Arno Baude, trace gardée

La chemise hawaïenne érigée en symbole, l’icône google «places of interest» tamponnée sur des personnes, des cartes postales qui semblent prises de nulle part… Bienvenue dans l’univers étrange d’Arno Baude. Un monde où le tout localisé devient déroutant.

Arno Baude, présentant sa deuxième installation «Banh my hawaii tasting».

Arno Baude expose à la 4uatrieme (Au quatrième étage de l’été bar, rue Giang Văn Minh ) du 4 mai au 21 juin. Une exposition, ou quatre expositions ? L’artiste présentera en tout quatre installations. La première dénommée «Made in Vietnam I» a déjà eu lieu. «Banh my Hawai tasting» est en cours jusqu’au 24 mai, date à laquelle, «Run, run» sera mise en place. Pour finir, le 8 juin l’artiste nous propose une ultime installation «Made in Vietnam II». Un format quadruple à l’image de ses créations… Inhabituel, quelque peu dérangeant. Quatre installations, comme une rétrospective, un brassage de toutes les impressions d’un artiste délocalisé. «L’expérience d’acculturation est marquante. Les impressions sont là puis elles décantent et mes installations sont ce qui en ressort», dit-il lui-même.

Samedi 19 mai, Arno Baude inaugurait la deuxième installation de son exposition à la 4uatrieme. «Banh my hawaii tasting». Le visiteur était alors invité à s’asseoir sur des tabourets en plastique comme on en trouve dans toutes les rues de Hanoi. En fond, un message «Hunt for food». L’artiste souligne ainsi une spécificité locale «Être obligé de chasser pour se nourrir, +struggle for survive+, c’est propre à pas mal de gens qui vivent en ASEAN». Il met en avant la convivialité, le «système D» de ces restaurants de rue. En décalage, on trouve, dans un coin, un fauteuil «rococo», aspiration à la richesse. Et dans le fond, une palanque qui ne porte pas son titre de «guerre économique».

Samedi 19 mai était inaugurée la deuxième installation de son exposition à la 4uatrieme.

L’artiste avait convié les visiteurs à venir vêtu d’une chemise hawaïenne. Pourquoi cet habit au goût fort critiquable ? Arno Baude en avait fait, à une époque, son signe distinctif. Ensuite, la chemise est devenue le cœur d’une série de photos appelée «Hanoians». Hawaiians, hanoians ; c’est plus qu’un jeu de mot ; plus qu’un vêtement. Un symbole de la différence culturelle qui colle à la peau des voyageurs. En Asie où les communautés sont si importantes, l’habit fait un peu le moine. La chemise hawaïenne exigée, une manière d’assumer le décalage, de se conformer à l’anticonformisme aussi. «Ici, nous sommes tous des hawaïens», affirme ainsi l’artiste.

Installé au Vietnam depuis 2005, Arno Baude est actuellement en couple avec une vietnamienne rencontrée à Hanoi et donne des cours de français. Mais il est un voyageur avant tout. Après des études d’histoire de l’art durant lesquelles il expose ici et là, il part, attiré d’abord par Angkor, le Cambodge et la culture bouddhiste… Un peu guidé par le hasard, son séjour n’est censé ne durer que quatre mois mais le visiteur devient résidant, captivé par cette Asie du Sud-Est si différente du paradis bien propre qui est vendu aux touristes. C’est lors de ses voyages qu’il commence à vouloir «marquer ses déplacements». Contre les versions lissées, globalisées d’un monde encore bien vaste, ses œuvres tournent toutes autour d’un thème : la localisation. En 2009, déjà, à la Bùi gallery à Hanoi, il présentait une œuvre réalisée avec le papier traditionnel que l’on ne trouve que sur les rives du fleuve rouge et des stickers ramassés ici et là. L’idée est toujours là, omniprésente, d’utiliser les ressources culturelles locales. Situer dans ce monde les êtres et les choses finalement pas si mondialisées. «Je veux garder en mémoire des signes d’une culture qui n’est pas la mienne et qui devient donc un référent socio-culturel», explique-t-il. Et, en effet, pour repérer les éléments propres à une culture, Arno Baude à l’œil. L’œil d’un Hawaïen dirait-il sans doute.

Les installations d’Arno Baude nous mettent à l’aise. Un hamac suspendu pour la première installation «Made in Vietnam I»

Il n’hésite pas à dire «l’art c’est plus pour déranger que pour plaire». Nous sommes prévenus. Pourtant, les installations d’Arno Baude nous mettent à l’aise. Un hamac lors de la première installation et maintenant, des tabourets... C’est que l’artiste cherche à interpeller. «Je suis contre l’accrochage comme dans les musées». Si ces œuvres se veulent très lisibles, les interprétations sont multiples. Il faut se méfier de cet artiste qui joue avec les espaces, les formes, les mots et les cultures. Un instant, on a l’impression de saisir tout le sens de ce qu’il nous offre à voir. La seconde d’après, on découvre un jeu de mot, un détail, un autre point de vue qui remet tout en question. Anticonformiste, il est impossible à ranger dans une case. Et si on osait lui faire la remarque qu’il est parfois difficile à suivre, Arno Baude nous remettrait sans doute une de ses cartes postales «I was here» sur lesquelles il figure à côté d’endroit peu touristique, mais culturellement parlant. Une manière comme une autre de suivre son itinéraire.

Le prochain rendez-vous se nomme «Run, run», l’inauguration aura lieu le 24 mai à 19h, à la 4uatrieme toujours. Une installation à l’image d’une première impression de la capitale. Des structures imbriquées tel un tétris en hommage à la morphologie de cette drôle de ville, des plots comme pour évoquer les innombrables slaloms qu’elle nous demande de faire, des chants de vendeurs ambulants en fond, un néon «run, run» ou la course incessante des hanoïens. Une troisième partie de l’exposition qui s’annonce plus visuelle, donc. Image d’un développement urbain tout feu, tout flamme… Pas de cocktail offert au programme, cette fois, mais le visiteur sera encore interpellé, à n’en pas douter.

                                                                                                                                    Léa Ducré/CVN

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