>>Souvenirs inoubliables d’un vétéran de Diên Biên Phu
"Le Viêt Minh était très opiniâtre"
William Schilardi, 86 ans, caporal à l’époque, président de l’Association nationale des combattants de Diên Biên Phu
J’avais 21 ans à l’époque et je faisais partie des tireurs d’élite de la 3e Compagnie indochinoise parachutiste. Il y avait à Diên Biên Phu, à l’époque, une sorte de labyrinthe composé de tranchées. Notre travail, c’était de sortir et déterminer les positions du Viêt Minh (Front de l’indépendance du Vietnam, ndlr) pour l’État-major. Au départ, les confrontations n’étaient pas trop difficiles. Mais, au fur et à mesure, on a constaté la détermination des soldats vietnamiens. Et après, ce fut l’apocalypse. Nous avons connu l’enfer. On ne s’attendait pas aux assauts de la part de l’armée du Viêt Minh, qui était bien organisée, au-delà de ce qu’on avait pensé.
Autres surprises: la mousson et puis les attaques de nuit. On a passé des nuits sans sommeil, c’était très difficile. On devait garder notre sang froid ces jours-là. Les soldats vietnamiens ont réussi à nous encercler dans la vallée et à bloquer tout ravitaillement. Les avions ne pouvaient pas décoller. On a tenté de reboucher les tranchées des soldats vietnamiens, mais ce n’était pas efficace. Le Viêt Minh était très opiniâtre. Il avait une technique terrible: envoyer des rades de volontaires de la mort, comme nous les appelions, se jeter sur les barbelés. Sa force de combat était l’idéologie, le nombre, le travail de sape, la patience, la persévérance.
Dans les derniers jours de la bataille, j’ai eu une fracture de genou. On a ensuite reçu l’ordre de détruire nos armes. Quand la fin de la bataille est arrivée, je sentais un calme, un silence et aussi un désespoir total. On était complètement perdu. On était dans une sorte de paralysie. J’ai vu des gens trembler, incapable d’agir…
J’ai accompagné le Premier ministre Edouard Philippe lors de sa visite en novembre dernier au Vietnam. C’était bien qu’il aille à Diên Biên Phu pour apaiser tous sentiments de revanche. Je ne crois pas que Français et Vietnamiens se détestent. Je pense aujourd’hui qu’il y a un amour entre nos deux peuples. Je le ressens du fond de mon cœur.
"Le général Giap, un chef tout à fait compétent"
Jacques Allaire, 94 ans, lieutenant à l’époque
On m’a demandé si je me souvenais des combats à Diên Biên Phu. Bien sûr. Au début, en 1945, le Viêt Minh était beaucoup plus faible que nous. Mais au fur et à mesure, il s’est constitué une armée. Le général Giap était un chef tout à fait compétent. Nous sommes restés à Diên Biên Phu pendant près de trois mois. Nous avons été parachutés le 13 mars.
Avec d’autres, j’ai participé à la défense d’un point d’appui. Je dirigeais les mortiers du bataillon. J’en avais six, et donc j’étais chargé de soutenir les compagnies de combat qui étaient toujours très proches des soldats vietnamiens. Alors ma mission consistait à tirer sur l’armée vietnamienne avec les mortiers de 81 mm, pendant que mes camarades étaient dans les tranchées et se battaient au corps à corps avec le Viêt Minh. Les soldats vietnamiens attaquaient plutôt le soir. Nous étions dans des tranchées, bien sûr, mais ce n’étaient pas des abris fiables. Ces tranchées mesuraient seulement 1m50 de profondeur et ne nous protégeaient pas complètement de l’artillerie du Viêt Minh.
Nous étions dominés par des collines assez élevées et ce qui nous a surpris, c’est que les soldats vietnamiens s’installèrent en hauteur, et de là, ils nous voyaient très bien. Notre commandement ne pensait pas qu’ils réussiraient à amener des canons sur ces collines parce qu’il n’y avait pas de pistes praticables, ni d’engins pour les tirer. Or, dans une bataille militaire, quand on tient les hauts, on tient les bas. Notre artillerie n’a pas été suffisante et nous étions largement surpassés par l’artillerie lourde vietnamienne.
