Pour le renforcement de la coopération vietnamo-belge dans l'éducation

Joseph Dufey, coordinateur de la coopération universitaire belge francophone avec l'Université agronomique de Hanoi (UAH), a, lors de sa dernière mission au Vietnam, accordé au Courrier du Vietnam une interview retraçant la coopération efficace entre l'UAH et la Commission de coopération au développement des universités francophones belges (CUD).

* Depuis combien d'années travaillez-vous avec l'UAH en tant que coordinateur du programme de coopération vietnamo- belge ? Pourriez-vous retracer les phases de ce programme ?

C'est en 2002 que j'ai été sollicité par la CUD pour assurer la coordination d'un programme de collaboration de longue durée avec l'UAH. J'ai accepté avec enthousiasme, vu les relations d'amitié que j'entretenais de longue date avec le Vietnam (ma première visite au Vietnam remonte à 1982 !). Ce programme, mis en place en 1997, se trouvait à ce moment au terme d'une première phase quinquennale et, suite à une évaluation très rigoureuse, il avait été décidé de renforcer cette coopération par un deuxième programme quinquennal de 2003 à 2008, ce qui constituait déjà à l'époque une reconnaissance de la grande efficacité des partenaires impliqués, tant au Vietnam qu'en Belgique. Ce soutien a été réitéré et des moyens encore plus importants ont été accordés à notre projet pour une troisième phase quinquennale de 2008 à 2013...

* Pourriez-vous nous faire part des consensus obtenus lors de votre dernière visite de travail au Vietnam ?

Ma dernière visite à Hanoi date de décembre 2009 - l'objet principal était de participer à un atelier de travail sur la réforme des cursus universitaires et la gestion des programmes et des étudiants à l'UAH mais aussi dans d'autres universités associées à notre programme de coopération (voir Le Courrier du Vietnam du 17 décembre 2009). En Europe, nous connaissons aussi de profondes réformes de l'enseignement supérieur (réforme de Bologne) et nous rencontrons des problèmes très similaires à ceux qui se posent au Vietnam pour la mise en oeuvre de nouvelles conceptions des programmes, avec une forte individualisation des cursus des étudiants, qui font donc appel à de nouvelles méthodes de gestion. Il nous est apparu indispensable d'assurer de part et d'autre une information détaillée sur ces réformes, de partager nos expériences afin d'en dégager les pistes les plus adaptées pour notre collaboration future. Il faut ajouter d'emblée que cet atelier de travail nous a permis de mieux nous connaître mutuellement tant entre universités francophones belges qu'entre universités vietnamiennes chargées de la formation et de la recherche dans le domaine des sciences agronomiques et des sciences vétérinaires. Côté belge, 6 personnes ayant des responsabilités académiques et administratives de premier plan à l'Université de Liège (sites de Gembloux et de Liège) à l'Université de Louvain (site de Louvain-la-Neuve) ont participé à l'atelier. Côté vietnamien, étaient représentées, outre l'UAH, les Universités de Vinh, de Huê et de Tây Nguyên. Ont été soulevées de nombreuses questions à approfondir. Il est important de disposer d'outils performants pour la gestion des crédits capitalisables dans les nombreux programmes de "bachelor". Une harmonisation de ces outils répondant parfaitement aux besoins locaux serait certainement souhaitable au sein et entre les universités vietnamiennes.

Le soutien aux programmes de mastère existants demeure essentiel (c'est l'une des priorités du programme actuel). Mais aussi, la création de nouveaux mastères avec cursus internationaux est une piste prometteuse pour le futur. Un premier mastère international soutenu par la CUD a débuté en août 2009 et associe des étudiants du Vietnam, du Cambodge et du Laos (programme IMARES : International Master in Rural Sociology and Economics ; voir Le Courrier du Vietnam du 12 août 2009). Je suis cependant très opposé à la création de mastères demandant une contribution financière importante aux étudiants. L'éducation supérieure doit rester un droit pour tous, indépendamment de l'origine sociale des étudiants. Et ce n'est pas dans la mentalité belge où toutes les universités sont financées par l'Etat qui en limite strictement le nombre et fixe leur habilitation à délivrer des diplômes universitaires précis. Aucune université privée ne peut être créée. Nous voulons aussi encourager les bachelors vietnamiens à s'inscrire dans les mastères de base en Belgique, d'une durée de 2 ans, qui leur conféreront non seulement le titre de Mastère, mais aussi celui de bio-ingénieur qui recouvre une réalité plus large que les seules sciences agronomiques.

Nous voulons continuer à accueillir des doctorants vietnamiens en Belgique grâce au système de bourses en alternance qui permettent aux doctorants de rester bien ancrés dans la réalité du milieu rural vietnamien. La question de la co-diplômation des doctorats est une opportunité que nous étudions. Le transfert de crédits, tel qu'imposé dans les formations doctorales, entre le Vietnam et la Belgique, ne pose déjà plus guère problème.

L'e-learning est une autre question à aborder, à tous les niveaux, y compris celui de bachelor, vu les difficultés de programmation des horaires et des salles de cours dans le système de crédits capitalisables. Nous avons développé dans nos universités francophones belges des plateformes informatiques d'échanges entre étudiants et enseignants (documents, forums, travaux de groupe...). Ce sont des outils didactiques très utilisés par les étudiants pour qui la communication électronique est devenue très familière, voire parfois exclusive. En matière d'information scientifique, le véritable problème est de trier l'information, d'en vérifier la fiabilité et de la synthétiser en fonction de l'objectif poursuivi. C'est un problème crucial pour nos propres étudiants également.

