Dans la famille, il y a les parents. Aidés par le Génie du Foyer, ils sont responsables de la vie de l’ensemble de la maisonnée. Pas toujours facile, mais généralement une autre divinité, nommée Cupidon, amortit les chocs et met de l’huile dans les rouages…
Dans la famille, il y a les enfants. Eux n’ont pas besoin d’aide pour donner du rythme à la maisonnée. Il faut dire qu’ils ont une vision un peu particulière de la vie : ils disent la vérité !
Alors, aujourd’hui, pour vous parler de ce qui se cache derrière la façade de la maison d’un émigré au Vietnam, je laisse parler ma fille, ma réputation dût-elle en souffrir…
Chacun chez soi
Bonjour, j’ai 9 ans et je suis une fille. Déjà sur mon âge, papa et maman ne sont pas d’accord. Papa dit que j’ai 9 ans parce que je suis née il y a 9 ans, mais maman dit que j’ai 10 ans parce qu’au Vietnam on compte à partir du moment où le ventre de maman a commencé à s’arrondir ! Moi, 9 ou 10, je m’en fiche un peu, parce que de toute façon, pour mon anniversaire, on met toujours une grosse bougie sur mon gâteau…
Ma maman s’appelle Linh, mais mon papa l’appelle «Em Yêu» (Chérie), mes tatas l’appellent «Em», mon tonton l’appelle «Chi», et moi je lui dis «Me».
Pour mon papa, c’est pareil : il s’appelle Gérard mais ma maman l’appelle «Anh Yêu» (Chéri), mes tatas l’appellent «Anh Gérard», mon tonton l’appelle «Anh», et moi je l’appelle Papa… Pour mon papa qui est français, ça a posé quelques difficultés pour discuter, et ça a bien fait rire tout le monde au début !
Je vis avec mon papa, ma maman et aussi ma tata, dans une très grande maison, à Hanoi. À Hanoi, le terrain est tellement cher que les gens achètent un tout petit bout, mais construisent des maisons avec plein d’étages. Ma maison à moi, elle fait 300 m², mais elle a quatre étages. Ça fait beaucoup de chambres et beaucoup de marches d’escalier. J’ai compté il y en a 100 ! J’aime bien les monter et les descendre avec papa et maman.
Dans ma maison, on ne vit pas comme vous en France. La cuisine est au rez-de-chaussée. Elle est très grande, parce que c’est là qu’on reçoit les gens qui viennent nous voir. C’est la seule pièce du rez-de-chaussée, mais c’est vrai que la nuit on y rentre les motos pour ne pas se les faire voler. Enfin, chez les autres, parce que chez nous, il y a un garage pour cacher les motos. Moi, je n’aimerais pas qu’on vole la moto de mon papa, parce que je ne pourrais plus me promener avec lui en moto.
Au premier étage, c’est le salon, avec la télévision. C’est aussi ma salle de jeu et c’est là que toute la famille se retrouve le soir.
Au deuxième étage et troisième étage, ce sont les chambres pour dormir, mais ce sont aussi mes salles de jeu ! Surtout avant, quand j’étais petite. En effet, ici, nous, les petits, on dort dans le même lit que papa et maman jusqu’à 6 ans. Et les papas et les mamans, ils attendent qu’on dorme pour…
Mais mon papa à moi, il a dit qu’il n’était pas d’accord, parce que lui il est Français et que chez vous ça se fait pas des trucs pareils ! Alors, mon papa et ma maman, ils avaient négocié : y’a la chambre d’endormissement où on est tous dans le même lit pour que je m’endorme bien. Alors là qu’est-ce qu’on rigolait : je sautais sur mon papa, je lui tirais la barbe, je jouais au trampoline sur son ventre, tout ça pendant au moins deux heures tous les soirs.
Et puis, la deuxième chambre, juste à côté, c’est le bureau de mon papa, mais c’est aussi la chambre où mon papa et ma maman ils dorment. Je n’ai le droit d’y rentrer que pour faire la sieste avec eux. Là, c’est drôlement intéressant, parce que sur le bureau de papa, il y a plein de choses pour jouer à un jeu très amusant : je touche les choses sur le bureau, et mon papa il se lève très vite pour les ranger ailleurs. J’attends qu’il se recouche pour faire la sieste, et je recommence à toucher les choses. Et hop ! Il se relève en disant : «Không đuoc !» (Ça veut dire «faut pas» en vietnamien). Ça marche à tous les coups.
Et dire que la buanderie est au sommet ! |
Chacun pour soi
Maintenant, je ne m’endors plus avec papa et maman, mais avec ma tata. Ma tata, c’est ma deuxième maman, et comme elle est toute seule parce qu’elle est divorcée, au Vietnam, il ne faut pas abandonner les tatas toutes seules, donc mes deux mamans elles doivent être ensemble. En plus, comme maman a seulement un an de plus que ma tata, c’est comme sa copine. C’est rigolo aussi la chambre de ma tata, parce qu’elle n’aime pas les matelas, alors elle met une natte en bambou sur son lit. Surtout en été, elle dit que c’est plus frais pour dormir. Moi, j’ai mon matelas, mais j’aime bien dormir aussi au frais, contre ma tata.
Les autres chambres, c’est pour les amis ou la famille de France, mais ce sont aussi mes salles de jeu !
Au quatrième étage, il y a une chose amusante : la buanderie, avec la machine à laver. Au début, on n’avait pas de machine à laver, et maman lavait tout à la main. Ça lui prenait beaucoup de temps parce qu’ici il fait chaud et on transpire beaucoup, alors les papas et les mamans se changent beaucoup ! Évidemment, c’était beaucoup de linge à nettoyer pour maman, donc, papa il a dit : «On achète une machine à laver !».
Et comme il fallait l’installer au 4e étage, il a demandé qu’on la livre et qu’on l’installe. Pas fou papa, il savait qu’il y avait 100 marches à monter ! Deux heures après, on sonne à la porte de la maison, et papa voit un monsieur avec une moto, et sur la moto, la machine à laver ! Papa cherchait une deuxième moto, avec un deuxième monsieur pour aider le premier, mais le premier lui il souriait en disant qu’il était tout seul, et papa est devenu tout rouge, et après il est devenu blanc quand maman lui a dit qu’au Vietnam c’est toujours comme ça : le client aide toujours les livreurs ! Alors, papa il a monté les 100 marches, avec le monsieur et la machine qui était drôlement lourde. Et papa, il disait des drôles de choses en français. Il paraît qu’il ne faut pas les dire, c’est des gros mots. Après, papa il est resté assis très longtemps à côté de la machine, en faisant un drôle de bruit en respirant comme un train à vapeur !
Voilà, ça c’est ma maison, j’y suis bien, et la vie y est très amusante…
P/S : Note du papa : Moi aussi j’y suis bien, mais je ne suis pas prêt d’acheter le sèche-linge !
Texte et photo : Gérard BONNAFONT/CVN