Plutôt indépendante, une personne avait choisi de visiter le Vietnam avec pour seule aide un de ces nombreux livres touristiques, vendus dans toutes les librairies en Occident. Confiant en sa maîtrise de la langue anglaise, sésame international du touriste en baguenaude, il avait décidé de réserver sa chambre sur place, pensant qu’il serait mieux à même de négocier les tarifs plutôt que par fax ou téléphone. Muni de son livre et de quelques adresses d’hôtel, avec la conviction à pouvoir se débrouiller tout seul, et de quelques rudiments de vietnamien, appris à la va-vite dans un manuel de conversation, il a franchi allègrement les 10.000 km qui séparent le Vietnam de son pays d’origine. Aurait-il su alors à quelles surprises il allait être confronté, qu’il aurait sans doute reconsidéré l’organisation de son voyage !
Adresse en ville ?
Arrivé à l’aéroport, après l’inévitable rituel du passage de la ligne frontière, puis de la récupération des valises, il traverse le hall de l’aérogare, évite prestement la haie de guides (humains ceux-là) et de chauffeurs, qui, pancartes à la main, attendent patiemment les touristes qu’ils sont chargés de guider ou de véhiculer. Sans hésitation, il se dirige vers la file de taxis et se précipite dans le premier qui a l’obligeance de lui offrir un siège.
Difficile parfois de ne pas confondre ! |
C’est alors l’instant de vérité : indiquer sa destination. Assuré d’être compris du premier coup, notre intrépide touriste prononce le nom d’un hôtel de Hanoi… à la française ! Incrédulité du chauffeur, qui regarde son passager par rétroviseur interposé avec dans le regard ce «Je ne sais quoi» qui donne à comprendre que justement il n’a rien compris ! «Pas grave», se dit in petto le passager incompris, on se le fait à l’anglaise. Et de répéter le nom de l’hôtel avec un fort accent londonien. Les yeux du chauffeur quittent le rétroviseur et c’est tout le visage qui se tourne vers ce touriste qui s’acharne à vouloir parler vietnamien en anglais avec un accent français, alors qu’il pourrait peut-être écrire le nom sur un papier. Ce que le chauffeur fait comprendre en tendant un stylo et un morceau de papier à son incompréhensible passager. Lequel s’aperçoit qu’il a oublié son guide, là-bas, chez lui, loin, très loin…, mais se sent suffisamment sûr de lui pour écrire le nom de cet hôtel que tout de même il connaît bien pour l’avoir lu plusieurs fois.
Quant à l’adresse inutile : d’abord, parce qu’il est incapable de s’en souvenir, et ensuite, un chauffeur de taxi est sensé connaître tous les hôtels de sa ville. Notre sympathique voyageur est d’ailleurs vite conforté dans cette certitude, puisque après avoir vu le nom, le chauffeur acquiesce, démarre et semble se diriger sans hésitation.
Or, c’est là que commence le dérapage d’une mécanique que l’on croyait très bien huilée. Comme de nombreux hôtels à Hanoi, celui-ci a deux homonymes, c’est-à-dire qu’il existe trois hôtels du même nom et, bien sûr, pas à la même adresse ! Et le chauffeur, sans doute par nonchalance, sans prendre le temps de vérifier l’adresse que son passager ne pouvait lui donner, avait choisi de lui-même un hôtel parmi les trois. C’est devant celui-ci qu’il dépose ¾ h plus tard notre touriste confiant. Lequel, sans chercher à savoir dans quelle rue il est, puisque l’enseigne de l’hôtel correspond au nom qu’il y avait dans son guide, se dirige vers la réception…
Oubli fatal !
Chambre libre, prix convenu, tout se passe pour le mieux… Cadre agréable, douche bienvenue, repos mérité, il est temps de découvrir les spécialités culinaires locales. Et justement, notre ami se rappelle que dans son guide, il y a avait le nom d’un restaurant fort connu pour son poisson frit dans des poêlons sur table. Il s’en souvient un peu car le nom est facile à retenir. Quant à l’adresse, ce n’est pas difficile, il suffit de demander à la réception. Réception qui propose même à notre touriste d’utiliser les services d’un «xe ôm» (mototaxi) pour s’y rendre. Bonne idée !
