Dans les rues de Bagdad, à l'appel du puissant chef chiite Moqtada Sadr, des milliers de volontaires ont orchestré une véritable démonstration de force face à l'offensive lancée le 9 juin par des insurgés menés par des jihadistes de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) dans le pays miné par les divisions confessionnelles.
Des membres des forces armées du Kurdistan irakien, les Peshmerga, tiennent leur position le 21 juin dans le village de Bacheer, à 15 km au sud de Kirkouk |
Le secrétaire d'État américain John Kerry a quitté samedi 21 juin Washington à destination du Moyen Orient de l'Europe pour une mission ultra-délicate, au chevet de l'Irak, où Washington s'alarme de l'offensive de l'EIIL tout en fustigeant la politique confessionnelle du Premier ministre chiite Nouri al-Maliki.
Après avoir pris Mossoul, deuxième ville du pays, une grande partie de sa province Ninive (Nord), de Tikrit et d'autres secteurs des provinces de Salaheddine (Nord), Diyala (Est) et Kirkouk (Nord), les insurgés sunnites menés par l'EIIL ont engrangé un nouveau succès avec la prise du poste-frontière d'Al-Qaïm (340 km au nord-ouest de Bagdad), dans la province d'Al-Anbar.
Il n'existe que deux autres points de passage officiels sur les 600 km de frontière entre l'Irak et la Syrie, l'un contrôlé par l'armée et l'autre par les forces kurdes. Une grande partie du reste de la longue frontière poreuse échappe au contrôle des forces gouvernementales, irakiennes comme syriennes.
Parade chiite
Les jihadistes de l'EIIL, qui ambitionnent de créer un État islamique dans une zone située à cheval entre les deux pays, sont également engagés dans la guerre Syrie où ils progressent dans la province de Deir Ezzor, frontalière de l'Irak.
Après la débandade des troupes irakiennes aux premiers jours de l'offensive jihadiste dans le Nord, les chefs religieux chiites d'Irak ont appelé les citoyens à prendre les armes pour aider à défendre le pays face à l'avancée de l'EIIL, qui a proclamé son intention de marcher sur Bagdad et les villes saintes chiites de Kerbala et Najaf, au sud de la capitale.
Le puissant chef chiite Moqtada al-Sadr, qui avait appelé à protéger tous les lieux saints en Irak, a annoncé la création d'une force, les Saraya al-Salam (brigades de la paix, en arabe) formée de volontaires.
Dans Sadr City, un quartier à majorité chiite de la capitale irakienne désormais protégée par un dispositif de sécurité renforcé, des milliers de ces volontaires ont paradé aux cris de "Mahdi", le nom du 12e prophète pour les chiites.
Vêtus de tenues de camouflage et pour certains de noir, ils ont défilé en rangs, kalachnikovs, fusils d'assaut et lance-roquettes à la main. Ils viennent gonfler les rangs des milliers d'Irakiens qui se sont déjà portés volontaires pour tenter de repousser les insurgés, après les appels du gouvernement mais surtout du très influent Ali al-Sistani, le plus haut dignitaire chiite du pays.
Même si l'armée, après la déroute de ses soldats dans le Nord, tente de se ressaisir et de faire face aux jihadistes, sa tâche semble ardue. Le président américain Barack Obama a promis d'envoyer 300 conseillers militaires pour l'aider mais a pour l'instant exclu les frappes aériennes réclamées par le gouvernement irakien.
L'EIIL «arrive à ses fins»
Dans le même temps, les insurgés tentent de progresser sur plusieurs fronts. Outre Al-Qaïm, les insurgés ont essayé de prendre d'assaut la ville de Touz Khourmatou, à 175 km au nord de Bagdad, mais les forces kurdes les ont repoussés, selon des responsables.
L'EIIL essaye aussi de pénétrer dans la région de Baqouba (à 60 km au nord de Bagdad), mais l'armée de l'air bombarde ses positions autour de cette région pour les en empêcher.
Cependant, des heurts ont éclaté aussi entre insurgés, peut-être un premier signe d'un effritement de la coalition composée de multiples groupes, en particulier d'ex-officiers de l'armée de Saddam Hussein, des groupes salafistes et des éléments tribaux. Ces combats entre l'EIIL et l'Armée des adeptes de Nakshabandia dans la province de Kirkouk ont fait 17 morts.
S'ils ont un ennemi commun - le gouvernement Maliki dominé par les chiites - les différents groupes insurgés n'ont pas tous les mêmes intérêts. L'EIIL épouse une interprétation extrémiste de l'islam mais les autres groupes ont surtout des désaccords politiques avec le pouvoir.
À l'étranger, les appels à un gouvernement d'unité nationale pour sortir le pays du chaos se multiplient, alors que M. Maliki est accusé d'avoir marginalisé la minorité sunnite et aliéné ses partenaires kurdes et chiites.
Pour le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, l'EIIL "est en train d'arriver à ses fins". Le groupe "vient d'occuper une partie de l'Irak sans difficulté, et est en train de constituer (...) un État islamique, qui regroupe une partie de l'Irak mais qui regroupe aussi une partie de la Syrie".
AFP/VNA/CVN