Le dernier jour du combat, c’était le 7 mai 1954. On a arrêté le combat parce que toutes les collines étaient tombées et qu’on était complètement encerclés. Et là, j’ai compris que nous étions prisonniers. L’installation du camp retranché fut une erreur qui a été commise par le commandement, les politiques, les hauts grades.
Pour nous, cette guerre n’avait pas de sens. Les soldats du Viêt Minh étaient très courageux, motivés, très bien commandés. Ils se battaient pour une cause: l’indépendance et la liberté de leur pays. De plus, ils avaient des commissaires politiques qui étaient là pour mobiliser les unités. Contrairement à nous, les Vietnamiens se battaient pour un idéal. Nous, nous nous battions parce que nous avions reçu une mission, celle de défendre le camp retranché, et que nous devions gagner la guerre contre le Viêt Minh. Nous nous battions pour une cause qui n’était pas très juste, celle de garder l’Indochine française.
Je me souviens bien encore la nuit où je quittais Paris pour rejoindre Marseille et prendre le bateau vers l’Indochine. J’avais honte d’avoir abandonné ma famille. J’avais une fille à cette époque-là et mon épouse attendait un bébé. Quand j’étais en captivité et je devais marcher 600-700 km, je ne savais pas si je pouvais y arriver. Au loin, je croyais voir ma femme et mes enfants…
Maintenant, le Vietnam est un pays merveilleux. J’y suis allé il y a quelques mois, précisément en novembre 2018 dans le cadre de la visite du Premier ministre français Edouard Philippe. J’ai trouvé que ce pays a énormément progressé depuis la guerre, et sa population est très dynamique et courageuse. C’est un pays d’une grande richesse culturelle et intellectuelle.
"Pour mes parents, c’était une période très difficile"
Colonel Jean-Michel Queva, secrétaire général de l’Association nationale des combattants de Diên Biên Phu
Mon père arriva en Indochine fin 1953 en tant que gendarme dans une troupe de renfort pour les unités déjà sur place. Il a ensuite été envoyé à Diên Biên Phu parce que ce site était un point important dans le déroulement de la guerre d’Indochine. Mon père était un jeune gendarme à l’époque. Il venait de se marier, donc c’était vraiment dur pour lui.
Après la bataille, quand mon père était prisonnier, ma mère l’a cru mort pendant un certain temps, c’était très difficile. Ici en France, la bataille de Diên Biên Phu a pris tout le monde un peu de court. Tout le monde a été étonné par la défaite. On ne savait pas trop l’avenir des soldats sur place. Pour mes parents, c’était une période très difficile. Quand mon père est rentré, comme la plupart des soldats, il ne se confiait pas facilement parce qu’il y avait certains souvenirs très pénibles.
J’ai su très tard que mon père était à Diên Biên Phu, lorsque je faisais mes études dans une école militaire. J’ai discuté avec mes camarades de ce qu’ont fait nos pères respectifs. Mon père m’a dit alors qu’il avait été fait prisonnier à Diên Biên Phu. À mon époque, Diên Biên Phu, au sein de l’armée, restait une sorte de symbole très fort, malgré la défaite. Pourquoi? Parce que pour les jeunes militaires, ce que l’on retenait de cette bataille, c’était le courage des combattants. C’est quelque chose qui nous a marqué, c’est la bataille du désespoir comme disait mon père en racontant les épisodes difficiles, où les combattants français ont été pris sous le nombre des adversaires. Ils se sont battus presqu’à un contre dix, donc c’était impossible de s’en sortir.
Mais, ce qui a marqué toutes les jeunes générations de soldats après Diên Biên Phu, c’est le courage des combattants qui ont tenu jusqu’au bout, jusqu’à la limite de leur force, tandis que leurs adversaires étaient très motivés et déterminés. Je travaillais alors dans la gendarmerie comme mon père et mon fils est, lui aussi, dans la gendarmerie à son tour. Je suis maintenant retraité depuis deux ans. Moi, je dirai pour les générations suivantes qu’il faut essayer d’apaiser les choses et de ne pas entrer en conflit ouvert, permanent avec qui que ce soit.