Où est-ce que je trouve un «xe ôm»? À 100 m, en sortant à gauche, vous verrez, il y en a quelques-uns, et ce sont eux qui viendront vers vous pour vous proposer leurs services.
Facile apparemment, il ne devrait y avoir aucun problème, sauf qu’après 100 m, l’adresse était oubliée, et cet étourdi touriste ne se rappelle plus que du nom de restaurant. Nom qu’il donne au «xe ôm», lequel se dirige allègrement vers l’un des… cinq restaurants qui ont le même nom, avec la même spécialité ! Le repas est excellent, la bière est fraîche, et le retour s’effectue en taxi.
Et c’est là que la machine s’emballe! N’ayant toujours pas l’adresse de l’hôtel et n’ayant pas pris la précaution d’emporter une carte de visite de celui-ci, notre ami voyageur donne uniquement le nom de son hôtel à un chauffeur de taxi qui n’est pas le même que celui de l’après-midi, mais qui, comme lui, choisit un des trois hôtels qui portent le même nom. Et bien sûr, le choix des deux chauffeurs n’est pas le même ! Vous suivez ? Le taxi s’arrête devant un hôtel qui n’est pas celui que son passager a quitté une heure plus tôt, donc le passager refuse de descendre, en expliquant, dans un sabir franco-anglais, qu’il y a erreur. Le chauffeur évidemment répond, dans un sabir anglo-vietnamien, que c’est bien le nom de l’hôtel qui lui a été donné. Agitation, énervement, palpitations, la situation devient délicate…
C’est là que j’apparais. Je viens d’accompagner des amis dans cet hôtel, et alors que je m’apprête à enfourcher ma moto, je vois un énergumène qui fait de grands mouvements dans un taxi face à un chauffeur qui commence à perdre patience. Curieux comme pas deux, je m’approche de la vitre du chauffeur pour comprendre ce qui se passe. L’interpellant en vietnamien, j’ai tout de suite sa considération et, dans la foulée, la cause du huis clos dramatique qui a lieu dans ce taxi. Reconnaissant un congénère en la personne du passager, grâce aux quelques jurons qu’il décline avec conviction, je m’adresse à lui en lui expliquant le quiproquo et en lui offrant une alternative. Soit il fait le tour de Hanoi avec le taxi en passant devant les deux autres hôtels du même nom, en espérant que le premier sera le bon pour éviter une note astronomique au compteur ; soit, n’ayant rien de plus à faire, je l’emmène en moto pour le même trajet, mais sans la note ! Sans hésitation, il choisit la seconde proposition, descend du taxi, et s’empresse de régler la course.
Nous avons à peine parcouru 50 m qu’il me frappe soudainement l’épaule et hurle qu’il a oublié son sac ! Dans le taxi, dis-je ? Mais je n’ai rien vu ! Non, au restaurant, me dit-il. Lequel ? Il s’appelle comme ça… Son adresse ? Connais pas, mais c’est bien ce nom. Mais malheureux, il y en a cinq de ce nom à Hanoi ! Et comme le «xe ôm» du soir, moi en l’occurrence, n’est pas le «xe ôm» de la fin d’après-midi, je ne sais pas vers quel restaurant il faut se diriger. Je tente un repérage mémoriel. Quelle couleur ? Il fallait monter un escalier ? Quelques commerces à côté ?
J’en sais rien, mais si ça peut aider, la serveuse elle avait un nom sur sa robe : Nguyên. Des Nguyên, il y en a des millions au Vietnam !!! Et voilà comment, un soir de mars, je parcours les rues de Hanoi, transportant un voyageur effondré, à la recherche d’un restaurant homonyme de cinq autres, dont une serveuse se nomme Nguyên, homonyme de millions d’autres, et qu’ensuite il me faudra trouver un hôtel homonyme de deux autres…
Mes ancêtres devaient me protéger, puisqu’il n’a fallu qu’une heure et demie pour retrouver, successivement le bon restaurant, le sac (Bravo pour l’honnêteté du restaurant en question !), et le bon hôtel.
Je n’ai jamais revu ce touriste, et j’espère pour lui qu’il a compris les subtilités de l’homonymie au Vietnam, sauf à errer encore je ne sais où, en cherchant son hôtel !
Gérard BONNAFONT/CVN