Alors, elle rend un hommage inédit le 10 décembre 2009 aux Travailleurs Indochinois, ces exilés malgré eux, qui sont venus développer le riz et récolter le sel en Camargue durant la Deuxième Guerre mondiale. Ces immigrés de force, étaient oubliés depuis les années 1939 et dans les mois qui ont précédé la défaite de 1940.
La cérémonie a été précédée par une rencontre-débat au Méjan, le 9 décembre 2009 concernant ces travailleurs, des Linh tho. Plus de 100 invités et des Arlésien(ne)s ont écouté, échangé et communiqué maints détails sur ces hommes et leurs familles. Des récits très émouvants des enfants de ces ni civils ni militaires, à la recherche de leur "moi" car détenteurs des cultures de 2 civilisations. En effet, la deuxième génération, voire la troisièmes issues de ces hommes venus d'ailleurs s'est intégrée à la nation française. Même, les descendants constituent des personnalités connues de la "diversité" sociale, économique et politique de la France d'aujourd'hui. Mais, eux, tout en étant Français, veulent fortement être la jonction des 2 rives. Nous nous penchons sur cet itinéraire imaginaire pour voir leur impact sur la conjoncture française contemporaine.
Reconnaissance et rehabilitee
L'hommage du maire d'Arles "Pour les derniers de ces hommes encore vivants" a été très fort en émotions et en éloges. Cependant, aucun des quelque 20.000 "ouvriers non spécialisés" (ONS, "linh tho" en vietnamien) venus au total d'Indochine n'a obtenu de pension pour les années travaillées en France, durant lesquelles ils touchaient moins du dixième du salaire d'un ouvrier français. La plupart de ces hommes, sont retournés au Vietnam après la guerre mais une trentaine encore vivant en France sont venus à Arles avec leurs familles et leurs amis de Vénissieux, Paris, La Grande Motte, Allauch, Marseille, Boulogne Billancourt, Montpellier, Colombes et Cavaillon pour recevoir la médaille du souvenir. Deux médailles ont été remises à titre posthume aux enfants.
Tous les linh tho ont été recrutés en 1939, la plupart de force, par le ministère des Colonies pour les usines d'armement françaises, comme déjà durant la Première Guerre mondiale. Après la démobilisation, le rapatriement d'une partie de ces hommes a eu lieu dans l'année qui a suivi l'armistice et a duré jusqu'aux années 1950, 1952. À la débâcle de juin 1940, ils ont compté environ 20.000 hommes répartis en 73 compagnies, composées de 200 à 250 travailleurs originaires de la même province. Bien que ni civiles ni militaires, ces compagnies ont été encadrées par d'anciens officiers des Troupes Coloniales dont l'attitude méprisante, brutale n'a été guère appréciée de cette main d'œuvre habile, docile et bon marché. Cependant, plus de 14.000 de ces travailleurs sont restés en France.
Des témoignages de visu apportés par les enfants, détenteurs de souvenirs, livres, photos et correspondances sont aussi des échos vigoureux de cet adage "quand tu manges un fruit, n'oublies pas celui qui a planté l'arbre". Des rappels au devoir de mémoire dont l'un d'eux a écrit "alors que la plupart de ces hommes ont disparu, seule importe aujourd'hui leur dimension humaine et historique. Mon témoignage pour sa modeste part, constitue la première pierre d'une stèle commémorative en souvenir des Vietnamiens mis au service de la France durant les années noires de sa longue Histoire. Je rêve de la voir ériger aux abords des Rizières de la Camargue en Provence. Il nous appartient simplement de rendre hommage et justice à ces +Nhà Quê+ - paysans vietnamiens - en inscrivant leurs mérites, leur dévouement, leur solidarité au sommet de l'organigramme de votre Musée du Riz. Ce sera tout à votre honneur.
Un stèle et/ou une rue pour devoir de mémoire? Cette modeste demande semble-t-elle convenir aux élus de la République pour ces oubliés de l'histoire?”
