Hanoi est une capitale millénaire où se cristallisent et d'où rayonnent les valeurs de la culture vietnamienne. C'est le centre socio-économique et scientifique du pays. C'est également un point de convergence pour beaucoup de monde. Les jours de fête, le Têt notamment, les gens affluent vers le vieux quartier. Ses petites rues et ruelles sont pleines à craquer. Le quartier a son âme, dit-on.
Le vieux quartier de Hanoi, d'une superficie de quelque 100 ha, englobe 10 quartiers administratifs de l'arrondissement de Hoàn Kiêm. Il est limité au nord par la rue Hàng Dâu, à l'ouest par la rue Phan Dinh Phùng, au sud par les rues Hàng Bông, Hàng Gai, Câu Gô, et à l'est par les routes Trân Quang Khai et Trân Nhât Duât.
Le secteur renferme en son sein 76 rues. Sa population est estimée à 84.600 habitants. Y sont recensés de nombreux vestiges culturels originaux, dont 112 vestiges historiques ou religieux et 1.081 maisons d'habitation de valeur.
Plus de 20 ans de renouveau incitent à une urbanisation galopante. Le pays change de physionomie. Hanoi le suit. Son vieux quartier également. Une vie aisée et un commerce florissant y contrastent avec un aspect austère. Mais c'est cet aspect peu développé qui fait son charme introuvable ailleurs. Pourtant, son architecture d'antan est remplacée petit à petit par des constructions modernes.
Selon le comité de gestion du vieux quartier, 80% des maisons de valeur sont endommagées et nécessitent une intervention d'urgence. La quasi-totalité d'entre elles sont de vieilles maisons à 2-4 étages. Alors que les valeurs architecturales du vieux quartier s'altèrent petit à petit, les gens s'y accrochent, non pas pour le patrimoine, mais pour leur mode de vie habituel. Ils aiment y manger, faire des courses.
Défis et contradictions
Le charme d'antan de Hanoi menace de disparaître d'un jour à l'autre. D'où la nécessité d'intervenir d'urgence. Trois défis sont à relever.
Pour l'historien Phan Huy Lê, le vieux quartier de Hanoi fait face à une pression démographique. Le nombre de foyers par maison oblongue a été porté à 4-5, contre un au début. À une telle densité vient s'ajouter la non réalisation du plan de transfert de la population. Les problèmes économiques, non moins aigus, placent les autorités municipales devant cette alternative : soit lier la préservation au développement économique, soit laisser se détériorer les vestiges et se dégrader la vie.
Préserver le patrimoine devra aller de pair avec améliorer la vie des gens et, par ricochet, faire en telle sorte que les habitants du vieux quartier comprennent qu'ils peuvent en tirer profit. Mieux leur patrimoine est protégé, mieux ils vivront, relève M. Lê.
Ces 2 dernières années, les autorités de l'arrondissement de Hoàn Kiêm mettent d'énormes efforts à effectuer des travaux de préservation, de restauration et de valorisation du vieux quartier.
Les travaux se heurtent à 4 courants d'idée, parfois contradictoires. Les uns se montrent sceptiques, voulant donner libre cours au développement, jugeant qu'il est trop tard pour intervenir. Les autres se prononcent pour un laisser-aller, l'économie de marché faisant jouer son rôle. D'autres encore fondent leurs espoirs sur une sorte de prédestination, ne préservant que l'âme du vieux quartier. Certains d'autres se veulent réalistes, trouvant nécessaire d'intervenir comme il faut pour créer un nouvel environnement urbain en étroite relation avec le passé.
Les résultats d'enquête d'un groupe de chercheurs de l'Université d'architecture de Hanoi, récemment rendus publics, montrent que les autorités et la population ne sont pas sur la même longueur d'onde.
Quelque 60% des foyers établis dans le vieux quartier ont leurs propres besoins : restaurer les maisons d'habitation et améliorer les conditions de vie sous l'impulsion du développement économique. Les autorités donnent la priorité à la préservation des valeurs culturelles du quartier et de son architecture typique. Un certain nombre d'habitants passent outre les réglementations imposées par les autorités, la vie oblige. Conséquences : rues méconnaissables, styles d'architecture cosmopolites, constructions anarchiques…
L'enquête montre également que 43% des habitants, notamment les gens aisés, du vieux quartier se déclarent disposés à financer les travaux de restauration contre 20% qui disent non, alors que 37% sont pour un "oui, mais…". Un gros budget s'impose donc dans un double but : préserver le patrimoine et assurer les intérêts des habitants alors que les sources financières disponibles sont faibles.
