Une vraie vie de chien !

Serais-je atteint de la maladie du «Plus rien ne m’étonne ?». Cette semaine, je ne trouve rien d'appétissant à me mettre sous la plume. Peut-être faut-il aller chercher l'inspiration à la source : en flânant, le nez au vent !

Flâner est une occupation quotidienne, qui consiste à sortir de chez soi, seul ou en compagnie, pour se dégourdir les jambes, saluer les voisins, errer sans but apparent hormis voir ce qui se passe dans le quartier. À différencier de l'activité physique quotidienne qui, elle, consiste à sortir de chez soi, accompagné ou non, pour développer et entretenir son corps, marcher à allure rapide, en se ménageant quelques haltes pour effectuer des exercices de gymnastique, tout en saluant ses compagnons de géhenne.
En ce qui me concerne, depuis quelques temps, par la grâce d'une présence canine dans le giron familial, j'ai droit aux deux activités en une... L'occasion de flâneries sportives fréquentes au bord du fleuve Rouge !

Flânerie en bord de fleuve.


Place nette
Lors d'une de ses visites au "quê" (village natal) maternel, ma fille est tombée en admiration devant une boule de poils qui disputait à d'autres boules de poils des tétines qui n'en pouvaient mais. Fléchir "bà ngoai" (grand-mère maternelle) lui fût un jeu d'enfant, et c'est comme cela que la boule s'est retrouvée dans la petite courette de ma maison, et mon garage à moto transformé en niche gigantesque.
Après des premières semaines consacrées, pour l'une, à marquer son territoire, et pour les autres à effacer régulièrement ces marques de possession fort incommodes à l'odorat, il a été décidé d'en élargir les frontières. Au début, l'exploration s'est cantonnée à la ruelle. La circulation motorisée y étant aussi fréquente qu'un cheveu sur le crâne d'un chauve, ma fille et son animal nous semblaient en sécurité. C'était compter sans des voisins acariâtres, peu disposés à supporter des bornes territoriales, solides ou liquides, toutes provisoires soient-elles…
Peu soucieux de créer un conflit de voisinage, force nous a été d'investir des terres vierges. Désormais, depuis deux semaines, le rite est devenu immuable. Ma fille, à peine revenue de l'école, troque ses habits d'écolière, jupe écossaise et chemisier blanc à écusson, pour des vêtements résistants à l'épreuve des manifestations de joie d'une chienne de trois mois !
De mon côté, je me munis de l'équipement indispensable à ce genre d'expédition : une solide canne de bambou, censée impressionner tout animal hostile désireux de ne faire qu'une bouchée de notre petite compagne ; une laisse, supposée maintenir ladite compagne lors de traversée d'endroits dangereux ; une petite valisette rose fluo, à pince, achetée dans un moment d'égarement, destinée à ramasser d'un seul clic les signes visibles et odorants du passage canin ; un sac plastique pour recueillir le contenu de la valise, avant de le déposer sur le premier tas de détritus venu !
C'est qu'ici, on ne rigole pas avec les déjections canines… Si les trottoirs peuvent recevoir toute sorte de restes alimentaires, de déchets de la société de consommation, de résidus de l'activité humaine, hors de question que les animaux, fussent-ils de compagnie, viennent y mettre du leur ! Même si, le soir, les courageuses éboueuses rendent aux trottoirs une virginité de bon aloi. Et ce n'est pas la peine d'envisager des règlements draconiens, des amendes proportionnelles, ou des sanctions réglementaires : l'opprobre collectif suffit. La honte du propriétaire est bien plus efficace que l'admonestation légale. Alors, n'ayons pas peur du ridicule, et valisette à la main, partons à la conquête des rives du fleuve Rouge !


