Un jeune homme de l'ethnie Gia Rai et ses trois lithophones

Le lithophone (dàn da en vietnamien) est peu connu de par le monde. Cet instrument de musique très rudimentaire, composé de pierres douées de résonance, est pratiqué depuis belle lurette dans les régions montagneuses du Vietnam. Il a ses passionnés et certains ne sont que de simples paysans.

Par hasard, il y a quelques années, A Huynh, un jeune homme de l'ethnie Gia Rai, sur les hauts plateaux du Centre, découvre dans le lit d'un ruisseau des pierres sonores qu'il assemble en un instrument de musique rudimentaire : le lithophone (dàn da). Comme par miracle, les sons de ce dàn da s'accordent à merveille avec ceux du tingning (appelé aussi le goong) et du tarung - les deux instruments traditionnels préférés des Gia Rai. Et voilà l'apparition d'un superbe orchestre à trois qui fait désormais la fierté de cette ethnie minoritaire.

Dans le village de Chot, district de Sa Huynh, province de Kon Tum, sur les hauts plateaux du Centre, A Huynh est bien connu. À présent, sa renommée résonne plus loin encore, après qu'il eut présenté au public trois lithophones créés de ses mains. L'histoire de ces dàn da s'avère peu commune.

Un an pour trouver les pierres

Le champ de brûlis de la famille d'A Huynh est perché à flancs de montagne, à une dizaine de kilomètres du village de Chot. Afin de protéger les cultures des incursions des animaux sauvages, A Huynh a érigé une hutte au bord du ruisseau Ya Lân ainsi qu'une "microcentrale" hydroélectrique. Tout allait bien jusqu'au moment où le ruisseau s'est tarit durant la saison sèche. Plus d'électricité pour l'éclairage et l'irrigation. Attristé, A Huynh erra le long du ruisseau asséché et tomba sur plusieurs pierres aux sons exceptionnels. "J'en pris deux en mains, puis les ai frappées l'une contre l'autre. Quelle joie d'entendre alors un son semblable à celui du goong - mon instrument préféré".

Pour pouvoir créer un dàn da complet, A Huynh a suivi son ruisseau sur des kilomètres, à la recherche d'autres pierres résonnantes. "Il y a eu des jours où je suis revenu bredouille. Tant pis. Cela n'a pas entamé ma passion". À chaque fois qu'une pierre était trouvée, il la ramenait chez lui pour en comparer le son avec le goong.

Mais pourquoi un goong, fabriqué à partir d'une calebasse et d'une tige de bambou à longs entrenoeuds, est-t-il choisi comme "objet de comparaison" pour un lithophone ? A Huynh explique : "Le goong se compose, outre la calebasse et le bambou, de 12 petites barres en bois permettant de tendre 12 cordes en acier". Cet instrument de musique est un élément indispensable dans la vie des Gia Rai qui en jouent pendant les fêtes et autres activités communautaires.

C'est A Huynh qui a découvert que les sons du goong ressemblaient étrangement à ceux du dàn da. Ayant son oreille musicale, le jeune homme a pu les accorder. "J'ai pas mal tâtonné pour caractériser le son de chaque pierre et ensuite comparer avec le goong, raconte A Huynh. Plus d'une fois, je n'ai pas pu trouver le bon son parmi les dizaines de pierres amassées".

Un trio détonant

Le premier lithophone de A Huynh, composé de 12 pierres, a été achevé après un an de travail assidu. Au moyen de maillets en pierre, il a essayé d'exécuter des airs créés pour le goong. "Au début, les sons étaient loin de s'accorder. Il a fallu essayer longtemps avant de produire des airs acceptables", avoue-t-il. Une année lui a été nécessaire avant de maîtriser son dàn da.

La réussite a donné davantage de foi et de courage au jeune montagnard. Il a continué d'aller à la recherche de pierres pour concevoir d'autres lithophones. Cette fois-ci, il se sentait plus confiant, notamment pour accorder les sons. Car, il avait déjà ses références : les sons produits par son premier dàn da enregistrés sur une cassette.

En six mois, il a pu "sortir de son atelier" deux nouveaux lithophones. L'un a été offert à l'Association des vétérans de guerre du district de Sa Thây, l'autre au Service de la culture, du sport et du tourisme de la province de Kon Tum. "Je veux garder mon premier dàn da comme souvenir. Il est toujours dans ma hutte au bord du ruisseau. J'en joue le soir, chaque fois que j'ai la nostalgie du village", confie l'autodidacte, qui révèle son intention de fabriquer prochainement un beau support en bois pour son dàn da.

Avec le temps, les airs de dàn da d'A Huynh ont ensorcelé bien des villageois de Sa Thây. Nombreux sont les jeunes qui ont envie d'apprendre auprès du "maître". "Cela me remplit de joie", déclare l'instrumentiste amateur. Et d'expliquer : "Avant d'apprendre à jouer du +dàn da+, il faut maîtriser au moins un instrument traditionnel. Une condition qui ne pose pas de problèmes aux hommes de Gia Rai qui, pour la plupart, jouent bien du goong. Néanmoins, devenir ou non un bon joueur de +dàn da+ dépend de l'aptitude, de la passion et des efforts de chacun".

La joie remplit aussi le coeur des membres de l'Association des vétérans de guerre de Sa Thây. Avec la présence du dàn da dans l'orchestre, les réunions de l'Association des vétérans de guerre sont plus effervescentes, plus captivantes qu'auparavant. "L'originalité réside dans l'harmonie parfaite entre ces trois types d'instrument que sont dàn da, goong et tarung", déclare le vice-président de l'Association des vétérans de guerre, Bùi Tiên Thanh. Avec fierté, il présente le joli trio : A Huynh au dàn da, Dyoi au goong et A Nuoi au tarung. "Ils sont tous issus du village de Chot", fait-il-savoir.

Pour les experts, les lithophones confectionnés par A Huynh contribuent à enrichir le patrimoine musical des ethnies minoritaires des hauts plateaux du Centre, et a fait revivre un instrument archaïque qui semblait voué à ne plus exister que dans les étagères poussiéreuses des musées.

Nghia Dàn/CVN

25/12/2010

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