Ce sont 2 contradictions nées du processus de préservation et de valorisation du vieux quartier. Cet écueil ne pourra être franchi que si les autorités et la population se mettent d'accord sur les orientations : statu quo (sans aucune intervention humaine) ou combinaison de la préservation et du développement, estiment les experts.
D'autres jugent "pas forcément nécessaire" de tout faire pour que le vieux quartier devienne un patrimoine culturel mondial, mais il faut lui donner son "âme" et non un corps sans vie. Il est aussi important à la fois de sauvegarder le mode de vie de ses habitants et de leur assurer une vie stable au moyen d'une mobilisation de la participation financière par tous les acteurs publics possibles parce que ces 2 exigences ne font qu'une.
Réconciliation des intérêts
Les gens craignent que l'on s'intéresse à l'architecture, aux maisons du vieux quartier, mais que l'on ne prête pas assez d'attention aux conditions de vie des maîtres du lieu.
De mauvais calculs font naître des contradictions entre la valeur culturelle (préserver les édifices et les vestiges) et l'intérêt économique (besoins d'habitat et conditions concernées) des habitants. Les architectes veulent que le vieux quartier soit habité et que ses habitants aient de quoi manger. Ceux-ci souhaitent, eux aussi, embellir leur quartier qui attirera les visiteurs. Parkings, environnement… sont indispensables à leur vie.
Selon Dô Minh Huyên, enseignante à l'Université d'architecture de Hanoi, diverses mesures devront être appliquées pour avoir de quoi préserver le vieux quartier de la ville. Pour l'historien Phan Huy Lê, pour y arriver, les autorités de Hanoi devront mettre en exécution un train de politiques d'investissement vis-à-vis du patrimoine, en particulier du vieux quartier.
Des solutions économiques s'imposent alors : visites payantes du vieux quartier, subventions du gouvernement. L'association des métiers artisanaux - un atout du quartier - et du tourisme pourrait générer des sources de revenus non négligeables aux habitants. D'où la nécessité de déterminer puis de restaurer les rues d'artisanat et de commerce avec les produits qui étaient à l'origine de leur nom, avant d'y intégrer les fêtes populaires et les valeurs patrimoniales des vestiges. Viennent s'y ajouter les infrastructures qui, pour être améliorées, réclament des investissements de la part de l'État. Les autorités investiront dans cette mission non seulement de l'argent mais aussi des efforts.
Le hanoïologue Nguyên Vinh Phuc aborde la question sous un autre angle : restaurer un certain nombre de rues d'artisanat et de commerce pour y faire revivre l'atmosphère d'antan, par exemple la rue Hàng Duong avec ses propres produits (mélasse, sucre, bonbons, gâteaux…).
L'architecte Ngô Huy Giao trouve pour sa part nécessaire de donner la priorité à certaines rues avec leurs styles d'architecture, modes de vie et commerces. Le vieux quartier, d'une superficie de 100 ha, est trop grand pour pouvoir investir dans tout, raisonne M. Giao qui propose un développement économique mesuré dans ce quartier et déconseille la construction massive de marchés ou centres commerciaux de taille. L'extension économique "tue" le quartier petit à petit, explique-t-il. Les rues qui restent devront être confiées aux bons soins des habitants qui seront obligés de se conformer aux règlements.
Nguyên Công Khôi, maire de l'arrondissement de Hoàn Kiêm, partage l'idée en estimant qu'on ne peut résoudre l'équation de la préservation des édifices et des valeurs culturelles et de la satisfaction de la demande en logements et conforts qu'en combinant l'une avec l'autre. Il suggère la construction d'une nouvelle agglomération pour y transférer une partie de la population. Et les infrastructures et les conforts indispensables aux déplacés avec. Une condition : ne pas leur reprendre les logements et les diriger vers de nouvelles cités au prix du marché, mais à des tarifs préférentiels.
Le rôle des habitants
Quel que soit l'angle d'attaque, le rôle des habitants du vieux quartier est incontournable dans l'élaboration des plans d'aménagement des habitats et leur réalisation, estiment les experts.
Mille ans passés, Hanoi préserve ses vestiges diversifiés, en particulier son vieux quartier. La question est portée dès 1990 devant l'UNESCO et intéresse nombre d'experts étrangers. Selon l'architecte Dào Ngoc Nghiêm, il faut d'abord compter la valeur globale de tout le quartier au sein de l'aménagement global de la ville, ensuite sa valeur constituante et enfin celle de chaque maison liée au mode de vie de ses occupants. Le processus de préservation devra aussi prendre en compte la participation des habitants.
