Tous les matins, pour se rendre à l’université, Pam saute à bord d’un «khlong boat», ces bateaux qui filent sur le grand canal traversant Bangkok, comme des dizaines de milliers d’habitants de la capitale thaïlandaise, chaque jour un peu plus engorgée par les embouteillages.
Une contrôleuse d’un «khlong boat» sur le canal Saen Saeb. |
«Je prends le bateau parce que ça va beaucoup plus vite!», explique l’étudiante de 18 ans, avant de sauter à bord d’une de ces navettes bondées qui sillonnent le canal («khlong» en thaï) Saen Saeb.
Autour d’elle, une centaine de passagers ont trouvé là le moyen le plus rapide de gagner le centre de la mégalopole de 12 millions d’habitants. La plupart sont des étudiants ou de jeunes actifs. Les personnes âgées et familles avec enfants ne s’aventurent pas sur ces bateaux, qui aux heures de pointe ne s’arrêtent que quelques secondes aux pontons pour laisser les passagers embarquer de façon souvent acrobatique.
Femmes en hauts talons et jupes courtes sautent à bord en s’agrippant à un système de cordes artisanalement fixées au plafond de toile. Sur YouTube, entre autres films consacrés aux chutes de passagers, une vidéo intitulée «Tsunami in khlong»
(www.youtube.com/watch?v=X0JdZN5hWbE) a fait sensation. Elle montre des usagers tomber à terre submergés par une vague sur un ponton en avril.
«Ma mère ne prend jamais le bateau, elle a trop peur», rit Pam Olanthanyawat, alors que des vagues grises, provoquées par les navettes venant à contre-sens, s’écrasent sur la bâche protégeant les voyageurs sur les côtés. Celle-ci est tenue par les usagers eux-mêmes, via un système de poulies de fortune, ce qui ne les empêche pas de consulter, imperturbables, de l’autre main, leurs smartphones.
Ne levant les yeux de leurs écrans que pour régler leur ticket (moins de 20 bahts - un peu plus de 0,50 euros) au contrôleur. Celui-ci passe sa journée à faire le tour du bateau sur l’étroit bastingage, en casque de mobylette et gilet de sauvetage orange. «Pour leurs déplacements quotidiens, les habitants disposent d’un précieux allié: le très pollué Saen Saeb», salue le guide Lonely Planet.
«Même si vous n’allez pas au bureau, vous pouvez profiter des ingénieux bateaux qui sillonnent le canal de la Cité des Anges. Veillez cependant à vous protéger le visage des vagues pour éviter tout contact avec les eaux douteuses», conseille le guide consacré à Bangkok, surnommée la «Venise d’Asie».
Pam, l’étudiante en archéologie, est interloquée qu’on puisse comparer le «khlong boat» de Bangkok avec le vaporetto de Venise, système de transports en commun très utilisé par les Vénitiens, outre les touristes.
«Ça, Venise?»
«Ça, Venise?», dit Pam avec une moue de dégoût devant l’odeur fétide du canal, où se déversent des égouts et flottent de nombreux déchets. «Ma mère me raconte qu’avant, quand elle était enfant, le canal était propre», dit l’étudiante.
Le transport sur le khlong s’est développé, au point de s’imposer comme une alternative crédible aux transports en commun terrestres. |
Bangkok est en effet parcourue de canaux. Mais, avec l’urbanisation effrénée, la plupart ont été comblés pour en faire des rues. Les autorités sont critiquées pour avoir négligé ces canaux.
Dans un récent éditorial, le Bangkok Post donnait ainsi en exemple l’aménagement du Cheonggyecheon à Séoul, s’extasiant sur le fait que les habitants y plongent leurs pieds ou viennent pique-niquer sur ses berges. «Si Séoul peut le faire, pourquoi pas Bangkok?», écrivait le journal.
À Bangkok, «tout est à améliorer, les pontons doivent être reconstruits, des lampadaires installés», critique Tawatchai Laosirihongthong, spécialiste des transports à l’université de Thonburi.
Le transport sur le khlong s’est pourtant développé, loin de tout plan d’urbanisme, au point de s’imposer comme une alternative crédible aux transports en commun terrestres.
Il complète un système de bateau public très utilisé, le «Chao Phraya express», sur le fleuve Chao Phraya qui traverse la capitale. Mais le service de navettes sur le khlong est assuré par une compagnie privée, «Family transport», dont la flottille de plus de 70 navettes couvre près de 20 des 30 kilomètres du canal.
La municipalité de Bangkok tente à son tour de développer le réseau, avec un test jusqu’à l’été 2014 de navettes publiques sur une portion de 11 kilomètres supplémentaires, soit 14 pontons en plus des 27 exploités par Family transport.
La ville prévoit la mise en place de stations supplémentaires d’épuration des eaux usées, afin de rendre plus agréable ce moyen de transport qui a compté en 2012 38 millions de passagers, soit plus de 100.000 par jour, selon son service des transports.
Car dans la capitale thaïlandaise, malgré la création de quatre lignes de métro, les transports en commun restent en deçà des besoins, comparé à des villes modèles comme Hong Kong ou Tokyo.
AFP/VNA/CVN