Assis confortablement dans le salon de sa maison et entouré de ses proches et amis, le pêcheur Trân Minh Sang revient sur son histoire d’une voix tremblotante. Sa chute en mer le 22 avril dernier n’était pas une première mais cette fois son calvaire a atteint la durée record de 25 heures, seul, le corps nu, sans flotteurs, eau potable ni aliments. Provocant par la même l’admiration des pêcheurs expérimentés.
Le pêcheur Trân Minh Sang (centre), revenu du navire Lucky Dolphin, sain et sauf. |
Photo : Van Chuong/CVN |
«Même un pêcheur équipé d’un flotteur peut mourir dans cette situation alors que lui, il a nagé avec ses mains seules. Comme vous le savez, les eaux de mer sont si froides qu’elles peuvent glacer le corps et provoquer un arrêt cardiaque. Sans compter les requins qui rôdent», confie M. Hai, qui a une trentaine d’années d’expériences dans la pêche en haute mer.
Vers 09h00, le 22 avril, Sang pêche dans les eaux de l’archipel de Truong Sa (Spratly), tout à coup, c’est le drame, il chute de son bateau dans la mer. Pire, l’équipage n’entend pas ses cris en raison des bruits du moteur du bateau de pêche de 300 CV en pleine accélération. Seul mais fort de son expérience de la pêche qu’il pratique depuis l’âge de 15 ans, Sang garde son calme espérant que son équipage reviendra le chercher.
Survivre à tout prix
Le jeune homme lutte pour se maintenir à l’endroit où il est tombé. Ce n’est qu’une heure après le drame que son équipage, découvrant son absence, revient en arrière. Malheureusement, le sort s’acharne, le jeune homme est emporté par des eaux tourbillonnantes qui le propulsent vers les eaux de l’île Palawan des Philippines. Sang tente de garder son sang-froid, décide de faire la planche, se laissant porter par les eaux. «J’espérais trouver quelque chose comme un flotteur mais, autour de moi, la mer était calme et silencieuse», se souvient-il.
C’est en pensant à sa fillette de 15 mois que Sang a trouvé la force de se battre pour sa survie. |
Pour garder l’espoir, Sang pense à sa famille, à ses enfants : «Ma tête était remplie d’images de ma fillette de 15 mois, je me remémorais son sourire pour ne pas sombrer. En me quittant quand je pars en mer, elle a l’habitude de m’embrasser et de jouer avec mes cheveux. Je devais survivre à tout prix pour revenir la voir».
Dans les eaux de Palawan, Sang pense être sorti d’affaire car la zone est traversée par une liaison maritime internationale. Le pêcheur s’efforce de nager des kilomètres pour atteindre près d’une dizaine de navires, en vain, ces derniers sont trop loin pour le voir. Le jeune homme passe la nuit en mer dans l’obscurité et le froid : «Quand la nuit est tombée, j’étais totalement épuisé et j’avais soif. J’ai avalé une gorgée d’eau de mer pour reprendre des forces. Cette nuit là m’a paru durer une éternité.»
Une nuit avec les méduses
S’il n’a pas croisé la route de requins, Sang a tout de même dû lutter contre les attaques nocturnes des méduses. Ces dernières, se laissant dériver en groupe, se collent sur le corps du pêcheur lui causant des démangeaisons insupportables.
Alors que Sang se bat contre le désespoir, sa maison dans la commune de Xuân Tu de la province de Khanh Hoà est noire de monde. Des proches et des voisins viennent y partager la douleur des membres de sa famille qui le croient déjà mort.
Il est 08h00 le lendemain lorsque la chance sourit enfin au naufragé. Apercevant au loin un navire, il mobilise les forces qui lui restent pour nager dans sa direction. En raison de la distance qui les sépare, il faut une heure au cargo noir pour enfin l’apercevoir et venir le sauver. «Le bien nommé +Lucky Dolphin+, pavillon philippin qui naviguait vers la Chine m’a secouru», précise Sang d’une voix émue.
Après avoir ramené à son bord le pêcheur vietnamien, le Lucky Dolphin envoie un télégramme au Département de la marine marchande de la province de Quang Ngai. Tout le monde est surpris en apprenant la nouvelle : un pêcheur vietnamien errant en mer durant 25 heures, a été découvert au sud-ouest de l’île de Balabac des Philippines, sauvé à 09h00 le 23 avril, sa température corporelle est de 36,5-37 degrés, il est en bonne santé.
Après avoir été soigné par l’équipage du navire, Sang embarque le 26 avril au port de Dung Quât (Quang Ngai). Le capitaine Ghulam lui offre même un uniforme symbolique faisant de lui un membre d’honneur de l’équipage.
Même si c’est la deuxième fois qu’il flirte avec le danger en haute mer, l’homme ne changerait pour rien au monde de vie. Interrogé sur ses intentions après l’incident, Sang répond sans hésiter qu’il poursuivra son métier de pêcheur. Déclaration qui fait frémir sa femme.
Lê Chuong-Bùi Phuong/CVN