La préservation nécessite des politiques et des mécanismes financiers. De 2003 à 2004, des services compétents pensaient déjà à désengorger le quartier, mais la participation des habitants est incertaine. Raisons : refus de la part de ces derniers d'abandonner ce qu'ils considèrent comme un gagne-pain, absence de mécanismes ad hoc.
Nguyên Vinh Phuc trouve normal de sensibiliser les habitants sur les valeurs historique, culturelle et… économique de leur quartier où, selon lui, si l'on y gagne de l'argent, ce n'est pas le cas de tout le monde. Garantir l'intérêt des gens les incitera à se préoccuper de leur vieux quartier et de le développer, assure-t-il.
Quant aux autorités de Hanoi, il leur est nécessaire de prendre des mesures destinées à restaurer et à préserver le vieux quartier, d'élaborer des politiques incitant la participation des habitants à ces travaux et, de là, améliorer leurs conditions de vie et, en même temps, préserver les valeurs culturelles et patrimoniales du vieux quartier, observe-t-il.
Débuts d'un long processus
L'adjointe au maire, Ngô Thi Thanh Hang, promet de poursuivre la réalisation des projets-pilote et des rues-pilote. La municipalité élaborera les règlements de gestion et des solutions destinées à restaurer les vestiges et à améliorer la vie des habitants. Pour atteindre ces objectifs, Hanoi compte sur ses forces internes et sur les aides étrangères.
Les villes française de Toulouse et belge de Bruxelles ainsi que l'Union européenne cofinancent le projet "Hanoi 2010-Patrimoine et caractéristiques culturelles", mettant l'accent sur la préservation et la restauration de maisons anciennes dégradées dans le vieux quartier. Le maire de Toulouse, Jean Luc Mou, se déclare prêt à aider Hanoi à constituer le dossier de nomination du vieux quartier comme patrimoine culturel mondial auprès de l'UNESCO.
Depuis plus de 10 ans, les travaux de restauration de 3 maisons anciennes du vieux quartier sont en cours. La municipalité de Toulouse entend par là lancer un modèle combiné de préservation des œuvres d'architecture et d'amélioration des conditions de vie des habitants.
Une nouveauté : la rue Ta Hiên toute entière a été retenue pour ses œuvres d'architecture représentatives des 36 corporations en vue de servir de modèle, ainsi qu'un secteur limité par les rues Luong Ngoc Quyên, Ta Hiên, Hàng Bac et Ma Mây.
Nombreux sont les visiteurs étrangers qui, une fois débarqués à Hanoi, souhaitent se rendre, au moins une fois, dans cette rue typique de Hanoi. Ce sont les rues commerçantes avec des files de touristes, des restaurants, des boutiques de soies, souvenirs… Les passants ont pourtant du mal à se frayer un chemin entre les 2 rangées de motos dans la rue. Cette animation ne rime pourtant pas avec de bonnes affaires, déplorent ses habitants.
Cette rue, longue et étroite, était truffée de restaurants. L'ouverture économique marquée par l'apparition massive, partout dans la ville, de restaurants modernes flanqués de parkings, de restaurateurs de rue… met fin à une période d'or des restaurateurs du coin. Des établissements maintenant quasiment vides, même les jours fériés et pendant le Têt.
Les habitants de Ta Hiên ne s'enthousiasment pas pour le projet. L'interdiction d'accès aux voitures, puis maintenant aux motos, les privera de leur unique gagne-pain. Si jamais Ta Hiên devenait une rue piétonnière, ses habitants déménageraient, dit-on.
Le vice-Premier ministre Hoàng Trung Hai a demandé au Comité populaire de Hanoi d'examiner et d'évaluer la construction des bâtiments et la préservation des villas au centre-ville ainsi que de proposer des mesures au Premier ministre Nguyên Tân Dung. Auparavant, le chef du gouvernement avait demandé au Comité populaire municipal d'arrêter la destruction des anciennes villas pour construire des buildings au centre-ville. Selon la direction, il faut bien examiner les mesures de préservation des anciennes rues et villas pour maintenir leur style architectural particulier. De plus, en modernisant les vieux quartiers résidentiels, il faut s'assurer des standards de construction urbaine comme densité de construction, pourcentage de surface pour les voies de communication, pour les plantes...
Hà Minh/CVN