À propos d’un conte raconté par Hô Chi Minh à Budapest

À l’occasion du 112e anniversaire de naissance du Président Hô Chi Minh (19 mai 1890), Huu Ngoc nous présente l’extrait d’un article de Kovacs Lajos, ingénieur journaliste hongrois, qui relate la visite du président vietnamien en Hongrie en 1957

Hoàng Linh, rédacteur en chef du journal Sao Viêt (Étoile du Vietnam), organe de la diaspora vietnamienne en Europe, a eu la gentillesse de m’envoyer quelques exemplaires de sa publication et des documents sur la vie de nos compatriotes en Hongrie. Dans cette collection, l’article de l’ingénieur journaliste Kovacs Lajos me fascine parce qu’il présente un intérêt historique et révèle un trait de la personnalité de Hô Chi Minh. L’auteur y relate la visite d’amitié du Président vietnamien en Hongrie en 1957, il y a plus d’un demi-siècle.
1957 fut un jalon important dans l’histoire contemporaine de la Hongrie. Le pays venait d’être bouleversé par les événements politiques orageux de 1956 qui marquaient l’échec des tentatives de réformes démocratiques révolutionnaires. Le pays déployait de grands efforts pour panser ses douloureuses blessures et réaliser la réconciliation nationale. Dans cette conjoncture, la visite du chef d’État d’un pays d’Asie nouvellement indépendant et luttant pour sa réunification présentait une grande importance.

Faisant fi du protocole mais conquérant l’estime du public, le Président Hô Chi Minh avare en parole et riche d’esprit possède une personnalité fascinante.
Photo : CTV/CVN


Dans l’article de K. Lajos (traduit en vietnamien par Hoàng Linh), je trouve très intéressant le passage contant la participation de Hô Chi Minh à un grand meeting au Palais des sports de Budapest avec la présence du Président hongrois. J’en donne ci-dessous la traduction en français :
"Cet après-midi-là, l’horizon de mes connaissances de l’Orient s’est considérablement élargies grâce à des expériences nouvelles, le Président Hô Chi Minh a pris la parole. (…) Hô Chi Minh raconte une histoire de l’antiquité asiatique. Je me rappelle toujours ce conte très simple mais très instructif, c’est un éducateur éminent".
Voici l’histoire :
«Un jour, un homme issu d’une famille noble traverse en barque un fleuve large. Au milieu du cours d’eau, il laisse tomber par mégarde son épée dans le courant. Il fait une marque sur le flanc de la barque. Ensuite, il fait jeter l’ancre, et considère que l’épée est tombée en cet endroit. Il plonge et cherche en vain… Quoi de surprenant : pendant qu’il gravait une marque sur la barque, celle-ci a été entraîné par le courant. Si aujourd’hui quelqu’un cherche une épée de la même manière nous le considérons comme un malade mental. C’est le cas des leaders politiques qui entendent gouverner avec des lois et des méthodes surannées. Le temps passe comme les vagues du fleuve. Mais l’«épée», les lois et prescriptions, restent au même endroit. Évidemment un tel comité dirigeant doit faire face à de nombreux problèmes qu’il leur est impossible à résoudre. Ils ne pourront pas retrouver l’épée perdue.
Ayant fini de parler, le Président Hô Chi Minh s’incline, descend de la tribune, sourit et regagne sa place. L’auditoire hongrois, peu habitué au parler en parabole, reste une minute dubitatif … avant de couvrir le Président d’applaudissements.

Le Président Hô Chi Minh lors d'une rencontre avec la famille de l'avocat britannique Loseby à Hanoi.


Faisant fi du protocole mais conquérant l’estime du public, cet homme avare en parole et riche d’esprit possède une personnalité fascinante. Je comprends le lien du conte symbolique avec les circonstances de l’heure. Ce jour reste gravé dans ma mémoire comme un souvenir inoubliable de ma vie».
Par ce conte allégorique, que voulait dire Hô Chi Minh aux Hongrois ? Voici l’interprétation de K. Lajos : «Le peuple vietnamien a le droit de jouir de la liberté et de l’indépendance parce que le temps des règles surannées du colonialisme est révolu, il est entré dans le passé sans trace comme l’épée perdue dans le courant. Aucune armée si puissante soit-elle ne peut subjuguer un peuple».
Interprétation de K. Lajos
Les auditeurs hongrois comprenaient-ils les paroles de Hô Chi Minh comme Lajos ?
L’histoire racontée par le Président est assez connue au Vietnam. Elle figure dans le recueil de contes chinois La Thi Xuân Thu rédigé par le ministre La Bât Vi de la dynastie des Tsin (IIIe siècle av. J. -C.) et vulgarisé au Vietnam grâce à une petite chrestomathie intitulée Cô hoc tinh hoa (Essence des humanités chinoises). Les auteurs Nguyên Van Ngoc et Trân Lê Nhân, très versés dans les lettres chinoises anciennes, donnent l’interprétation suivante au conte :
«L’épée qui tombe dans le fleuve demeure là où elle est tombée. Il faut la chercher à cet endroit. Pourquoi graver une marque sur le flanc de la barque et attendre que celle-ci atteigne le port pour plonger dans l’eau à la recherche de l’épée ? Ce chercheur est pareil à un joueur de cithare qui immobilise des chevilles mobiles, pensant que les sons s’harmonisent alors de leur propre gré. Hélas ! Un homme obtus qui ne sait que serrer fortement ce qu’il tient dans sa main ne comprend pas ce que c’est que l’attente du moment opportun».
Dans la conjoncture hongroise, vietnamienne et internationale de 1957, quel était le vrai message de Hô Chi Minh ? Peut-être que les membres de sa délégation savaient mieux que nous qu’une histoire allégorique racontée il y a deux mille ans peut se prêter à toutes sortes d’interprétation.

Huu Ngoc/CVN

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