, en faisant le plus souvent appel au crédit bancaire, signature d’actes notariés, virement interbancaire, signature du contrat de vente, emménagement, après d’éventuels aménagements. Tout cela est très administratif, et je trouve particulièrement austère.

Au Vietnam, l’achat d’une maison a une épaisseur humaine, culturelle et sociale d’une toute autre ampleur ! Contrairement à l’habitude occidentale d’acheter d’abord et de payer à crédit, le Vietnamien économise d’abord et achète ensuite. Et s’il éprouve des difficultés à réunir la somme nécessaire pour l’achat de sa maison, il utilise la pratique du prêt par la famille, ou par son employeur, plutôt que le recours à des aides bancaires.

Au Vietnam, presque tout se paie en espèce.

Cette prudence vis-à-vis des banques se manifeste également à propos des moyens de paiement. Ici, le chèque, qu’il soit de banque ou au porteur, a peu droit de cité. Presque tout se paie en espèce…, y compris une maison ! Et aujourd’hui, mon ami a apporté avec lui une valise pleine de billets de 500.000 dôngs, les plus gros qui soient émis par la Banque d’État.

Je dois dire qu’une table recouverte de liasses de billets de banque, ça a une de ses allures ! Quand je pense qu’il y en a qui paie en lingots d’or, j’aurais pu me croire à Fort Knox. Pour le moment, chacun dans la pièce retient son souffle. De chaque côté de la table, des représentants du vendeur et des représentants de l’acheteur comptent alternativement chaque liasse de billets. Si chacun obtient le même résultat, la transaction est faite, sinon il faut recommencer à compter. Scène surréaliste ! J’ai l’impression d’assister à cette séquence des films où après un hold-up, les truands se réunissent pour se partager le butin ! Ici, pas de suspens, ni de suspicions. Les bons comptes faisant les bons amis, il s’agit simplement d’être d’accord sur la somme réunie sur la table.

Et ce qui est remarquable, c’est que devant cet amoncellement d’argent, je ne sens, de la part des spectateurs, en l’occurrence un groupe d’amis invités pour l’occasion, aucun frémissement d’envie. Nous sommes là simplement pour être témoin de la transaction, et si quelque chose doit nous faire saliver, c’est surtout le fumet qui se dégage de la cuisine, préfigurant les agapes à venir !

D’ailleurs, ça y est, l’argent est compté, il réintègre sa valise, et la table va pouvoir être occupée par une nourriture plus conforme à notre appétit du moment.

Deviner le futur

Erreur ! C’est maintenant au tour d’une géomancienne d’entrer en piste ! Mi-chaman, mi-devin, le géomancien est une figure importante des cérémonies traditionnelles au Vietnam. Son boulot est d’être en contact avec les esprits, et de pratiquer habilement l’art du Fen Shui, à savoir, négocier l’équilibre harmonieux entre les différents éléments de notre environnement.

Utilisant alternativement arts divinatoires, cartomancie, astrologie, et autres disciplines ésotériques, c’est lui qui indique les dates propices ou non pour réaliser tel ou tel projet, l’endroit où doit être construite une habitation, l’orientation de l’ouverture de la porte d’entrée, l’endroit où doit être installé l’autel des ancêtres, et mille autres détails que nous autres, pauvres occidentaux, organisons de façon inconsidérée, en n’imaginant même pas à quelles gémonies nous nous vouons.

Tant pis pour nous ! Pour le moment, la géomancienne explique de quelle façon il faut construire un nouveau mur à l’extérieur pour percer une nouvelle porte qui sera orientée au Sud. Je suis perplexe face à cette analyse, car si je ne me trompe, lorsque la maison a été construite autrefois, un autre géomancien avait alors donné la bonne orientation pour la porte d’entrée. Cela voudrait-il dire qu’il s’est trompé, ou les dispositions bénéfiques varieraient-elles selon les siècles ? Ou peut-être y-a-t-il des concurrences subtiles entre géomanciens que ma raison cartésienne ignore ! Après la porte, un temps important est consacré pour savoir où aménager l’autel des ancêtres et dans quelle direction l’orienter. On ne rigole pas avec ça, c’est l’âme de la maison !

Une fois toutes ces promesses de destinée heureuse formalisées, on peut passer à d’autres occupations plus terre à terre : fêter autour d’un bon repas copieusement arrosé cette mémorable journée. Inutile de vous décrire par le menu cette fête qui ressemble à celles que j’ai déjà évoquées dans cette chronique de la vie quotidienne. On boit beaucoup, on mange beaucoup, on parle beaucoup, on rit beaucoup, jusqu’à repartir repus et épuisé, heureux d’avoir partagé avec un ami un moment important de sa vie !

Au passage, j’ai même droit à une attention particulière de la géomancienne fortement intéressée par ce «Tây» (Occidental) qui l’a observée pendant toute la cérémonie avec un sourire respectueux mais dubitatif. D’autorité, elle vient vers moi et me saisit les mains pour lire les lignes de mes paumes. Mon passé la préoccupe peu, puisqu’elle ne m’en parle pas. Par contre, mon avenir, c’est son affaire ! Grâce à elle, je sais maintenant que j’aurais une longue vie, que je serais heureux en amour, et que j’aurais une nombreuse descendance... Ça, c’est ce qui s’appelle fidéliser le client.

Allez, il est temps que je rentre chez moi… pour vérifier que ma porte est bien orientée en fonction de mon thème astral !

Gérard BONNAFONT/CVN

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