Mon amie américaine Martha Hess appartient à la Vietnam Generation, génération qui descendait dans la rue au cours des années 60-70 du siècle dernier pour manifester contre la guerre du Vietnam. Ces contestataires doivent maintenant dépasser le cap de la soixantaine ou de la soixante-dix septaine. Martha m’a confié : «Je travaillais à un tribunal de New York le plus occupé et le plus intéressant des États-Unis, le Tribunal fédéral de Manhattan. J’étais greffier. Je devais suivre le déroulement des procès, interrogatoire, discussions, verdict... En sténo sur ordinateur, tout enregistrer pour constituer des dossiers officiels. Un travail éreintant qui demande un esprit toujours éveillé, sans cesse lucide, habitué à l’analyse aussi bien qu’à la synthèse».
Then The Americans came
Il y a une dizaine d’années, Martha m’a hébergé chez elle quand je venais à New York. Elle m’a fait visiter sa ville de long en lange, me faisait assister à une session du tribunal, m’offrant une vue panoramique scintillante de la mégalopole du haut du Palais de justice, me promenant en voiture à travers Harlem par une nuit de pluie torrentielle.
Couverture du livre Then the Americans came de Martha Hess |
Elle a un faible pour ce quartier parce que depuis des années, elle avait combattu pour la cause des noirs, contre le segrégation raciale alors très forte.
Quand la Maison Blanche intervenait au Vietnam, Martha a mis en veilleuse le noir pour passer au jaune. Épousant la cause du peuple vietnamien, poursuivant ainsi le combat de sa vie pour la démocratie et à l’égalité. Harlem a depuis toujours fait partie de la chair et du sang de Martha. Les noirs sont ses frères. Son idole est une noire, la femme juge Constance B. Motley. Elle m’a raconté beaucoup de choses sur cette femme extraordinaire.
Motley est née et a grandi dans le New England. Après ses études de droit, elle a pu travailler avec Marshall, le premier juge noir du pays, son mécène. Elle est devenue elle-même la première femme juge noire du Tribunal fédéral.
Martha m’a raconté : «Greffier du tribunal, j’ai la chance de travailler avec Motley depuis une quinzaine d’années. Aujourd’hui, bien que noire, elle jouit d’un grand respect au tribunal. Il lui a fallu passer par de longues années de mépris – femme et noire – avant de conpérir sa position actuelle. Sa nomination aux fonctions de juge s’était heurtée à des violentes objections. Son maître Marshall lui avait enseigné l’art de rire face aux insultes. Intelligente et courageuse, Motley est la torche de ma vie».
Martha a élargi l’horizon de sa lutte, prenant parti pour tous les peuples de couleur… Ce qui explique pourquoi elle s’est tournée vers le Vietnam. Elle a fait plusieurs voyages dans notre pays et a écrit en 1993 Then The Americans came. C’est le fruit d’un voyage en voiture de Hô Chi Minh-Ville à Hanoi, 2.000 km au long de la route trans-vietnamienne. Elle s’arrête à tout endroit ravagé par les bombes américaines, causant avec une centaine de Vietnamiens survivant à la guerre. Elle écoute de simples habitants qui lui content, au hasard d’une rencontre, leur chagrin de guerre et leur modeste espoir en l’avenir. Les photos prises par l’auteur donnent de la vie au texte parfois poignant.
Préfaçant le livre de Martha, le R.P.W.S. Coffin s’adresse à ses compatriotes : «Nous avons commencé seulement à percevoir la colère et la douleur de nos propres soldats, leur chagrin reflété par le Vietnam Memorial qui s’arrange merveilleusement à honorer les combattants sans honorer la guerre. N’est-il pas temps maintenant d’écouter l’autre côté ? Le prix de la vérité n’est jamais aussi élevé que celui de son rejet. Martha Hess a écrit un livre triste. Mieux qu’importe ! Nous sommes plus aptes à comprendre dans la douleur que dans la complaisance : parmi toutes les épées, seule celle de la vérité peut cicatriser les blessures que l’épée a causées».
Huu Ngoc/CVN