À la fin de 2008, la ville de Hanoi recensait 970 villas dont l'État est propriétaire. La quasi-totalité a été construite avant 1954 par des propriétaires particuliers ou l'administration coloniale. Si certaines sont "à la française" et d'autres issues d'un mélange de styles oriental et occidental, quelques-unes se distinguent comme des merveilles architecturales. La plupart sont bien situées, notamment sur les artères de la ville.
En termes de terrain utilisé, l'ensemble de ces villas représente 24 ha, une superficie non négligeable, chacune d'elle occupant en moyenne 400 m², assez grande pour Hanoi du temps de leur construction, mais réduite pour la capitale élargie d'aujourd'hui.
Les experts, quant à eux, parlent de bien à haute valeur socio-économique, chacune des villas ayant son propre style, ce qui a contribué à créer l'originalité du paysage urbain de Hanoi.
Pourtant, l'utilisation actuelle des villas est loin de mettre en valeur leurs caractéristiques propres. Elle est non seulement pas efficiente économiquement et affecte aussi leur architecture et le paysage urbain. Des problèmes complexes se posant dans leur préservation, leur gestion donne du fil à retordre aux autorités municipales, aux experts et aux habitants depuis de longues années.
Pour Dào Ngoc Nghiêm, ancien directeur du Service de l'urbanisme de Hanoi, plus la valeur immobilière monte, plus les questions liées à l'utilisation des villas deviennent complexes alors que, dans le même temps, celles-ci se détériorent.
État des lieux
Quelque 80% des 970 villas coloniales de Hanoi se dégradent et ont subi des modifications en raison de changements de mode d'utilisation, de l'urbanisation galopante et de gestion défaillante. Quelques villas ont été vendues et certaines ont été remplacées par de nouveaux buildings. Selon une enquête, sur les 970 villas recensées, la quasi-totalité (80%) est occupée en partie illégalement et a connu des transformations, une petite partie (15%) a gardé son état d'origine et le reste (5%) a été entièrement reconstruit.
Soumises à des utilisations non concordantes, à un nombre trop élevé de foyers y habitant, elles sont souvent l'objet de discussions entre scientifiques. Dans la plupart des cas, les villas ont été modifiées, plusieurs familles se partageant une bâtisse dont l'état se dégrade petit à petit. Les villas habitées par plusieurs foyers sont les plus nombreuses : moins de 5% sont occupées par 1-2 foyers, environ 50% par 5-10 foyers, plus de 45% par 10-15 foyers. Parfois, de 35 à 50 foyers vivent dans une même villa !
Les besoins en bureaux et fonds de commerce étant en constante augmentation, un certain nombre de villas ont cédé la place aux buildings, contribuant à faire perdre à la ville de sa valeur historique et culturelle, estiment les experts.
Viennent s'y ajouter une urbanisation galopante et une gestion défaillante. Les loyers dérisoires ne suffisent pas à payer les travaux d'entretien et de réparation entrepris par l'État. Le budget public destiné aux travaux d'entretien des villas ne permet que de combattre les infiltrations d'eau de pluie, ce qui explique la vente progressive des villas. Et la chute de la valeur culturelle avec.
L'absence de réglementations d'emploi et de normes de préservation et de restauration... ont fait le reste. De nombreuses villas, dont le plan initial a été falsifié, ont été agrandies par des locataires peu scrupuleux. Ceux qui voudraient faire entreprendre des travaux de réparations restent bloqués par manque de certificats.
Cette situation préoccupante a amené la municipalité de Hanoi à accélérer son projet de vente des villas. Par conséquent, elle a demandé au Service de la construction de les recenser.
La municipalité de Hanoi a planifié la vente de 599 villas coloniales, dont la plupart sont de beaux édifices de valeur historique et culturelle, dans le but de les exploiter plus efficacement en vertu de l'arrêté gouvernemental 61 et de mettre en gestion directe les restantes par la Compagnie de gestion des habitations.
La préservation des villas, au cœur des préoccupations de différentes parties, est sujette de multiples débats, mais aucun avis commun ne semble faire surface.
Une grande partie des architectes s'oppose à la vente des villas. "Vendre ou pas, ce n'est pas important", observe quant à lui Lê Van Lân. "Ne pas vendre en laissant faire n'importe quoi, c'est un autre problème", argumente-t-il.
Entre valeurs culturelles…
Pour Hoàng Tu, du Service de la construction de Hanoi, il faut éviter de vendre les villas pour qu'elles soient remplacées par des constructions anarchiques. Ngô Doan Duc, directeur de l'Institut d'architecture, estime pour sa part que le développement économique ne doit pas négliger la valeur culturelle. Construire des villas ou les préserver est un calcul à faire, les démolir s'apparenterait à effacer la mémoire de la ville, une époque de l'histoire.