L'évaluation des cours (et dans une certaine mesure des professeurs) par des enquêtes auprès des étudiants a aussi été abordée à l'atelier de décembre 2009. C'est devenu une pratique courante en Belgique dont le but premier est d'améliorer la qualité de l'enseignement. Toutefois, nous avons attiré l'attention sur l'usage "collatéral" qui peut être fait de ces enquêtes, notamment en matière d'impact sur la carrière des enseignants. C'est une question très délicate qu'il faut bien baliser avant d'adopter éventuellement ce système à l'UAH.

* Pourriez-vous faire part de certains projets qui ont été réalisés ou actuellement en activité dans le cadre de ce programme ainsi que de leurs résultats ?

La collaboration avec l'UAH fait partie de ce que la CUD appelle "coopération universitaire institutionnelle" en ce sens que c'est l'ensemble d'une institution qui est visée. Ceci s'est traduit notamment dans les années passées par un soutien au développement des réseaux et des salles informatiques, ainsi que des ressources documentaires de la bibliothèque centrale. En vue de fédérer les activités de différentes disciplines, la CUD a promu la création d'un Centre de recherches interdisciplinaires pour le développement rural (CEIDR) qui a soufflé ses 10 bougies d'existence en 2009. Jusqu'en fin du deuxième programme quinquennal, un appui particulier a été apporté à 3 facultés, à savoir la Faculté de productions animales et de sciences vétérinaires (actuellement scindée en 2 facultés), la Faculté d'économie et de développement rural, et la Faculté de sciences et technologies alimentaires. Suite au renforcement des moyens disponibles et à la volonté d'accentuer la dimension institutionnelle, le présent programme quinquennal s'adresse à toutes les facultés, et la dimension régionale, déjà affirmée précédemment, a été renforcée en associant officiellement à certaines activités de formation et de recherche 5 autres universités (Thai Nguyên, Hông Duc, Vinh, Huê, Tây Nguyên) et des centres de recherche, ainsi que l'Université nationale du Laos.

L'actuel programme 2008-2013 comporte 4 volets principaux. Le premier porte sur la formation des chercheurs. Nous organisons, avec des co-titulaires belges et vietnamiens, des sessions de formation à la méthodologie de la recherche scientifique en sciences agronomiques et vétérinaires.

En matière de doctorat, 12 étudiants (dont un du Laos) bénéficient d'une bourse de doctorat en alternance en Belgique et 12 doctorants bénéficient d'une bourse de recherche au Vietnam. Tous ces doctorants ont un superviseur vietnamien et un superviseur belge. Des stages de 3 mois en Belgique sont offerts à des chercheurs vietnamiens, avec priorité aux étudiants inscrits au doctorat à l'UAH. Enfin, nous appuyons la formation linguistique des étudiants-chercheurs à l'UAH, répartis en 2 groupes d'anglais, auxquels s'ajoutera sans doute un groupe de français en 2010.

Le deuxième volet porte sur l'appui à la recherche. Chaque année, nous sélectionnons 4 nouveaux projets pour une durée de 2 ans. Une condition d'éligibilité est de contribuer au développement rural et de comporter des équipes de différentes facultés, et si possible de différentes universités et centres de recherche. Les doctorats sont aussi supportés par le biais de ces projets de recherche. Nous avons créé à l'UAH un fonds d'équipement scientifique avec appel annuel. La priorité est donnée à des équipements utiles au plus grand nombre de chercheurs, dont les doctorants. Par ailleurs, nous poursuivons une formule bien rodée et qui a donné grande satisfaction depuis 2003, à savoir le soutien à des petits projets de recherche (une trentaine) menés par des groupes d'étudiants encadrés par de jeunes enseignants. Lors de la cérémonie de rentrée académique, nous décernons un prix aux 3 meilleures petites recherches menées au cours de l'année précédente. Enfin, nous appuyons l'organisation mensuelle de séminaires de recherche, si possible inter facultaires, et l'organisation d'un workshop interuniversitaire annuel avec communications scientifiques et édition des actes.

Le troisième volet concerne la réforme des cursus universitaires et la gestion des programmes et des étudiants. C'est dans ce cadre que j'ai effectué ma dernière mission et j'en ai rapporté les modalités et les résultats en début d'interview.

Enfin, la CUD soutient l'acquisition et la gestion des ressources documentaires des bibliothèques. En Belgique, ce volet est piloté plus spécifiquement par un groupe de bibliothécaires ayant une vision transversale de cette problématique dans toutes les universités soutenues par la coopération institutionnelle au même titre que l'UAH, soit seulement 12 universités dans le monde (ce qui démontre à quel point la sélection des universités bénéficiaires est rigoureuse, et la haute considération portée à l'UAH). Le responsable à Hanoi est le directeur de la bibliothèque centrale, et la sélection des ressources documentaires est faite en concertation avec toutes les facultés.

* Quel est, à votre avis, la clé du succès de votre programme de coopération?

La réponse est simple, c'est avant tout la qualité des relations humaines nouées entre les acteurs vietnamiens et belges. Il ne peut y avoir de collaboration efficace sans respect des personnes et appréciation de leurs qualités. Ces relations humaines portent d'ailleurs leurs fruits bien au-delà du présent programme de coopération. Il faut, de plus, le soutien des autorités des institutions concernées, mais ce programme n'aurait jamais vu le jour sans cela. Je tiens cependant à souligner la qualité du soutien des autorités de l'UAH qui ont bien compris que le but de la CUD est d'appuyer une institution dans son ensemble et non pas de servir l'intérêt d'équipes restreintes, voire de personnes individuelles. Une autre clé du succès de notre programme est de toujours garder en mémoire, qu'au travers de l'appui à la formation et à la recherche, nous nous devons de contribuer au développement rural dans toutes ses composantes et, in fine, à l'amélioration des conditions de vie des familles rurales encore largement majoritaires au Vietnam.

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