Le lotus dans la culture vietnamienne

Le lotus est toujours présent dans la culture du Vietnam. Il se rencontre dans l’art aussi bien que dans la vie quotidienne.

Au Vietnam, le changement de saisons s’exprime souvent par le langage symbolique des fleurs. Dans son discours prononcé au Palais de la présidence lors de sa visite à Hanoi le 17 novembre 2000, le Président américain Bill Clinton s’est rappelé de cet usage, en citant deux vers du Kiêu de Nguyên Du, poète du XVIIIe siècle :

«Les lotus se fanaient, les chrysanthèmes commençaient à fleurir.

Longue était la tristesse, courts les jours. De l’hiver, on passa au printemps.»

Un ami vient de m’envoyer de Paris, Vietnam, le destin du lotus, recueil de morceaux choisis sur la culture vietnamienne, en français. Les auteurs expliquent pourquoi ils ont choisi le lotus : «Domination chinoise, colonisation française, division du pays, guerre de libération nationale, comme le lotus, capable de s’épanouir sur les marais les plus fangeux, la littérature vietnamienne moderne et contemporaine est née sur un sol mouvant de violence».

La pagode au pilier unique de Hanoi (XIe siècle) représente un lotus avec sa tige émergeant dans l'eau.

Le lotus dans tous ses états est un film écrit et réalisé en 2011 par Philippe Rostan de Paris. «Les images distillent de bien belles émotions… Il faut les voir et revoir. Elles nous disent le lotus, bien sûr, mais bien d’autres choses, tellement subtiles que les mots ne savent pas le dire…» (Janine Gillon). C’est dire aussi l’actualité du lotus, fleur qui occupe une place importante dans la psyché vietnamienne.

Image de pureté

Au temps de la colonisation française, j’étudiais par cœur à l’école, à l’âge de six ans la chanson populaire:

Dans l’étang, qu’y a-t-il d’aussi beau que le lotus ?

Feuilles vertes, fleurs blanches, étamines d’or.

Étamines d’or, fleurs blanches, feuilles vertes,

Proche de la boue, mais sans la puanteur de la boue.

L’explication : «Ce texte parle du lotus qui pousse dans les endroits boueux mais qui garde toujours son parfum et ses belles couleurs. Tout comme l’homme de bien gré, bien que vivant avec des personnes mauvaises, ne perd pas son cœur loyal».

L’image du lotus dans la religion…

Cette image de pureté devait germer et fleurir dans l’âme des générations qui ont franchi aujourd’hui le cap de la soixantaine. La comparaison du lotus à l’homme de bien relève de l’éthique confucéenne. Mais le lotus chez nous évoque en général le bouddhisme. En tout cas, bouddhisme et confucianisme souvent s’amalgament dans les croyances populaires.

Selon les anthropologues, le lotus est à l’origine de deux symboles différents : celui de la pureté (bouddhisme, vertu) et celui de la sexualité (culte de la fécondité). Dans l’Égypte ancienne, le lotus représentait la matrice qui avait donné naissance à l’univers et à la vie surgissant de l’immensité des eaux. Du nombril de Vishnou émerge le lotus dont corolle abrite Brahma. Le lotus blanc est de caractère masculin (prospérité), le lotus vert est féminin.

Le bouddha Çakyamuni trône sur un lotus qui représente l’essence de sa doctrine. Cette fleur sur le marais de la transmigration n’est pas entachée par le Samsara. Elle est placée au centre de la Roue de la métempsychose. Le lotus représente également les Trois mondes : le présent (la fleur), le passé (le rhizome) le futur (les graines). L’hindouisme conçoit que l’axe de l’univers, le Mont Mehru, est le linga. Le livre canonique bouddhique Anguttara dit du lotus : «Pareil au lotus pur, parfait, nullement souillé par l’eau sale, je ne suis pas pollué par les poussières de la vie terrestre.»

Est-ce que cette image de pureté du lotus avait été transmise directement à notre peuple par les premiers moines indiens venus au Vietnam au début de l’ère chrétienne ?

Passant de l’Égypte à l’Inde et à l’Extrême Orient, le symbole du lotus se différenciait. La littérature érotique chinoise a employé le mot lotus pour désigner le sexe féminin ; l’expression lotus d’or fait allusion aux filles de mauvaises mœurs ; mais talon ou pied de lotus est aussi une expression littéraire pour décrire les pas d’une belle jeune fille. En tout cas, le lotus évoque toujours une jeune fille en fleurs.

Le lotus est toujours présent dans la culture du Vietnam. Depuis le XIe siècle, sous la dynastie royale des Ly, cette fleur est un motif décoratif populaire. La Pagode au Pilier unique de Hanoi (XIe siècle) représente un lotus avec sa tige émergeant de l’eau, liant ainsi la bouddhisme au culte de la fécondité, la colonne (la tige) supportant l’édifice (la fleur) pourrait être un linga et l’étang un yoni.