Le plus difficile est de comparer la valeur culturelle à l'intérêt économique. Nombreux sont ceux qui placent le second au-dessus de tout, ainsi des villas sont vendues puis revendues pour dégager des bénéfices.
Aux yeux du peintre Lê Thiêt Cuong, vendre les 599 villas équivaut à les supprimer. Elles sont non seulement des biens, mais constituent également un parc patrimonial. Sous ce deuxième angle, elles ne doivent pas être vendues, car une fois dans les mains de particuliers, elles pourraient être remplacées par des buildings. De plus, ce patrimoine étant culturel, le commercialiser serait une grave erreur.
Il serait tout à fait erroné de parler de ces villas économiquement, ajoute-t-il.
L'architecte Dào Ngoc Nghiêm, vice-président de l'Association d'urbanisme de Hanoi, qui a consacré de longues années à la gestion des villas de la ville, juge nécessaire de les classer pour déterminer les différents statuts possibles, allant de la vente, la rénovation à la destruction pure et simple. Il n'exclut pas la possibilité que certaines villas ne figurent dans aucune liste. La plupart d'entre elles sont occupées depuis de longues années par des administrations (sièges de missions ou d'organismes diplomatiques ou locaux).
La position de Dang Van Bài, directeur du Département des patrimoines culturels (ministère de la Culture, du Sport et du Tourisme), est sans équivoque : considérer Hanoi comme une cité patrimoniale et non une ville à vestiges séparés. Il entend par cité patrimoniale son histoire millénaire et son développement, d'où la nécessité de lui rendre sa juste valeur, dit-il. Et d'argumenter que le parc patrimonial de la ville est constitué de nombreux édifices, dont la plupart (Opéra municipal, Musée de l'histoire, ministère des Affaires étrangères, cathédrale, église Cua Bac, gare ferroviaire, faculté de médecine, villas…) doivent être préservés à tout prix.
Selon l'expert, il faut considérer les 599 villas restantes comme le symbole d'une étape de développement de l'architecture de Hanoi et les préserver. Les vendre pour ériger des buildings à leur place va à l'encontre de l'aspect culturel. En faire des habitations ou les flanquer de constructions annexes superflues n'est pas intéressant non plus.
De nombreuses questions se posent si les villas sont démolies pour laisser la place aux édifices de bureaux. Quelle sera l'influence sur le développement ultérieur de l'environnement et des infrastructures de la ville ? Qu'adviendra-t-il de la préservation du vieux quartier quand toutes ses anciennes constructions auront disparu pour laisser la place à des bâtiments à étages et de conception nouvelle?
… et les intérêts économiques
Les exemples ne manquent pas dans le monde concernant la préservation des villas à des fins économiques. Dans certains pays étrangers, loin d'être des biens personnels, elles servent à accueillir des petites bibliothèques ou des musées… À Singapour, des villas ont été détruites pour céder la place aux buildings qui, à leur tour, disparaissent pour construire des maisons à louer. La question n'est pas simple pour le Vietnam.
Dang Van Bài, directeur du Département des patrimoines culturels, souhaite vendre les villas à des sociétés, organisations étrangères qui en feront leur siège en conformité avec les règlements d'utilisation et de préservation.
Les mesures de préservation ne manquent pas, rassure cet expert. On pourrait garder à l'identique les sous-sols, et restaurer dans son état original les étages. Il serait alors possible de montrer comment vivaient leurs anciens occupants, ou de raconter qu'un secrétaire général du Parti communiste y a vécu. Tout cela piquerait la curiosité des visiteurs.
Trân Hùng, un autre architecte, se prononce quant à lui pour l'utilisation des villas à des fins politiques et diplomatiques (locaux d'ambassades ou résidences d'ambassadeurs), culturelles et artistiques (musée, salon de peintures…) ou touristiques. Il tire la sonnette d'alarme contre la transformation de telles œuvres architecturales en fonds de commerce, bureaux ou pire, en maisons d'habitation. Les travaux d'agrandissement ou de réparation sont difficiles à contrôler, explique-t-il.
Deux solutions sont possibles pour le sort des 599 villas : un financement de l'État à 100% pour le rachat d'un certain nombre ou/et l'association avec des groupes économiques ou particuliers pour acquérir le reste, propose le peintre Lê Thiêt Cuong. Il cite en exemple Dà Lat qui a réussi la gestion de ses villas en les confiant à la branche touristique pour leur utilisation et préservation. Ces édifices sont conservés tels qu'ils étaient et constituent toujours des biens d'État, assure-t-il.