Marche rapide
Ma fille trottine devant en agitant son petit panier à goûter. La chienne sautille autour d'elle, marque d'affection autant pour sa maîtresse que pour le contenu du panier. La laisse est dans ma poche : j'ai opté pour un apprentissage par l'expérience et la voix. Un appel bref pour que la chienne vienne se réfugier à mes pieds avant toute rencontre malencontreuse avec un engin motorisé ou pour éviter qu'elle n'aille explorer les maisons aux portes grandes ouvertes, dans lesquelles molosses ou carnes manifestent bruyamment contre leur condition enchaînée.
Au début, cette méthode suscitait l'hilarité des badauds, et je ne sais si c'était le fait d'entendre un Occidental donner des ordres en vietnamien à un chien, ou si c'était l'inanité des hurlements que je pouvais proférer qui me conduisait à courir derrière la bestiole pour la récupérer in extremis avant qu'elle ne passe sous des roues mal intentionnées ou qu'elle soit happée par des mâchoires pas mieux intentionnées.
Mais baste ! Tout cela est du passé, et maintenant, durant la centaine de mètres qui nous sépare du fleuve, le quadrupède suit fidèlement les bipèdes. Quoique je dois à la vérité de dire que la tendance s'inverse progressivement.
En effet, l'attrait incontestable qu'offre la rive du fleuve pour un animal contenu derrière une grille toute la journée donne à celui-ci des ailes aux pattes qui nous conduisent à effectuer une marche rapide pour éviter d'être distancé. J'en suis presque à remercier l'ancestral instinct social de notre chienne qui la fait s'arrêter régulièrement pour nous attendre en se retournant vers nous, l'air réprobateur. Je voudrais bien la voir, moi ! On court plus vite à quatre pattes qu'à deux.


Chien mouillé
Passé le faubourg aux maisons basses, traversés les jardins de kumquats odorants, suivi le petit chemin bordé de bananiers, descendu le layon à peine visible dans les roseaux, nous y voilà !
En cette saison, le fleuve n'est plus nourri par les pluies abondantes de l'été, et seul son cours principal continue à rouler des eaux venues des lointaines montagnes. En se retirant, il a laissé de vastes étendues de glaise et de sable, qui forment autant d'immenses plages le long d'un haut fond que l'on peut traverser à pied ferme pour atteindre l'île couverte de bananeraies et de champ de maïs. Mais pour l'heure, ce n'est pas l'île qui nous intéresse…
Notre chienne a pris ses jambes à son cou et se précipite vers l'eau qui s'écoule lentement. De l'eau, elle ne connaissait que celle largement répandue sur son corps lors de la toilette hebdomadaire. Et le moins qu'on ne puisse dire, c'est que ce n'a pas été une histoire d'amour ! J'en veux pour preuve les aboiements, pleurnichements, gémissements qui accompagnaient d'énergiques mouvements destinés à échapper au gant et à la douchette. Tentatives de rébellion étouffées dans l'œuf grâce à l'action concomitante de la laisse et d'une contention vigoureuse de la part des deux personnes affectées à cette toilette…
Mais, l’eau du fleuve, alors là, c’est autre chose. L’approche fût prudente : un pas, puis deux, puis un trottinement, puis un trot rapide, et enfin un galop. L’après-midi était chaude, l’eau était fraîche : il n’en fallait pas plus pour que le courant passe. Très vite, emportée dans son élan, la chienne a franchi l’espace entre le haut fond et l’endroit où elle n’avait plus «pattes». Elle a vite compris qu’un chien sait nager, et surtout quand, comme elle, il s’agit d’un chien de Phú Quôc, même bâtard ! Et depuis ce temps, le fleuve est devenu l’un de ses compagnons de jeu quotidien.
Je dis l’un d’eux, car l’esplanade sableuse est aussi le terrain d’aventure préféré de tous les chiens du voisinage. Et tandis que les propriétaires font connaissance ou se retrouvent pour parler de tout et de rien, leurs compagnons à quatre pattes s’en donnent à cœur joie en de folles courses, museaux au vent et ventre à terre.
J’aime ces moments paisibles où le soleil commence à descendre à l’horizon, derrière les hauts bananiers qui balancent leurs larges feuilles dans la brise d’automne. Et que je devine au loin, estompées dans la brume, les grandes tours qui s’élèvent dans le ciel de la capitale.
Ma fille court dans l’eau avec son chien, mes habits sont souillés suite à des marques d’affection boueuses, je bavarde avec d’accortes matrones venues promener de paisibles molosses, au loin quelques sirènes de péniches sur le fleuve. Je suis bien… mais je n’ai pas grand-chose à vous dire cette semaine.
Ne m’en gardez pas un chien de votre chienne !

Texte et photos : Gérard Bonnafont/CVN

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