Cet excellent connaisseur de la langue française aime à évoquer ses origines italiennes et se souvient de l'époque où il faisait de la politique linguistique avec un autre linguiste, Bernard Quemada, d'ascendance espagnole. Bernard Cerquiglini raconte qu'il est né à Lyon, dans un quartier populaire, La Guillotière, habité essentiellement par des familles émigrées. Son grand-père venait de Peruggia, car Cerquiglini est un nom de cette région. Le latin querqus s'est "dissiminé", comme disent les linguistes, en cercus et donc "Cerquiglini", c'est-à-dire le petit, tout petit chêne ! Et Bernard Cerquiglini avoue qu'il aime Lyon, ville de gastronomie, de l'imprimerie : "Je n'oublie pas qu'à la Renaissance, le premier grammairien français à rédiger une grammaire en française s'appelait Louis Maigret (1550), qui fut un grand réformateur de l'orthographe et qui signait ses livres +Louis Maigret, lyonnais+. J'aimerais bien faire comme lui mais je n'ai pas son talent !".
Études au lycée Ampère, puis l'École normale de Saint-Cloud, agrégation et doctorat. Sa thèse d'État (1979) portait sur la représentation du discours dans les textes narratifs du Moyen Âge, soutenue à l'Université d'Aix-Marseille : "Oui, parce que je voulais faire ma thèse avec Jean Stéfanini, grand médiéviste et maître de linguistique, très ouvert à la linguistique moderne, et comme j'avais commencé à travailler en linguistique contemporaine avec l'école de Chomsky et que je voulais appliquer les méthodes d'Antoine Culioli à l'ancien français, et seul Stéfanini connaissait les 2, j'ai choisi cette université-là et non une parisienne."
Ce côté international, Bernard Cerquiglini l'a développé en travaillant comme professeur invité à l'Université de Berkeley. Il a traduit Noam Chomsky (au Seuil, 1975) : "C'était mon premier travail, nous avons pris la syntaxe au sérieux, la base de la linguistique. Cette formation m'a permis de travailler sur la syntaxe de l'ancien français qui est mon domaine... Quand on m'a appelé, j'ai cru à une plaisanterie... puis presque chaque année, j'ai enseigné dans une université américaine".
Quand le linguiste se fait écrivain
Ce qui transparaît dans le parcours de Bernard Cerguiglini, c'est ce double mouvement : l'érudition la plus absolue, celle de l'universitaire, du chercheur qui donne à la langue française de nouvelles analyses, et puis le travail de celui qui met les travaux des chercheurs à la portée du grand public (par exemple son Histoire de la littérature française, Nathan, 1984). Ses essais montrent que le linguiste Cerquiglini est aussi un écrivain !
En témoigne son essai sur l'accent circonflexe, L'accent du souvenir (formule de Ferdinand Brunot), publié grâce à l'éditeur Jérôme Lindon, ouvrage qui reçut le prix Georges Dumézil décerné par l'Académie française. Bernard Cerquiglini fournit ici quelques explications sur l'histoire de ce signe d'origine grecque, né en France au 16e siècle, d'abord refusé par l'Académie puis adopté par elle plus tard, l'accent des réformateurs (souvent imprimeurs) devenant le signe de la conservation... Et il raconte la querelle de l'orthographe à propos de cet accent.
Bernard Cerquiglini a rédigé une Histoire de la langue française, avec l'académicien grammairien Gérald Antoine, de l'Académie des sciences morales et politiques.
Quant à son Roman de l'orthographe, avant la faute au paradis des mots, il révèle son goût pour l'humour et les jeux de mots.
On doit à Bernard Cerquiglini d'avoir convaincu le CNRS de mettre gratuitement sur Internet le TLF, le Trésor de la langue française, commencé par Paul Imbs et poursuivi par Bernard Quemada : "arme merveilleuse pour la langue et pour la francophonie".
L'homme des institutions aussi !
Tout au long de sa carrière, il resta au service de la République, tel un haut responsable institutionnel : "Je suis schizophrène par alternance ! Dans certaines phases de ma vie, j'enseigne, je suis universitaire, je donne des conférences, et dans d'autres je suis aux affaires... À 37 ans, Jean-Pierre Chevènement m'a proposé à la tête de l'enseignement primaire, énorme direction ministé- rielle."
Puis de 1989 à 1993, il fut délégué général à la langue française, auprès du Premier ministre, Michel Rocard, mandat de 4 ans au cours duquel certaines rectifications sur environ 400 mots ont été proposées. Puis il a occupé le poste (succédant à Bernard Quémada) de vice-président du Conseil supérieur de la langue française. "Il fallait que la France eût une politique linguistique complète, sans oublier les langues de France..." (son rapport rendu au gouvernement répertoriait 75 langues de France et ses territoires hors de l'Hexagone). C'est d'ailleurs à Bernard Cerquiglini que l'on doit l'expression "Langues de France", patrimoine et bien immatériel de la nation. "Ce n'est pas être ennemi de la République que de défendre ces langues de France". À ses yeux, il est important que des citoyens français parlent d'autres langues car il faut respecter la diversité du français.
Le recteur de l'AUF
Après un séjour en Louisiane, il est devenu recteur de l'AUF, un grand réseau mondial de la francophonie, 728 universités francophones ou "partiellement" francophones (ce "partiellement" est un coup de génie, selon Bernard Cerquiglini, car il permet de bâtir une francophonie universitaire plus vaste que la francophonie politique) et une communauté scientifique de langue française. Cette agence est une association mais aussi un opérateur de la francophonie, avec des moyens (un budget de 40 millions d'euros), du personnel (452 personnes), et des locaux dans le monde entier, dans 63 endroits dans le monde quelqu'un parle au nom de l'AUF. Un exemple : les recteurs d'Afrique souhaitaient une formation en gestion : nous avons créé un institut pour donner cette formation. Il existe aussi des bourses pour les jeunes universitaires, des aides pour les pays en voie de développement. Le recteur de l'AUF voyage sans arrêt !
AUF/CVN