L'Afrique face à sa mousson

La mousson rythme la vie des 300 millions d'Africains de l'Ouest. De l'intensité et de la durée de ses pluies dépendent l'ensemble des récoltes et des ressources en eau et donc la sécurité alimentaire.

En moins de 4 mois, de juin à septembre, elle apporte l'essentiel des précipitations annuelles. Or, ces dernières décennies, elle a perdu de son intensité, plongeant le Sahel dans des famines à répétition. Dans le cadre du programme international AMMA (1), les chercheurs de l'IRD et leurs partenaires observent sur le long terme cette capricieuse mousson afin d'en prévenir les conséquences. Démarré en 2002, le système d'observation AMMA-CATCH (Couplage de l'atmosphère tropicale et du cycle hydrologique) leur a ainsi permis de mettre en évidence certaines caractéristiques et paradoxes du cycle de l'eau associé à la mousson africaine : une modification significative du cycle saisonnier et une baisse du nombre de grands événements pluvieux, mais une augmentation du ruissellement et des inondations ainsi qu'un Sahel plus vert.

Le terme de mousson vient de l'arabe "mawsim", qui signifie saison. De juin à septembre, cette période de fortes pluies apporte plus de 80% des précipitations annuelles en Afrique de l'Ouest. Mais depuis 40 ans, elle est moins intense. Les habitants du Sahel subissent les conséquences de cette sècheresse prolongée, dont plusieurs famines dramatiques. Le programme AMMA (1) vise à améliorer la compréhension globale de ce phénomène. Plus particulièrement, les chercheurs de l'IRD étudient la variabilité du cycle de l'eau, par le biais du système d'observation à long terme AMMA-CATCH qui a permis de mettre en évidence des modifications majeures de certaines de ses composantes.

Trois sites, 3 zones éco-climatiques AMMA-CATCH, constituent le noyau du dispositif AMMA sur le continent. Les observations sont concentrées sur 3 sites de mesure, couvrant chacun 15.000 à 25.000 km2 et représentatifs des différents écosystèmes et climats de ce vaste sous-continent : le Gourma au Mali, le degré-carré de Niamey au Niger et le bassin de l'Ouémé au Bénin.

Sur ces sites, les chercheurs suivent sur le long terme la végétation et le cycle de l'eau ainsi que leur interaction avec le climat. Ils modélisent, à l'échelle locale et régionale, l'hydrologie et les échanges sol-atmosphère afin d'évaluer leur rôle et prévoir la dynamique des pluies et de la végétation. Dans le contexte de changement climatique et d'usage du sol actuel, ces informations sont vitales pour les politiques de l'eau et les décideurs afin de planifier le futur développement économique de la région.

Le cycle de l'eau est perturbé

Dans les années 1980 et 1990, l'ensemble de la zone sahélienne et pratiquement toute l'Afrique de l'Ouest ont vu leurs précipitations diminuer de 20% à 40%. Ce déficit pluviométrique est dû avant tout à des épisodes pluvieux moins nombreux - et non à une mousson plus courte. Mais depuis le début du 21e siècle, cette baisse généralisée fait place à une répartition plus contrastée. L'Ouest du continent reste soumis à une sècheresse intense alors que le Centre enregistre un déficit plus modéré, mais toujours significatif (de 10% à 25%), et que le Sud a retrouvé des conditions proches de l'avant grande sècheresse. Le cycle saisonnier a également été profondément modifié, avec la forte réduction du pic pluvieux du mois d'août.

Les paradoxes du Sahel

Malgré la baisse des précipitations, les ruissellements et écoulements ont significativement augmenté depuis une quarantaine d'années dans tout le Sahel et une végétation plus verte apparaît. Dans les bassins de la Volta et des fleuves Niger et Sénégal, par exemple, les écoulements ont doublé en 40 ans du fait de l'accroissement du ruissellement depuis 1968, début de la sècheresse. Le nombre, le volume et la durée d'existence des mares ont aussi augmenté : l'observatoire AMMA-CATCH (Couplage de l'atmosphère tropicale et du cycle hydrologique) a mis en évidence un doublement de leur surface entre 1975 et 2002. Or, ces étendues d'eau constituent une importante ressource dans le Sahel pastoral et une des principales zones de recharge des nappes phréatiques, ce qui génère une remontée continue du niveau des eaux souterraines. À l'échelle des petits bassins versants, ces phénomènes sont dus à la diminution du couvert végétal du fait de la sècheresse et de la déforestation de la savane par les agriculteurs, qui s'est accélérée au siècle dernier (2). Autre paradoxe : malgré l'impact négatif de l'homme sur la végétation localement, les dynamiques de végétation à plus grande échelle montrent une tendance globale au reverdissement à travers l'Afrique de l'Ouest, avec une biomasse végétale plus importante. Ce revirement semble être en premier lieu dû aux modifications du cycle de l'eau.

Depuis 40 ans, les écosystèmes d'Afrique de l'Ouest sont entrés dans une phase de transitions rapides et complexes, d'une ampleur et d'une intensité inégalées dans l'histoire de l'humanité. L'IRD et ses partenaires africains se sont engagés à maintenir des observations hydrologiques et environnementales de long terme par le biais de dispositifs spécifiques. Documenter ces évolutions et leurs impacts est en effet nécessaire à la mise en place de pratiques de gestions adaptées des terroirs pastoraux et agricoles, dans l'une des régions du monde les plus fragilisées par les changements climatiques et environnementaux.

IRD/CVN

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