Plus particulièrement la grande esplanade dallée où trône une gigantesque statue de Lénine, face à la tour du drapeau. C'est là, au pied d'un Vladimir Ilitch Lénine triomphant, que cinq groupes de jeunes aux noms évocateurs (Bigtoe, Halley, Xstyle...), composés pour l'essentiel des lycéens ou étudiants, viennent faire le spectacle tous les jours, pour peu que le temps s'y prête. Chacun de ces groupes a son propre style : breaking, popping, locking, krumping, newstyle, beatboxing...
Des shows spontanés
En fin d'après-midi, quand le soleil se fait moins ardent, des radiocassettes crachent une musique endiablée sur l'esplanade Lénine. Parmi la horde de motos qui filent sur le boulevard Diên Biên Phu, nombreux sont ceux qui jettent un coup d'oeil sur ces curieux énergumènes débraillés. Musique, exclamations, cris d'enthousiasme, applaudissements... transforment ce coin d'ordinaire paisible en une scène en plein air. Les uns dodelinent de la tête et du corps, d'autres pivotent en souplesse avant de faire des changements de pieds vifs comme l'éclair, qui finissent immanquablement en pirouettes acrobatiques sur une main ou sur la tête. Les chutes ne sont pas rares... "Nous, les bboys, on n'est pas des mauviettes. Pour danser comme ça, il faut faire beaucoup d'exercices d'assouplissement. Sinon, on se viande. Et sur un sol aussi dur, ça fait mal. On s'en tire le plus souvent avec un bleu, mais parfois on morfle vraiment", raconte Viêt.
Normalement, ces "shows" urbains, plutôt ces entraînements, durent jusqu'à 22h00. "J'adore ces rythmes. Chaque jour, à peine les cours finis, je file au jardin Lénine", confie Mai, une lycéenne, le visage brillant de sueur. "Avec le hip-hop, nous n'avons plus conscience du temps qui passe. Notamment les jours précédant une séance de représentation publique, où les bboys et les bgirls (appellations communes des garçons et des filles pratiquant le breaking) s'entraînent jusqu'à minuit, voire 02h00 du matin", assure Huy, étudiant d'une école supérieure du tourisme et fana du style breaking.
L'air confiant, Viêt, un des meilleurs bboys du groupe Xstyle explique : "Comme aux États-Unis, les danseurs de Hanoi s'exercent dans la rue. Ensuite, si ça marche bien pour eux, ils louent une salle d'entraînement et laisse la +scène publique+ à d'autres groupes débutants".
Du jeu à l'art authentique
C'est dans les années 1990 que le hip-hop a débarqué au Vietnam, par l'intermédiaire d'étudiants vietnamiens revenus des États-Unis et d'Europe. Une introduction difficile, car cette danse venue d'ailleurs était vue par une certaine frange de la population comme une bizarrerie culturelle importée de l'étranger, incongrue même sur le sol vietnamien, pour ne pas dire une "hérésie". Le premier club de hip-hop danse - le groupe Bigtoe - est né sous l'impulsion de jeunes ayant vécu quelques années à l'étranger. D'emblée, cette danse a séduit beaucoup d'adolescents. "Au début, nous devions nous entraîner dans un parc. La musique ? On devait sacrifier le petit-déjeuner pour avoir de quoi nous payer des cassettes et des piles", confie Thanh. Sans oublier de rappeler certains "inconvénients" permanents comme les reproches des parents, les incursions policières…
Le mouvement hip-hop à Hanoi reste en grande partie peu encadré. Les clubs se multiplient certes, avec la participation de nombreux bboys et bgirls qui, pour autant zélés qu'ils soient, ne comprennent pas grande chose en termes de techniques et d'art chorégraphiques. Ils s'inspirent le plus souvent de vidéoclips, surfent le matin sur Internet pour admirer les prestations de stars étrangères et mettent tout ça en pratique le soir sur l'esplanade du jardin Lénine... Tiêp, étudiant de l'Université des mines et de la géologie, membre du groupe Bigtoe depuis deux ans, avoue d'un air rigolard : "Moi, je fais du hip-hop pour mon plaisir, pas pour en faire mon métier". Thành lui, le leader de Bigtoe, espère que le hip-hop national se professionnalisera et sera enfin respecté comme un art et un mode d'expression à part entière. "Alors, bboy - bgirl sera une profession authentique, reconnue", glisse-t-il les yeux brillants.
Premier championnat national en 2009
C'est seulement en 2009 que le hip-hop est parvenu à s'affirmer au Vietnam, avec le premier championnat national, dénommé "Battle of the year - Vietnam", tenu en juillet dernier à Hanoi. Une quinzaine d'équipes venues des quatre coins du pays, dont Bigtoe, Halley (Hanoi), Fire (Hai Phong) Fido (Hô Chi Minh-Ville)…, ont rivalisé de talent sous les yeux d'un public déchaîné. Tous les spectateurs se souviennent encore du benjamin du championnat, surnommé Rua (Tortue), 13 ans, de l'équipe Bigtoe, qui a fait une démonstration époustouflante de son talent précoce. Ce garçon a commencé le hip-hop il y a quatre ans. C'est sa mère qui l'a conduit au club et l'a confié à Thanh, afin de canaliser l'énergie débordante du gamin. Contre toute attente, il est devenu l'un des meilleurs danseurs de Hanoi. Ce baby bboy a contribué pour une part importante à la victoire de Bigtoe.
Devenu champion, Bigtoe a eu l'honneur de représenter le Vietnam lors du championnat "Battle of the year - Asie" à Singapour. "Après ce championnat, Bigtoe met en oeuvre son projet de création d'une école de hip-hop équipée de salles d'exercice, d'une scène et même d'un internat pour les apprenants", dévoile Thanh.
L'Institut Goethe de Hanoi compte signer avec la société allemande Battle Head Office un contrat sur l'organisation d'un championnat annuel "Battle of the year - Vietnam". Déjà, les sponsors sont nombreux à se bousculer au portillon : la Compagnie par actions des communications Thê Gioi Tre, l'Institut Goethe Hanoi, l'Association des sports de divertissement électroniques du Vietnam...
Nghia Dàn/CVN