Des économistes français à la rescousse du rêve américain

Gabriel Zucman et Emmanuel Saez n'ont pas inventé l'impôt sur la fortune (ISF), mais la proposition de candidats démocrates à la présidentielle américaine de taxer les plus riches doit beaucoup à ces deux économistes français.

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Les économistes Emmanuel Saez (gauche) et Gabriel Zucman sur le campus de l'Université de Berkeley, en Californie, le 14 novembre.
Photo : AFP/VNA/CVN

Dans Le Triomphe de l'injustice (paru aux États-Unis en octobre et prévu pour février en France), ils font un constat vertigineux : les milliardaires américains bénéficient d'un taux d'imposition inférieur aux classes moyennes et populaires, 23% en moyenne, contre 28% pour l'ensemble de leurs concitoyens.
Leur livre rappelle que le système fiscal américain a été jadis l'un des plus progressistes du monde occidental. Il propose aussi des solutions, prisées par l'aile gauche du parti démocrate, en pleine campagne pour l'investiture à la présidentielle de 2020.
"Nous avons eu plus d'influence sur le plan de Bernie Sanders que sur celui d'Elizabeth Warren. Il nous a vraiment demandé +faites-moi un plan+, après qu'elle ait proposé son ISF. Il voulait aller encore plus loin", raconte Gabriel Zucman, 33 ans, professeur d'économie à l'Université de Berkeley, en Californie.
"Le plan Warren, c'était en coproduction avec son équipe. Elle savait ce qu'elle voulait. Nous avons apporté notre expertise technique", continue l'enseignant, dans son bureau qui surplombe le campus, et, au loin, les gratte-ciel de San Francisco.
Ces deux candidats incarnent l'aile progressiste du parti et ont fait de la taxation des très riches, pour réduire les inégalités, un thème central de leur campagne.
MM. Zucman et Saez font partie d'une école d'économistes français qui connaît un succès croissant aux 
États-Unis, de Thomas Piketty et son best-seller, Le Capital au XXIe siècle à Esther Duflo, professeure au prestigieux MIT et prix Nobel d'économie cette année.
Ils se définissent comme des "économistes-plombiers", selon une expression d'Esther Duflo. "Dans le système fiscal, il y a des fuites, de l'évasion, de l'optimisation... Les économistes peuvent expliquer comment régler toute la tuyauterie pour que les impôts fonctionnent bien", explique Gabriel Zucman.
Rêve américain 
"Les Donald Trump, les Jeff Bezos, les Mark Zuckerberg ou encore les Warren Buffett, ont des taux effectifs d'impositions, tous impôts compris, plus faibles que les taux effectifs de leurs secrétaires", résume Gabriel Zucman.
Comment en est-on arrivé là ? En passant d'un système fiscal axé sur la redistribution des richesses, qui taxait les grandes successions jusqu'à 77% et les hauts revenus jusqu'à 90%, à celui mis en place par Ronald Reagan, couronné par la réforme fiscale de Donald Trump.
Depuis le célèbre discours du président Reagan en 1981 - l'
État n'est pas la solution à notre problème, l'État est le problème - les revenus des plus fortunés ont explosé, quand ceux des classes populaires stagnaient.
"En 1980, la moitié basse des ménages gagne en moyenne 18.000 
USD par an et par adulte, avant impôt. Aujourd'hui on est à... 18.500 USD", assène le jeune économiste.
"Quand on travaille sur les inégalités, c'est ici qu'il faut être. Aucun pays occidental n'a vu ses inégalités augmenter autant que les 
États-Unis", remarque Emmanuel Saez, dans le bureau voisin.
C'est lui qui a fait venir son jeune complice à Berkeley, en 2013. Tous deux veulent contribuer, concrètement, à améliorer les politiques publiques.
"C'est un peu exceptionnel, cette situation où des candidats majeurs considèrent véritablement nos propositions", admet le professeur de 47 ans.
Lutte contre les fatalités 
Mais défendre des promesses électorales aussi radicales, c'est aussi déclarer la guerre aux Américains qui confondent encore démocratie sociale et communisme soviétique.
"Dès qu'il y a une proposition progressiste, une innovation fiscale, toute une marée d'économistes est vent debout pour dire que c'est la fin du miracle américain et d'une grande croissance qui n'existe que dans leurs yeux et parfois sur leurs comptes en banque", ironise Gabriel Zucman.
Et pourtant, les 
États-Unis n'ont pas toujours été allergiques aux impôts.
Dans leur livre, les deux hommes rappellent qu'en 1970, "les plus riches ont payé plus de 50% de leurs revenus en taxes, deux fois plus que les individus de la classe ouvrière".
"Cette tradition de justice fiscale américaine, c'est ça qui nous inspire", insiste-t-il.
"Il y a depuis longtemps un sentiment d'abattement, cette idée qu'on ne peut rien faire, et peu de propositions concrètes. Mais l'évasion fiscale, la concurrence avec les paradis fiscaux, ce ne sont pas des lois naturelles, ce sont des choix politiques. Le livre est là pour dire : vous avez tort de partir battus !"

AFP/VNA/CVN

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