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Enseigne Ikea. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Dans le magasin Ikea de Franconville (Val-d'Oise), théâtre d'importantes grèves en 2010, des salariés syndiqués ont dévoilé des pratiques de surveillance dont ils s'estimaient victimes, aboutissant à l'ouverture d'une information judiciaire en 2012.
Selon l'accusation, plusieurs centaines de personnes ont été passées au crible dans le pays, leurs antécédents judiciaires ou leur train de vie scrupuleusement examinés.
À Franconville, l'une d'elles est l'ancien délégué syndical Force ouvrière (FO) Adel Amara. "Ce procès doit être exemplaire. Ils ont violé notre intimité", a-t-il déclaré lundi 22 mars avant l'ouverture du procès au tribunal correctionnel de Versailles.
À son sujet, l'instruction mentionne un audit de 2010 recommandant une "enquête discrète et complète sur A.A." qui pourrait "servir aux services de police" pour "sortir l'intéressé par les voies externes et légales".
En 2012, Adel Amara a été licencié pour comportement agressif à l'égard de plusieurs salariés, dont Claire Hery, alors codirectrice à Franconville, qui a déclaré à la barre mardi 23 mars avoir eu "peur pour (son) intégrité physique et psychologique".
Jugée dans ce procès qui doit durer jusqu'au 2 avril, l'ancienne codirectrice qui est aussi ancienne directrice des ressources humaines d'Ikea France, a nié tout lien avec l'audit incriminé ou être au courant de recherches illégales visant les salariés syndiqués de son magasin.
Aucun lien de causalité entre les recherches au sujet d'Adel Amara et son renvoi n'a été démontré, a souligné l'avocat d'Ikea France Emmanuel Daoud.
Caissière infiltrée
Au coeur de ce "système d'espionnage" selon les termes du parquet de Versailles, le prévenu Jean-François Paris, ancien directeur de la gestion des risques.
L'ancien directeur d'Ikea France Stefan Vanoverbeke au palais de justice de Versailles le 22 mai. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Le quinquagénaire a notamment reconnu avoir eu recours à une fausse caissière, infiltrée pour "prévenir" en cas d'actions syndicales jugées problématiques.
"On était sur un magasin où le service paie avait été envahi par les organisations syndicales lors des mouvements. On était inquiet que cela recommence", a-t-il dit.
M. Paris a aussi reconnu avoir demandé des renseignements sur Adel Amara. Ce dernier "se vantait d'avoir été en prison et de ne pas avoir peur de la police", a-t-il justifié.
Pour ce faire, il a indiqué avoir sollicité Jean-Pierre Fourès, patron d'une société privée d'investigation dont Ikea France était cliente.
Ce dernier, ancien membre des renseignements généraux, est accusé de s'être renseigné sur de nombreux salariés d'Ikea France en ayant recours au STIC, un vaste fichier policier qui permet de connaître le passé judiciaire des individus, au-delà même des condamnations. Des données pourtant strictement confidentielles.
M. Fourès, aujourd'hui âgé de 73 ans, conteste ces accusations.
L'enquête a par ailleurs montré qu'une personne avait bien consulté en 2010 le STIC au sujet de 20 salariés de Franconville, dont Adel Amara : il s'agit de Laurent Hervieu, alors policier au commissariat d'Ermont.
"Si j'ai fait des consultations, ce n'est que dans le cadre de procédures", a assuré le quarantenaire d'une voix calme à l'audience, évoquant des procédures, qui n'auraient finalement pas abouti, "pour vols, pour escroquerie". Les enquêteurs n'ont pas pu confirmer l'existence de telles procédures.
Candidats à l'embauche
Selon l'accusation, les recherches d'antécédents judiciaires ne visaient pas seulement des salariés, mais aussi des candidats à l'embauche.
Comme à Avignon, où l'ancien directeur du magasin Patrick Soavi avait même soumis à vérification le nom de son fils alors candidat, expliquant qu'"on ne pouvait embaucher sans". Pour réaliser ces recherches, il sollicitait notamment son cousin, commandant de police, qui consultait le STIC.
"Cette pratique, je l'ai réellement découverte chez Ikea", a déclaré à la barre M. Soavi. "Avant je travaillais (pour une autre chaîne de magasins) et à l'époque, Alain était déjà mon cousin, mais jamais il ne me serait venu à l'idée d'utiliser ce moyen".
Fabrice Cadet, alors responsable sécurité au magasin d'Avignon, a admis avoir transmis "une liste" de noms. "On me l'avait vendu comme quelque chose de formalisé chez Ikea", a regretté le quarantenaire, tremblant à la barre en expliquant avoir été "traumatisé" par la procédure judiciaire à son encontre. Fait qui a étonné le tribunal : M. Cadet est encore payé par Ikea France mais "sans travailler", ce qui l'empêche de se reconstruire selon son avocat.
Outre l'enseigne, qui encourt jusqu'à 3,75 millions d'euros d'amende mais conteste les accusations d'espionnage, quinze prévenus physiques au total doivent répondre des chefs de collecte et divulgation illicite d'informations personnelles, violation du secret professionnel ou encore de recel de ces délits, exposant certaines d'entre eux à une peine maximale de dix ans d'emprisonnement.
Les interrogatoires se poursuivront jeudi 25 mars.
AFP/VNA/CVN