Les descendant des exilés malgré eux
Lors de cette rencontre des 2 jours, où la jeune génération n'a pas hésité à poser des questions, à lire des lettres adressées au maire et à montrer des photos de leurs familles ici et au Vietnam, il nous semble intéressant de relever 2 traits spécifiques. D'une part, une discrète retenue pour ce qu'elle estime personnelle et familiale et ne devant donc pas être portée sur la place publique. D'autre part, une grande fierté que les contributions sociales et économiques de leurs pères à la France, soient réhabilitées et reconnues.
En effet, la deuxième génération souhaite transmettre cette mémoire et insiste sur la réalité de cette époque, en toute simplicité pour que les souvenirs ne s'envolent pas à en croire ces lignes… Les travailleurs indochinois en France furent envoyés sur les rizières pour apporter leur savoir faire et créer le riz camarguais tel qu'on le connaît aujourd'hui, d'autres travaillèrent dans l'exploitation du sel. "Notre père, lui, s'occupait du côté administratif et habitait aussi dans les baraquements que l'on voit encore à Faraman". Des conditions de vie difficiles où perce pourtant un rayon de soleil. Leur père rencontre leur future mère, la fille du métayer, employée à nourrir les ouvriers des salins. Après un aller-retour à Fréjus en 1942, affecté à la construction du mur de la Méditerranée, et la naissance de Richard, le couple Trinh revient à Salin en 1946, après avoir obtenu la levée de réquisition et s'y marie. Les 3 frères de retour en Camargue grandissent à Faraman. "Il y avait au moins 40 familles, italienne, espagnole… Pour nous, c'était l'ambiance de la guerre des boutons ! On allait à Beauduc, on pêchait, on laissait échapper les taureaux, les chevaux, on se baignait dans les roubines, c'était la liberté". Leur père évoque peu les années de guerre : "Il ne voulait pas que son passé ni sa race ne prédominent sur notre destinée. Et même si on faisait la fête du Têt, on n'a pas appris à parler vietnamien. Nous n'étions pas déchirés entre 2 cultures, même si petits on nous a parfois traités de "mangeurs de chats". Dès 58, la famille retourne à Salin. C'est ici que notre père a été enterré selon la coutume vietnamienne", souffle Claude. À Faraman City comme l'indique le panneau, les souvenirs affluent devant la maison du grand-père ou même de celle de leur enfance. Richard, Claude et Fabrice, les trois Camarguais ne transmettent que la mémoire de leurs ancêtres dont certains - quelques centaines - façonnèrent la Camargue actuelle à travers ses rizières ou donnèrent un sacré coup de main pour la production de sel…
La jeune génération et tous les participants présents espèrent que cette commémoration dont Arles peut être fière sera la première d'une longue liste en France. Pour que le passé soit regardé en face.
Questionnements de l'imaginaire de la continuité
Si certains descendants de ces travailleurs naturalisés Français se sont intégrés au sol qui les a vus naître et font partie des cadres supérieurs… et même professeurs agrégés, il en est d'autres qui se cherchent encore une porte de sortie du côté psychologie identitaire et choix du réel. Psychologie des valeurs de la République ou choix de la plaque identitaire ? Généalogie et recherche des pères repartis chez eux, en les laissant seuls avec leurs mères ou dilemme de la double origine ?
Par ailleurs, sans haine raciale ni chaleur confortable, la jeune génération se doit d'être optimiste. Il leur reste encore un long parcours pour être bien dans leur tête et dans leur peau de Métis. Le métissage a la pertinence du beau et de continuité dans l'imaginaire des acquis de vie. Vivre c'est choisir. Et les victimes vietnamiennes de la dioxine) eux, ont choisi de vivre une vie décente, sans état d'âme… Les soutenir dans leur quête de la justice est un impératif de la conscience humaine et de cette imaginaire de la continuité pour les descendants des gens qui n'étaient rien et maintenant on se souvient de nous!
Nguyên Dac Nhu-Mai/CVN