Pour Pham Thanh Tùng, de l'Association des architectes, la clé réside dans l'implication de la préservation des villas à l'intégration économique. Démolir les villas ôterait à Hanoi ses témoignages culturels. Mais ceux qui vivent dans des villas délabrées souhaitent sûrement mieux, raisonne-t-il.
Des scientifiques proposent à la ville de classer les villas à haute valeur, d'établir un dossier pour chacune d'elles au lieu de les gérer en tant que simples biens. Les villas détériorées sont à vendre, mais il faut penser à leur gestion, suggèrent-ils.
Des inquiétudes s'élèvent que le patrimoine soit entamé par la vente de ces 599 villas. Leur démolition et leur remplacement par de nouvelles constructions modernes ne donneront pas assez d'intérêt à la ville. D'où la nécessité, pour les experts, de régir leur utilisation.
Les oui… mais
Si la vente des villas est indispensable, il faudra examiner l'influence ultérieure sur l'environnement et les infrastructures de la ville. Qui les achètera ? À quelles fins, sinon pour y habiter ? Si elles sont démolies, quels types de constructions les remplaceront ? Un tel développement détruira-t-il l'harmonie architecturale et provoquera-t-il une surcharge des infrastructures ?... s'interrogent les experts.
Hésitant, l'architecte Pham Thanh Tùng propose une autre issue : retenir 40 ou 50 villas pour des activités culturelles et vendre le reste, à condition qu'il ne soit ni réparé, ni démoli.
Si ces villas sont de véritables patrimoines historiques et architectural, nécessitant d'être préservés, leur vente devra être soumise à des conditions, observe Dang Van Bài, directeur du Département des patrimoines culturels. Ce serait une bonne manière de s'y prendre, la décision de la municipalité étant mise en exécution et le patrimoine préservé, dit-il.
Si elles ne sont pas épargnées, l'emploi de leur superficie de 24 ha devra faire l'objet de calculs méticuleux. Et cela pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, ces villas ont été dessinées et construites en conformité avec les critères d'urbanisme du Hanoi d'alors, qui était un centre urbain de l'Union indochinoise, une Paris orientale. C'est pour ces raisons que Hanoi est devenue une perle architecturale de l'époque.
Les villas en question font partie du patrimoine de la ville. Il a vécu le passage du temps, a vu les vicissitudes de l'histoire et témoigné de tant de vies humaines. Les garder et les restaurer dans leur état initial vaut la peine car les villas nous éclairent sur le passé et le préservent, mais contribuent aussi à la vie citadine, l'écologie, l'environnement et le paysage urbain.
Il est nécessaire d'évaluer les villas, de les classer en vue de déterminer celles devant absolument être gardées ou démolies, avant d'instituer des normes d'exploitation et d'utilisation du vieux quartier et, plus globalement, de toute la ville. On espère que les villas à valeur patrimoniale seront préservées même si elles sont vendues, que le vieux quartier garde sa physionomie d'antan et que la ville de Hanoi connaisse une extension harmonieuse et durable.
Efforts de préservation
À part lister les villas à vendre, la municipalité de Hanoi élabore des réglementations et normes de préservation, de restauration auxquelles seront soumises certaines constructions, accompagnées de plans de contrôle et d'évaluation. Sont aussi établis les plans de reprise et de libération des villas pour les utiliser à d'autres fins. Les organisations, individus qui utilisent des villas à restaurer et reconstruire se verront octroyer des permis de construire et imposer des conditions d'architecture et d'urbanisme.
Le peintre Lê Thiêt Cuong appelle la ville à élaborer des politiques et à mettre en place des mesures susceptibles de donner un peu d'espace aux villas trop serrées les unes aux autres et inciter à la réparation et au réaménagement dans le sens de préserver et de restaurer suivant l'original.
Pour une meilleure gestion de ce patrimoine, la municipalité a décidé de ne pas vendre 207 édifices à haute valeur culturelle, qui sont des propriétés de l'Etat, dont la liste a été établie en vertu de l'arrêté gouvernemental 61.
Les 207 villas interdites à la vente sont soit situées dans le quartier politique de Ba Dinh, soit de haute valeur architecturale, et louées aux entreprises en conformité avec la loi, en abritant moins de 3 foyers….
La municipalité continue de compléter la liste des villas interdites à la vente et d'établir des projets d'habitations et d'assistance au transfert en faveur des habitants concernés, en vue d'une meilleure gestion et utilisation de ces édifices. Ces plans et projets y afférents seront soumis à la mairie cette année pour approbation.
Kim Anh/CVN