… et dans la vie quotidienne

Le lotus est lié à la vie quotidienne du peuple. Dès sa naissance, le garçon pourrait être appelé Liên (lotus) comme étant l’intégrité alors que la fille pourrait porter le même nom mais qui évoque la pureté et la beauté. Beaucoup de pagodes adoptant le nom du lotus : Kim Liên (Lotus d’or), Bach Liên (lotus blanc) Liên Tri (mare aux lotus)… Cette fleur peut aussi figurer aux funérailles ou siéger sur l’autel des ancêtres à l’occasion des cérémonies rituelles.

Les lacs aux lotus offrent des sites pittoresques aux citadins

Dans chaque village, il n’est pas rare que la pagode ou la maison commune se mise dans une mare aux lotus. Les lacs aux lotus offrent des sites pittoresques aux citadins. Je me rappelle une promenade sur le Lac de l’Ouest de Hanoi il y a une quinzaine d’années. Une nuit, nous voguions, une vingtaine de poètes et de lettrés, sur quatre barques. Les embarcations devaient se frayer un passage à travers les larges feuilles de lotus. Au clair de lune, nous nous laissions griser par le doux parfum des fleurs, et les romances chantées par une belle Huénne au rythme d’une cithare et du clapotis des vagues. Soirée inoubliable.

Le lac aux lotus Tinh Tâm de Huê est un célèbre havre de paix et de méditation. Le lotus émaille notre poésie populaire et notre poésie savante. Le jeune laborieux amoureux chantait dans la rizière la cantilène : 

Hier soir, j’ai puisé de l’eau devant la maison commune

J’ai oublié ma veste sur une fleur de lotus.

Si vous la trouvez, rendez-la moi

À moins que vous ne vouliez le conserver en gage.

Au XIVe siècle, le premier Docteur ès humanités Mac Dinh Chi, mal vu par le roi à cause de sa laideur physique, a plaidé sa cause en composant un phu (moreau de prose rythmée), se comparant à une fleur de lotus délaissée au milieu d’un puits de jade. Ce qui lui a permis d’obtenir la faveur royale. Tan Da (1888-1939), le prince des poètes vietnamiens, fait une allusion érotique au lotus :

Dans l’étang, qu’y a-t-il de plus beau que le lotus

Voilà un lotus là s’ouvre avant les autres

Entre eau et ciel, la jeune vierge se sent perdue

Feuilles vertes, pétales blancs, étamines d’or

Une bande de papillons volettent autour

Une barque lentement, glisse vers elle.

Il n’est plus temps de cacher ce qu’il faut cacher

Qu’en diraient les jalouses qui tardent à s’ouvrir ?

Changeant de registre, Tan Dà chante avec mélancolie la disparition des lotus et automne :

Dans l’étang, les feuilles de lotus s’étiolent

À pleurer la mort des fleurs

Le mot «sen» (lotus) revient une dizaine de fois dans Kiêu, chef d’œuvre de notre littérature. Son auteur, Nguyên Du emploie l’image du lotus par définir le nghia (obligation morale dictée par le sentiment) :

Xot thay chut nghia cu càng

Dau lia ngo y con vuong to long

(Que de regrets amers pour cet amour passé,

La tige du lotus peut se briser, les fils ténus unissent encore les coeurs.)

(Traduction de Nguyên Khac Viên).

Le lotus dans l’art

Comme motif décoratif, le lotus apporte sa contribution à l’art, artisanat – broderie, imagerie...

Le lotus se rencontre dans l’art aussi bien que dans la vie quotidienne. Le Musée Hô Chi Minh affecte la forme d’une fleur de lotus, rappelant le mot Kim Liên (Lotus d’or), nom du village d’origine du Président. Comme motif décoratif, le lotus apporte sa contribution à l’art, architecture, sculpture, artisanat – broderie, imagerie, meubles, bibelots, vaisselles.

 

L’habillement adopte aussi le lotus (habit à feuille de lotus désigne la veste féminine traditionnelle à col rebattu. Le rose canh sen (pétale de lotus) était la couleur favorite des femmes. Les graines et les racines tubéreuses du lotus entrent dans la composition de plats délicieux : poule ou pigeon cuit à l’étouffée (graines), ragoût de patte de cochon (racine), bouillon sucré aux graines de lotus (comme dessert)… confiture, pâtisserie… Le thé parfumé au lotus est une offrande royale.

Le lotus rend des services à la médecine douce… Ses graines servent de somnifère.

Le fameux côm (jeune riz grillé) du village Vong doit être enveloppé dans la feuille de lotus pour conserver sa saveur. Chaque matin, les marchandes de xôi lua (riz gluant cuit avec du maïs servi au petit déjeuner enveloppaient aussi leur marchandise avec des feuilles de lotus : Elles les remplacent maintenant avec du nylon. Signe des temps !

Encore une belle image disparue.

Huu Ngoc/CVN

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