Sous la grande toile qui tamise le brûlant soleil de mars, une dizaine de jeunes agriculteurs binent, plantent, récoltent : tous des anciens mauvais garçons de Kambi Muru, ce quartier particulièrement chaud de Kibera, au Sud-Ouest de la capitale Nairobi.
"Sans cette ferme, je me dis toujours que je serais mort ou en prison, car nous avons perdu la plupart de nos amis et de nos frères dans le crime", commente Victor Matioli, 25 ans.
"Certaines personnes sont encore méfiantes: elles croient que c'est une sorte de rideau derrière lequel nous continuons nos méfaits", rigole Alamin Ibrahim, chef de production.
La ferme biologique est le dernier projet en date de l'association "Youth reform" (réforme pour la jeunesse), composée d'une cinquantaine de jeunes qui ont renoncé aux larcins et aux agressions.
Il a fallu d'abord consacrer trois mois, en 2008, à nettoyer la parcelle d'un demi-hectare, noyée sous des déchets accumulés depuis des décennies. Le terrain longe la voie ferrée Mombasa-Kampala, et la société d'exploitation ferroviaire en a confié l'usufruit à ce groupe de jeunes en échange d'un nettoyage en règle.
"Ensuite nous avons retiré la terre sur un mètre, pour en mettre de la nouvelle, et nous avons planté des tournesols pour achever d'aspirer ce qu'il pouvait rester de métaux lourds", explique Erick Ogoro Simba, un des responsables de l'association.
La serre a été installée en novembre dernier. Elle produit une douzaine de cageots de tomates par jour, vendues 30 shillings/kg (0,30 EUR) dans Kibera, près du double dans les quartiers plus huppés de Nairobi. À côté poussent quelques bananiers, des épinards et des citrouilles.
"Les gens de Kibera apprécient beaucoup cela, parce que la nourriture est au coin de la rue, et que nous leur faisons des prix réduits", se félicite M. Matioli. Il est plus difficile de convaincre les consommateurs aisés, rétifs à se nourrir des fruits de la terre de Kibera.
De fait, le petit terrain agricole jouxte toujours un coin de décharge, délimité par un simple fil de fer barbelé. Des enfants orphelins ou porteurs du virus du sida, scolarisés par une association caritative locale, fouillent les déchets pour y récupérer ce qui pourrait encore l'être.
La ferme ne bénéficie pas d'une certification biologique, mais c'est uniquement parce qu'elle n'a pas d'existence juridique, et les examens passés dans des laboratoires gouvernementaux attestent du caractère sain et naturel des légumes, assurent ses jeunes dirigeants.
"Youth Reform" est une des nombreuses organisations locales qui concourent à tisser un lien social à Kibera et ses quelques 200.000 habitants : grâce à quelques financements internationaux - mais aucun du gouvernement - l'association gère trois réservoirs d'eau, ainsi que des toilettes et douches publiques (cinq shillings par usage).
Ses membres espèrent surtout servir d'exemple aux plus jeunes générations, même si Hussein Haroun, 25 ans, reconnaît que ce n'est pas gagné. Cet ex-voleur à la tire reconverti en fermier déplore de voir des gamins de 15 ans exhiber des armes à feu. "Ils sont attirés par les modes de vie à l'occidentale, aller en boîte, avoir une voiture, des beaux vêtements. Ils jugent trop ingrat le travail que nous faisons ici".
Il en faudrait beaucoup plus pour tempérer l'enthousiasme d'Erick Ogoro Simba : "dans les cinq ans à venir, nous allons prendre contact avec d'autres bidonvilles, nos jeunes gens sont maintenant formés et nous voulons exporter ce savoir-faire. Nous voulons, si cela est possible, transformer d'autres décharges en fermes".
AFP/VNA/CVN